LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 février 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 72 F-B
Pourvoi n° N 22-10.403
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 FÉVRIER 2024
M. [D] [X], domicilié [Adresse 3], mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société SETIL aéroport, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° N 22-10.403 contre l'arrêt rendu le 14 octobre 2021 par la cour d'appel de Papeete (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires), direction générale de l'aviation civile, [Adresse 4],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Papeete, domicilié en son parquet général, cour d'appel de Papeete, [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de Me Bertrand, avocat de M. [X], ès qualités, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, direction générale de l'aviation civile, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 décembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 14 octobre 2021), par un arrêté du 22 décembre 2006 portant autorisation d'occupation temporaire (AOT) du domaine public des aérodromes de [Localité 8], [Localité 2], [Localité 6] et [Localité 7], le Haut-commissaire de la République en Polynésie française (le haut-commissaire) a confié à la Société d'équipement de Tahiti et des îles aéroport (la société SETIL) « la réalisation, l'entretien, le renouvellement, l'exploitation, la surveillance, le développement et la promotion d'ouvrages, terrains, bâtiments, installations, matériels, réseaux et services nécessaires au fonctionnement ». Cette AOT, modifiée par un arrêté du 27 juin 2008, puis prolongée par un arrêté du 30 décembre 2009, a pris fin le 31 mars 2010.
2. Par une « note » en date du 19 avril 2010, le haut-commissaire a désigné, en la personne du directeur du service d'Etat de l'aviation civile en Polynésie française (le directeur) dépendant de la direction de l'aviation civile au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, un administrateur liquidateur de l'AOT, en se fondant sur les dispositions de l'article 33 de l'arrêté du 22 décembre 2006, prévoyant l'intervention d'un administrateur liquidateur pour « établir les inventaires, régler les dépenses arriérées, gérer et arrêter les fonds de réserve et, d'une manière générale, procéder à tous actes d'administration propres à faciliter le règlement des comptes des aéroports, les opérations de transfert et la continuation de l'exploitation ».
3. La société SETIL a été mise en liquidation judiciaire le 13 mai 2013, M. [X] étant désigné liquidateur. Le 21 juin 2013, le directeur, agissant en qualité d'administrateur liquidateur de l'AOT, a déclaré une créance « de l'ex-concession des aérodromes d'Etat ». La régularité de la déclaration de créance a été contestée par le liquidateur. Le juge-commissaire a rejeté la créance par une ordonnance du 13 novembre 2017 dont il a été fait appel.
4. Par un arrêt du 26 septembre 2019, la cour d'appel a invité les parties à saisir le juge administratif d'une question préjudicielle ayant pour objet de savoir si le directeur, agissant en qualité d'administrateur liquidateur de l'AOT, avait ou non qualité pour procéder à la déclaration de créance du 21 juin 2013, et a sursis à statuer.
5. Par un jugement du 24 novembre 2020, le tribunal administratif a déclaré que le directeur n'avait pas qualité pour procéder à la déclaration de créance.
6. Par un nouvel arrêt du 14 octobre 2021, la cour d'appel a ordonné le sursis à statuer jusqu'à ce qu'il soit justifié par la partie la plus diligente soit de la non-saisine de la juridiction administrative aux fins d'annulation éventuelle de l'acte administratif ou des actes administratifs sur le fondement desquels la déclaration de créance en cause a été faite, soit du jugement définitif d'un tel recours par la juridiction administrative.
Recevabilité du pourvoi contestée par la défense
7. Le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie soulève l'irrecevabilité du pourvoi sur le fondement de l'article 380-1 du code de procédure civile.
8. Selon ce texte, la décision de sursis à statuer rendue en dernier ressort ne peut être attaquée par la voie du pourvoi en cassation que pour violation de la règle de droit. Tel est le cas, dès lors qu'il est soutenu que la cour d'appel a, à tort, ordonné un sursis à statuer obligatoire pour poser une question préjudicielle à la juridiction administrative.
9. Le pourvoi est donc recevable.
Examen du moyen
Sur le moyen
Enoncé du moyen
10. M. [X], ès qualités, fait grief à l'arrêt d'ordonner le sursis à statuer, de dire que l'instance sera reprise comme il est dit à l'article 212 du code de procédure civile de la Polynésie française et de renvoyer pour ordre l'affaire à l'audience des mises en état du vendredi 28 janvier 2022 à 8h30, alors « que commet un excès de pouvoir négatif, aboutissant à un déni de justice, le juge judiciaire qui refuse de statuer en restreignant à tort l'étendue de son pouvoir de juger ; que si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ; que la cour d'appel a ordonné le sursis à statuer sur la question de la validité de la déclaration de créance régularisée par l'administrateur-liquidateur de l'AOT, jusqu'à ce qu'il soit justifié d'un recours ou d'une absence de recours devant la juridiction administrative "aux fins d'annulation éventuelle de l'acte administratif ou des actes administratifs sur le fondement desquels la déclaration de créance en cause a été faite" ; qu'en statuant ainsi, sans trancher la question de la validité de cette déclaration de créance dont le juge administratif, par jugement du 24 novembre 2020 non frappé de recours, rendu à la suite de la question préjudicielle qu'elle avait elle-même posée, avait déjà constaté qu'elle avait été régularisée par une autorité incompétente pour le faire, cette décision s'inscrivant dans le sens d'un arrêt du Conseil d'Etat du 28 décembre 2018, la cour d'appel, qui se trouvait en présence d'une "jurisprudence établie" lui permettant de trancher immédiatement la question de la compétence de l'auteur de la déclaration de créance litigieuse, a méconnu l'étendue de son pouvoir de juger et commis un déni de justice en violation de l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 Fructidor an III. »
Réponse de la Cour
11. Si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal (Tribunal des conflits, 17 octobre 2011, pourvoi n° 11-03.828, 11-03.829, Bull. 2011, n° 24, SCEA du Chéneau c/ Inaporc). Il en résulte que si le juge judiciaire civil jouit, à certaines conditions, de la faculté de trancher lui-même la légalité d'un acte administratif contestée, il n'est pas tenu de le faire s'il estime qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, il lui apparaît qu'il ne peut pas accueillir la contestation dont il est saisi.
12. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [X], en qualité de liquidateur de la Société d'équipement de Tahiti et des îles (SETIL) aéroport, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille vingt-quatre et signé par lui et Mme Vaissette, conseiller doyen qui en a délibéré, en remplacement de Mme Bélaval, conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.