LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 février 2024
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 79 F-D
Pourvois n°
A 22-19.385
B 22-19.386
T 22-21.862
V 22-21.864
U 22-23.496
W 22-23.498 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 FÉVRIER 2024
I - La société Hager Controls, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé les pourvois n° A 22-19.385 et B 22-19.386 contre les arrêts n° RG : 21/00888 et 21/01351 rendus le 25 mai 2022 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans les litiges l'opposant :
1°/ à la société Asteel électronique Tunisie, dont le siège est [Adresse 1] (Tunisie), société de droit tunisien,
2°/ à la société Chubb european group SE, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société Infineon technologies AG, dont le siège est [Adresse 5] (Allemagne), société de droit allemand,
4°/ à la société Rutronik, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
5°/ à la société Rutronik Elektronische Bauelemente GmbH, dont le siège est [Adresse 6] (Allemagne),
défenderesses à la cassation.
La société Asteel électronique Tunisie a formé un pourvoi incident contre les mêmes arrêts.
II - La société Infineon Technologies AG, société de droit allemand, a formé les pourvois n° T 22-21.862 et V 22-21.864 contre les mêmes arrêts, dans les litiges l'opposant :
1°/ à la société Hager Controls, société par actions simplifiée,
2°/ à la société Asteel Electronique Tunisie,
3°/ à la société Chubb European Group SE,
4°/ à la société Rutronik, société par actions simplifiée,
5°/ à la société Rutronik Elektronische Bauelemente GmbH, société de droit allemand,
défenderesses à la cassation.
La société Asteel électronique Tunisie a formé un pourvoi incident contre les mêmes arrêts.
III - La société Chubb European Group SE, a formé les pourvois n° U 22-23.496 et W 22-23.498 contre les mêmes arrêts, dans les litiges l'opposant :
1°/ à la société Asteel électronique Tunisie, société de droit tunisien,
2°/ à la société Infineon technologies AG, société de droit allemand,
3°/ à la société Rutronik, société par actions simplifiée,
4°/ à la société Rutronik Elektronische Bauelemente GmbH, société de droit allemand
5°/ société Hager Controls, société par actions simplifiée,
défenderesses à la cassation.
La société Asteel électronique Tunisie a formé un pourvoi incident contre les mêmes arrêts.
La société Hager Controls, demanderesse aux pourvois principaux n° A 22-19.385 et B 22-19.386, invoque, à l'appui de chacun de ses recours, un moyen unique de cassation.
La société Infineon Technologies AG, demanderesse aux pourvois principaux n° T 22-21.862 et V 22-21.864, invoque, à l'appui de chacun de ses recours, deux moyens de cassation.
La société Chubb European Group SE, demanderesse aux pourvois principaux n° U 22-23.496 et W 22-23.498 invoque, à l'appui de chacun de ses recours, un moyen unique de cassation.
La demanderesse aux pourvois incidents invoque, à l'appui de ses recours, deux moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Hager Controls, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Infineon Technologies AG, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Chubb European Group SE, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Asteel Electronique Tunisie, de Me Haas, avocat des sociétés Rutronik et Rutronik Elektronische Bauelemente GmbH, après débats en l'audience publique du 19 décembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° A 22-19.385, B 22-19.386, T 22-21.862, U 22-23.496, V 22-21.864 et W 22-23.498 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Colmar, 25 mai 2022, RG 21/00888 et 21/01351), la société Hager Controls (Hager) produit des boîtiers de commande électronique contenant des cartes d'alimentation fabriquées par la société Asteel électronique Tunisie (Asteel), dont les composants sont fournis par les sociétés Rutronik et Rutronik Elektronische Bauelemente (les sociétés Rutronik), lesquelles les acquièrent auprès de la société Infineon Technologies (Infineon) en vertu d'un contrat de distribution conclu le 31 janvier 2006, stipulant une clause compromissoire.
3. A la suite de dysfonctionnements affectant les cartes d'alimentation, la société Hager a assigné la société Asteel en garantie des vices cachés. Cette dernière a appelé en garantie les sociétés Rutronik et Infineon qui ont soulevé devant le juge de la mise en état une exception d'incompétence tirée de la clause compromissoire et sollicité le renvoi devant un tribunal arbitral pour connaître de l'ensemble du litige.
4. La société Chubb European Group (Chubb) est intervenue volontairement à la procédure en qualité d'assureur de la société Hager.
Examen des moyens
Sur le premier moyen des pourvois principaux de la société Infineon, sur le premier moyen des pourvois incidents de la société Asteel sur les pourvois n° T 22-21.862 et V 22-21.864, sur le moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, des pourvois principaux de la société Chubb, sur le moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, des pourvois incidents de la société Asteel sur les pourvois n° W 22-23.498, U 22-23.496, sur le moyen, pris en ses deux premières branches, des pourvois principaux de la société Hager, et sur le moyen, pris en ses deux premières branches, des pourvois incidents de la société Asteel sur les pourvois n° A 22-19.385 et B 22-19.386
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen des pourvois principaux de la société Infineon et des pourvois incidents de la société Asteel sur les pourvois n° T 22-21.862 et V 22-21.864, rédigés en termes identiques, joints et sur le moyen, pris en sa première branche des pourvois principaux de la société Chubb, sur le moyen, pris en sa première branche, des pourvois incidents de la société Asteel sur les pourvois n° W 22-23.498, et U 22-23.496, rédigés en termes identiques
Enoncé des moyens
6. La société Infineon et la société Asteel font grief aux arrêts de rejeter la demande en rectification d'erreur matérielle commise par le juge de la mise en état et, en conséquence, de confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Strasbourg le 22 janvier 2021 en ce qu'il « se déclare incompétent pour connaître de la demande principale formée par la société Hager Controls à l'encontre des sociétés Asteel Electronique Tunisie et Asteel Flash Tunisie, ainsi que pour connaître des appels en garantie formés par les sociétés Asteel Electronique Tunisie et Asteel Flash Tunisie à l'encontre de la société Rutronik, de la société Rutronik Elektronische Bauelemente Gmbh et de la société Infineon AG », alors que « la contradiction existant entre les motifs et le dispositif d'une décision procède d'une erreur matérielle qui doit, selon l'article 462 du code de procédure civile, être réparée soit par la juridiction qui l'a rendue soit par celle à laquelle elle est déférée ; qu'il résulte clairement des motifs de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Strasbourg du 22 janvier 2021 qu'il a jugé le tribunal judiciaire de Strasbourg incompétent en raison de l'existence de la clause compromissoire qui s'imposait à toutes les parties au litige, celui-ci ayant au demeurant, dans le dispositif de son ordonnance, renvoyé les parties à mieux se pourvoir en considération de cette clause ; qu'en refusant de faire droit à la demande de rectification d'erreur matérielle du dispositif présentée par la société Infineon, motifs pris que le juge de la mise en état a fait droit à une demande qui lui était présentée et que cela conduirait à modifier le sens de la décision entreprise, la cour d'appel a violé l'article 462 du code de procédure civile. »
7. La société Chubb et la société Asteel font grief aux arrêts de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état en ce qu'il s'était déclaré incompétent pour connaître de la demande principale formée par la société Hager à l'encontre des sociétés Asteel et Asteel Flash Tunisie, ainsi que pour connaître des appels en garantie formés par les sociétés Asteel et Asteel Flash Tunisie à l'encontre de la société Rutronik, de la société Rutronik Elektronische Bauelemente Gmbh et de la société Infineon, et en ce qu'il avait renvoyé les parties à mieux se pourvoir au regard de la clause compromissoire attribuant compétence à un tribunal arbitral désigné conformément au règlement d'arbitrage de la Deutsche Institution fur Schiedsgerichstarbeit e.V. (DIS) à Cologne, alors « que l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel ; que si l'ordonnance dont appel, rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Strasbourg, disait, au premier chef de son dispositif, que le juge de la mise en état "se déclar[ait] incompétent pour connaître de la demande principale formée par la société Hager Controls à l'encontre des sociétés Asteel Electronique Tunisie et Asteel Flash Tunisie, ainsi que pour connaître des appels en garantie formés par les sociétés Asteel Electronique Tunisie et Asteelflash Tunisie à l'encontre de la société Rutronik Elektronische Bauelemente Gmbh et de la société Infineon A.G." (soulignement ajouté), elle comportait aussi un second chef de dispositif "renvo[yant] les parties à mieux se pourvoir au regard de la clause compromissoire attribuant compétence à un tribunal arbitral désigné conformément au règlement d'arbitrage de la Deutsche Institution für Schiedsgerichstarbeit e.V. (DIS) à Cologne", chef de dispositif se rapportant à l'affaire en son entier et ne pouvant donc se concevoir que relativement à la compétence de la juridiction saisie du litige et non de son seul juge de la mise en état que de surcroît, les motifs de ladite ordonnance n'avaient trait qu'à la compétence du tribunal judiciaire et non à celle du juge de la mise en état ; qu'il suit de là que la chose jugée par le juge de la mise en état, et donc remise en question par l'effet dévolutif de l'appel, avait trait, non à la compétence de ce dernier, mais à celle du tribunal judiciaire en son entier ; qu'en affirmant au contraire, pour confirmer l'ordonnance entreprise, que "le juge de la mise en état a[vait] ordonné ce renvoi sans statuer sur la compétence du Tribunal judiciaire de Strasbourg", la cour d'appel a violé l'article 561 du code de procédure civile ; »
Réponse de la Cour
8. Le vice allégué par les moyens procède d'une erreur purement matérielle.
En effet, le chef du dispositif de l'ordonnance par lequel le juge de la mise en état se déclare lui-même incompétent est contradictoire avec les motifs, qui répondent à une exception d'incompétence du tribunal, ainsi qu'avec le chef de dispositif qui renvoie les parties à se pourvoir devant une juridiction arbitrale.
9. La rectification de cette erreur sera ci-après ordonnée. Les moyens ne peuvent donc être accueillis.
Sur le moyen, pris en sa cinquième branche, des pourvois principaux de la société Chubb, sur le moyen, pris en sa cinquième branche, des pourvois incidents sur les pourvois U 22-23.496 et W 22-23.498 de la société Asteel, sur le moyen, pris en sa troisième branche, des pourvois principaux de la société Hager, sur le moyen, pris en sa troisième branche, des pourvois incidents sur les pourvois n° A 22-19.385 et B 22-19.386 de la société Asteel , joints
Enoncé des moyens
10. Par son moyen, la société Chubb fait le même grief aux arrêts, alors « que dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu'accessoire du droit d'action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis ; que la clause s'applique à toute action fondée sur le contrat dont elle est l'accessoire ; qu'en retenant que la clause compromissoire accessoire du contrat conclu entre les sociétés Rutronik et Infineon devait recevoir application s'agissant de l'action exercée par la société Hager Controls contre la société Asteel Electronique sur le fondement du contrat conclu entre elles et qui ne prévoyait aucun recours à l'arbitrage, la cour d'appel a violé les articles 1165 du code civil et 1448 et 1506 du code de procédure civile. »
11. Par son moyen sur les pourvois U 22-23.496 et W 22-23.498, la société Asteel fait le même grief aux arrêts, alors « que dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu'accessoire du droit d'action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis ; que la clause s'applique à toute action fondée sur le contrat dont elle est l'accessoire ; qu'en retenant que la clause compromissoire accessoire du contrat conclu entre les sociétés Rutronik et Infineon devait recevoir application s'agissant de l'action en garantie exercée par la société Asteel Electronique contre les sociétés Rutronik et Infineon sur le fondement du contrat conclu entre elles et qui ne prévoyait aucun recours à l'arbitrage, la cour d'appel a violé les articles 1165 du code civil et 1448 et 1506 du code de procédure civile. »
12. Par son moyen, la société Hager fait le même grief aux arrêts, alors « que dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu'accessoire du droit d'action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis ; que la clause s'applique à toute action fondée sur le contrat dont elle est l'accessoire ; qu'en retenant que la clause compromissoire accessoire du contrat conclu entre les sociétés Rutronik et Infineon devait recevoir application s'agissant de l'action exercée par la société Hager Controls contre la société Asteel Electronique sur le fondement du contrat conclu entre elles et qui ne prévoyait aucun recours à l'arbitrage, la cour d'appel a violé les articles 1165 du code civil et 1448 et 1506 du code de procédure civile. »
13. Par son moyen sur les pourvois n° A 22-19.385 et B 22-19.386, la société Asteel fait le même grief aux arrêts, alors « que dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu'accessoire du droit d'action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis ; que la clause s'applique à toute action fondée sur le contrat dont elle est l'accessoire ; qu'en retenant que la clause compromissoire accessoire du contrat conclu entre les sociétés Rutronik et Infineon devait recevoir application s'agissant de l'action en garantie exercée par la société Asteel Electronique contre les sociétés Rutronik et Infineon sur le fondement du contrat conclu entre elles et qui ne prévoyait aucun recours à l'arbitrage, la cour d'appel a violé les articles 1165 du code civil et 1448 et 1506 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
14. Selon l'article 1448 du code de procédure civile, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.
15. Ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que selon le rapport d'expertise judiciaire, les défaillances des cartes d'alimentation livrées à la société Hager par la société Asteel étaient imputables aux défauts affectant les composants vendus à ces sociétés par les sociétés Rutronik et acquis par ces dernières auprès du fabricant, la société Infineon, en vertu d'un contrat de distribution stipulant une clause compromissoire, la cour d'appel a pu en déduire qu'il n'était pas établi que cette clause fût manifestement inapplicable dans les relations entre l'ensemble des parties liées par des contrats translatifs de propriété, qu'elles aient ou non assigné le fabricant du composant défectueux.
16. Les moyens ne sont donc pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Vu l'article 462 du code de procédure civile :
Ajoute au dispositif des arrêts attaqués :
« Dit que dans le dispositif de l'ordonnance entreprise les mots « se déclare incompétent » sont remplacés par les mots « déclare le tribunal incompétent » ;
REJETTE les pourvois ;
Condamne les sociétés Hager Controls, Asteel électronique Tunisie et Chubb European Group aux dépens ;
Rejette les demandes formées par les sociétés Hager Controls et Chubb European Group au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et condamne la société Hager Controls et la société Chubb European Group, chacune, à payer aux sociétés Rutronik et Rutronik Elektronische Bauelemente la somme globale de 3 000 euros, la société Hager Controls à payer à la société Infineon Technologies la somme de 3 000 euros, et la société Asteel électronique Tunisie à payer aux sociétés Rutronik et Rutronik Elektronische Bauelemente la somme globale de 1 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille vingt-quatre.