LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 mars 2024
Cassation partielle sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 101 F-B
Pourvoi n° P 22-22.939
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 MARS 2024
La société SCI du Domaine des fabriques, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 22-22.939 contre l'arrêt rendu le 19 mai 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-3), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Crédit suisse-Luxembourg, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3] (Luxembourg),
2°/ à la société Ajilink Avazeri-Bonetto, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité d'administrateur judiciaire de la société SCI du Domaine des fabriques,
3°/ à la société BR & associés, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 4], en la personne de Mme [D] [R], prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société SCI du Domaine des fabriques,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société SCI du Domaine des fabriques, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Crédit suisse-Luxembourg, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 janvier 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence,19 mai 2022), la SCI du Domaine des fabriques (la SCI) a été mise en redressement judiciaire par un jugement du 18 février 2014, Mme [R] et M. [H] étant désignés respectivement mandataire et administrateur judiciaires. Un plan a été arrêté le 3 mars 2015, Mme [R] étant désignée commissaire à son exécution.
2. La société Crédit suisse-France, aux droits de laquelle vient la société Crédit suisse-Luxembourg (la banque), qui avait consenti à la SCI une ouverture de crédit, a déclaré une créance qui a été contestée par le débiteur qui en invoquait la prescription.
3. Par une ordonnance du 18 septembre 2015, le juge-commissaire, ayant constaté l'existence d'une contestation sérieuse tirée de la prescription de la créance, a retenu qu'elle ne relevait pas de son pouvoir juridictionnel, a sursis à statuer sur l'admission de la créance et rappelé que sa décision ouvrait aux parties un délai d'un mois pour saisir la juridiction compétente à peine de forclusion.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La SCI fait grief à l'arrêt de fixer la créance de la banque au passif de son redressement judiciaire, alors « que sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées et, après une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi se limitent à l'examen de cette contestation ; qu'en fixant la créance de la banque au passif du redressement judiciaire de la SCI Domaine des fabriques quand ses pouvoirs se limitaient à trancher la contestation à l'égard de laquelle le juge commissaire s'était déclaré incompétent, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs violé les articles L. 624-2 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La banque conteste la recevabilité du moyen en soutenant qu'il développe une thèse contraire à celle que la SCI avait invoquée devant la cour d'appel, en demandant, dans le dispositif de ses conclusions, de juger que la créance ne pouvait être admise au passif, et de rejeter en conséquence la créance dans son intégralité.
6. Cependant, la SCI, qui s'est bornée en appel à demander le « rejet » de la créance déclarée en conséquence de sa prescription, est recevable à invoquer devant la Cour de cassation le moyen d'ordre public de pur droit né de l'arrêt fixant la créance, tiré de l'excès de pouvoir commis par la cour d'appel.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 et R. 624-5 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret du 30 juin 2014 :
8. Il résulte de ces textes que, sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées et, après une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi se limitent à l'examen de cette contestation.
9. Pour confirmer le jugement et fixer la créance de la banque, l'arrêt, après avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la créance, relève qu'aucune autre contestation n'était soulevée.
10. En statuant ainsi sur le sort de la créance, alors que ses pouvoirs se limitaient à trancher la contestation relative à la prescription de la créance, sur laquelle le juge-commissaire s'était déclaré incompétent, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de
procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code
de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la
Cour de cassation statue au fond.
13. La cour d'appel d'Aix-en-Provence, confirmant le jugement, par une motivation non critiquée, a jugé la créance de la banque non prescrite.
14. En conséquence, il y a lieu de déclarer non prescrite la créance de la banque, seul objet de la contestation sérieuse relevée par le juge-commissaire dans son ordonnance du 18 septembre 2015, ayant donné lieu à la saisine du tribunal de grande instance pour la trancher.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, il a fixé la créance du Crédit suisse-Luxembourg, venant aux droits de Crédit suisse-France, au passif du redressement judiciaire de la SCI du Domaine des fabriques, l'arrêt rendu le 19 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la créance de la société Crédit suisse-Luxembourg ;
Renvoie les parties à saisir le juge-commissaire pour qu'il statue sur l'admission ou le rejet de la créance ;
Laisse à chaque partie la charge des dépens par elle exposés, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille vingt-quatre et signé par lui et Mme Labat, greffier présent lors du prononcé.