LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CL6
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 février 2024
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 207 F-D
Pourvoi n° D 22-23.620
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 FÉVRIER 2024
Mme [M] [T] épouse [L], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 22-23.620 contre l'arrêt rendu le 6 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Chantelle, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Arsac, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [T], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Chantelle, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Arsac, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 octobre 2022), Mme [T] a été engagée en qualité de secrétaire par la société Chantelle, à compter du 12 février 1996, par un contrat de travail à durée indéterminée. Elle a été promue en qualité d'assistante marketing au mois de janvier 2010.
2. Par lettre du 16 avril 2018, la salariée a été convoquée à un entretien préalable fixé au 25 avril suivant, sa mise à pied à titre conservatoire lui étant notifiée. Elle a été licenciée pour faute grave par lettre du 2 mai 2018.
3. Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des rappels de salaires afférents à la mise à pied, la salariée a saisi, le 31 janvier 2019, la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement est fondé sur une faute grave et, en conséquence, de la débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, du salaire afférent à la mise à pied et d'indemnités de rupture, alors :
« 1°/ que lorsque les pièces produites laissent subsister un doute sur le comportement fautif invoqué au soutien du licenciement pour faute grave, ce doute profite au salarié ; qu'en se bornant, pour juger le licenciement fondé sur une faute grave, à déduire du rapport d'enquête interne produit par l'employeur que la salariée avait adopté un comportement inadapté et harcelant, sans vérifier, comme il le lui était demandé, si la circonstance que ce rapport, qui se bornait à faire état des accusations de seulement cinq salariées auditionnées sans avoir été confrontées à cette dernière, laquelle n'avait donc pas été en mesure de faire valoir ses arguments, était corroboré par les seules attestations de ces salariées et deux attestations des membres du CHSCT ayant recueilli leurs témoignages, sans que l'employeur ne produise par ailleurs le moindre témoignage d'autres salariés non auditionnés dans le cadre de l'enquête interne, qui viendrait confirmer les accusations portées dans ce rapport, n'était pas de nature à ôter toute certitude aux conclusions du rapport et, partant, à instaurer un doute sur le comportement fautif imputé à la salariée devant lui profiter, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1 et L. 1235-1 du code du travail ;
2°/ que la salariée soutenait, dans ses écritures d'appel, que très appréciée de ses supérieurs hiérarchiques pour la qualité de son travail et de ses relations avec sa hiérarchie et ses collègues de travail, et n'ayant jamais fait l'objet du moindre reproche en vingt-deux ans de carrière, elle attirait la jalousie des autres salariées et était victime de rumeurs et ragots colportés à son encontre comme étant la salariée "à abattre" ; qu'en se bornant, pour juger le licenciement fondé sur une faute grave, à déduire du rapport d'enquête interne produit par l'employeur que la salariée avait adopté un comportement inadapté et harcelant, la cour d'appel n'a pas répondu au moyen pourtant opérant précité qui était de nature à ôter toute certitude aux témoignages des salariées auditionnées et à instaurer un doute sur le comportement fautif imputé à cette salariée, devant lui profiter, et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que le licenciement pour faute grave doit être fondé sur des éléments précis et matériellement vérifiables personnellement imputables au salarié, d'une importance telle qu'ils rendent impossible son maintien dans l'entreprise ; qu'en se bornant, pour juger le licenciement fondé sur une faute grave, à énoncer que la salariée avait adopté un comportement inadapté et harcelant se manifestant par des critiques, des moqueries, de la violence verbale et physique, une déstabilisation dans les relations professionnelles et une forme de manipulation allant au-delà de simples plaisanteries entre collègues, la cour d'appel qui n'a pas précisé le ou les salariés qui auraient été victimes de harcèlement moral ni caractérisé l'existence d'agissements répétés de la salariée, commis à leur préjudice, ayant pour objet ou pour effet une dégradation de leurs conditions de travail, susceptibles de porter atteinte à leurs droits et à leur dignité, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel, a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1, L. 1234-1 et L. 1235-1 du code du travail ;
4°/ qu'en tout état de cause, la faute grave doit être appréciée in concreto en tenant compte de l'ancienneté du salarié, de ses qualités professionnelles et de ses antécédents disciplinaires ; qu'en se bornant, pour juger le licenciement fondé sur une faute grave, à retenir que la salariée avait adopté un comportement inadapté et harcelant, sans prendre en considération pour apprécier la légitimité du licenciement, comme il le lui était demandé, le comportement antérieur exempt de tout reproche de cette salariée qui, depuis son embauche en février 1996, avait toujours donné entière satisfaction à son employeur, ne s'était jamais vu notifier, en vingt-deux ans d'ancienneté, la moindre sanction disciplinaire ni le moindre reproche, avait travaillé consciencieusement pour participer au développement de l'entreprise et était très appréciée de ses collègues de travail, lesquels ne s'étaient jamais plaints de son comportement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1 et L. 1235-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a d'abord constaté, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve soumis à son examen, dont elle a retenu la valeur probante sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que la salariée avait adopté un comportement se manifestant par des critiques, des moqueries, de la violence verbale et physique, une déstabilisation dans les relations professionnelles et une forme de manipulation allant au-delà de simples plaisanteries entre collègues. Elle a ensuite relevé que l'ambivalence de l'attitude de la salariée était source de souffrance au travail.
6. Elle a pu en déduire, nonobstant l'ancienneté et l'absence d'antécédents disciplinaires de la salariée, que ce comportement inadapté et harcelant caractérisait une faute grave.
7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille vingt-quatre.