LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 février 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 92 F-B
Pourvoi n° W 22-17.541
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 FÉVRIER 2024
La société [Adresse 3], société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 22-17.541 contre l'arrêt rendu le 11 avril 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige l'opposant au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vigneras, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société [Adresse 3], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, après débats en l'audience publique du 19 décembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vigneras, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 avril 2022), le 30 septembre 2010, la société [Adresse 3] (la société [Adresse 3]), qui exerce l'activité de marchand de biens, a acquis un ensemble immobilier en exonération des droits de mutation en se plaçant sous le régime de faveur prévu à l'article 1115 du code général des impôts.
2. Le 15 avril 2013, l'administration fiscale a notifié à la société [Adresse 3] une proposition de rectification remettant pour partie en cause ce régime de faveur au motif que l'engagement de revendre n'avait été que partiellement respecté.
3. Après le rejet de sa réclamation contentieuse, la société [Adresse 3] a assigné l'administration fiscale en décharge des droits mis en recouvrement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La société [Adresse 3] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de décharge des droits d'enregistrement auxquels elle a été assujettie, alors :
« 1°/ que, pour les reventes consistant en des ventes par lots déclenchant le droit de préemption prévu par l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation, le délai dans lequel le bien doit être revendu pour que son acquisition soit exonérée de droits et taxe de mutation est ramené à deux années ; que ni le fait de se placer sous le régime de l'article 115 du code général des impôts ni la division de l'immeuble ne déclenchent en eux-mêmes le droit de préemption des locataires qui occupent l'immeuble au moment de l'acquisition de l'immeuble ; que seule la qualité de locataire ou d'occupant de bonne foi d'un local à usage d'habitation au moment de la décision de revendre l'immeuble après division déclenche ce droit ; qu'en jugeant qu'il fallait se placer au moment de l'acquisition de l'immeuble pour apprécier la condition du droit de préemption, et donc de l'application du délai de deux années, la cour d'appel a violé l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 ;
2°/ que, pour les reventes consistant en des ventes par lots déclenchant le droit de préemption prévu par l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation, le délai dans lequel le bien doit être revendu pour que son acquisition soit exonérée de droits et taxe de mutation est ramené à deux années ; que ce délai court à compter de la date à laquelle les locataires des locaux d'habitation disposent d'un droit de préemption sur leur lot dont la revente a été décidée ; qu'en l'espèce, il résulte des propres mentions de l'arrêt attaqué que le droit de préemption des locataires a été déclenché par les offres de vente notifiées les 28 juin et 28 juillet 2011, après division de l'ensemble en lots de copropriété, de sorte qu'à compter de ces dates, la société [Adresse 3] disposait d'un délai de deux années expirant les 28 juin et 28 juillet 2013 pour les revendre ; qu'en jugeant que le 30 septembre 2012, soit deux années après leur acquisition, certains lots pour lesquels ce droit de préemption avait été déclenché n'étaient pas encore revendus, de sorte que le délai de deux années n'avait pas été respecté, la cour d'appel a violé l'article 1115 du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article 1115, alinéa 1er, du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010, applicable au litige, sous réserve des dispositions de l'article 1020 du même code, les acquisitions d'immeubles réalisées par des personnes assujetties, au sens de l'article 256 A dudit code, sont exonérées des droits et taxes de mutation quand l'acquéreur prend l'engagement de revendre dans un délai de cinq ans.
6. Selon le dernier alinéa du même texte, pour les reventes consistant en des ventes par lots déclenchant le droit de préemption prévu à l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation ou celui prévu à l'article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, le délai prévu pour l'application de l'engagement de revendre est ramené à deux ans.
7. Le délai prévu pour l'application de l'engagement de revendre, qu'il s'agisse du délai de cinq ans prévu au premier alinéa de l'article 1115 du code général des impôts ou du délai ramené à deux ans prévu au dernier alinéa de ce texte, court à compter de l'acquisition de l'immeuble.
8. Le moyen, qui postule le contraire en sa seconde branche et qui, en sa première branche, critique des motifs erronés mais surabondants dès lors que la cour d'appel a constaté que le droit de préemption des locataires occupant les lots litigieux avait été déclenché par la notification des offres de vente au mois de juin 2011, n'est, en conséquence, pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. La société [Adresse 3] fait le même grief à l'arrêt, alors « que pour les reventes consistant en des ventes par lots déclenchant le droit de préemption prévu par l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation, le délai dans lequel le bien doit être revendu pour que son acquisition soit exonérée de droits et taxe de mutation est ramené à deux années ; que le droit de préemption est réservé aux locataires, et occupants de bonne foi au sens de l'article 4 de la loi du 1er septembre 1948, occupant effectivement les lieux ; qu'en jugeant que tous les locataires d'un local à usage d'habitation bénéficiaient d'un droit de préemption, que ledit local soit leur résidence principale ou secondaire, sans rechercher si le locataire d'un lot constitutif de sa résidence secondaire devait être regardé comme l'occupant effectivement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975, 1er du décret d'application n° 77-742 du 30 juin 1977, et 1115 du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
10. L'exercice du droit de préemption institué à l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 au profit des locataires et des occupants de bonne foi de locaux à usage d'habitation, est subordonné, en application des dispositions de l'article 1er du décret n° 77-742 du 30 juin 1977, à la condition d'occuper effectivement les lieux.
11. Ayant exactement énoncé que la notion de résidence principale n'est pas visée à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975, qui retient la qualité d'occupant ou de locataire de bonne foi, et que la référence, par la société requérante, à la loi du 1er septembre 1948 pour l'appréciation de la condition d'occupation effective n'est pas pertinente, dès lors que celle-ci a pour objet le maintien dans les lieux et non l'octroi d'un droit de préemption, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. La société [Adresse 3] fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'administration fiscale, commentant les dispositions de l'article 1115 du code général des impôts, a, dans son instruction du 18 avril 2011, 7 C-2-11 n° 14, reprise à l'identique sous la référence BOI-ENR-DMTOI-10-50 n° 110, 22-3-2013, publiée au Bofip, énoncé que, "lorsqu'à l'échéance du délai de cinq ans, l'engagement de revendre n'est respecté que pour une fraction du bien sur lequel il portait, l'acquéreur est redevable des droits dont il a été dispensé, ainsi que des frais et intérêts de retard qui en résultent, à hauteur de la différence entre le prix auquel il avait acquis le bien et le prix auquel a été vendu la (ou les) fraction du bien pour laquelle l'engagement a été respecté. Cette solution s'applique par parcelle ou lot lorsque leur prix d'acquisition a été distingué dans l'acte" ; que ce commentaire a été suivi d'un exemple dans lequel ont été envisagés le cas où l'acte d'acquisition ne distinguait pas le prix par lot, et celui où l'acte ventilait le prix par lot ; qu'il en résulte que l'interprétation de l'article 1115 donnée par l'administration fiscale, dont la société [Adresse 3] s'est prévalue, n'est pas subordonnée à la condition que l'acte d'acquisition ventile le prix par lot, cette hypothèse n'étant qu'un cas de figure particulier par rapport à un principe plus général exposé par la doctrine administrative ; qu'en jugeant que cette doctrine ne s'appliquait que par parcelle ou lot lorsque leur prix d'acquisition avait été distingué dans l'acte, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, la cour d'appel a méconnu le sens clair et précis et a violé l'interdiction de dénaturer les documents de la cause. »
Réponse de la Cour
13. Aux termes de l'article L.80 A, alinéa 2, du livre des procédures fiscales, lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, celle-ci ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. La doctrine formellement admise par l'administration ne peut cependant être invoquée que selon ses termes et sa teneur en vigueur à l'époque des impositions litigieuses.
14. Le fait générateur des droits d'enregistrement est l'acte de mutation. Il en résulte que l'inobservation de l'engagement de revente, en considération duquel le paiement de ces droits a été différé, entraîne la déchéance du régime de faveur prévu à l'article 1115 du code général des impôts et que cette déchéance rend exigibles les droits de mutation qui auraient été dus au jour de la présentation de l'acte à la formalité.
15. L'arrêt constate que la société [Adresse 3] a, le 30 septembre 2010, acquis l'ensemble immobilier litigieux au titre duquel elle a bénéficié du régime de faveur prévu à l'article 1115 du code général des impôts.
16. Il en résulte que l'instruction du 18 avril 2011 n° 7 C-2-11, qui est postérieure au fait générateur de l'imposition en litige, ne peut être invoquée par la société [Adresse 3] au soutien de sa contestation de cette imposition.
17. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [Adresse 3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [Adresse 3] et la condamne à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille vingt-quatre.