LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 janvier 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 30 F-D
Pourvoi n° Q 22-12.222
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 24 JANVIER 2024
1°/ M. [Z] [L],
2°/ Mme [E] [L],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° Q 22-12.222 contre l'arrêt rendu le 2 février 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Banque Palatine, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Compagnie européenne de garanties et cautions, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de Me Soltner, avocat de M. et Mme [L], de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Compagnie européenne de garanties et cautions, après débats en l'audience publique du 28 novembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 février 2022), suivant offre acceptée le 1er février 2016, M. et Mme [L] (les emprunteurs) ont souscrit auprès de la société Banque Palatine (la banque) un crédit immobilier destiné à financer l'acquisition de leur résidence principale, garanti par le cautionnement de la société Compagnie européenne de garanties et de cautions (la caution).
2. Après avoir prononcé la déchéance du terme au motif que les fonds prêtés n'avaient pas été affectés à l'opération déclarée au contrat, la banque a assigné les emprunteurs en paiement. La caution, ayant réglé la banque en cours d'instance, est intervenue volontairement devant la cour d'appel en se prévalant de la subrogation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer à la caution une certaine somme, alors « qu'est abusive la clause qui autorise la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues en cas d'affectation des fonds par le préteur à la réalisation d'une opération différente ce que prévoyait le contrat de prêt, en ce qu'elle est de nature à laisser croire que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l'existence de cette non-conformité et que l'emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance immédiate du terme ; qu'en jugeant qu'une telle clause, sur le fondement de laquelle la société Banque Palatine a prononcé la déchéance du terme et l'exigibilité immédiate des sommes prêtées, ne présentait pas de caractère abusif, la cour d'appel a violé l'article L. 212-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel, qui a relevé que la stipulation critiquée limitait la faculté de prononcer l'exigibilité immédiate et de plein droit du prêt à l'inobservation par l'emprunteur de l'obligation d'employer les fonds à l'opération désignée au contrat, condition déterminante du consentement du prêteur dans l'octroi du prêt, et qui a retenu que cette faculté ne privait pas l'emprunteur de recourir à un juge pour contester l'application qui serait faite de la clause à son égard, en a déduit, à bon droit, que la clause litigieuse, qui sanctionnait l'obligation de contracter de bonne foi, ne créait pas un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties et ne revêtait pas un caractère abusif.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
6. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à faire juger irrégulière la déchéance du terme et, en conséquence, de les condamner solidairement à payer à la caution une certaine somme, tout en rejetant leur demande de dommage et intérêts, alors « que la déchéance encourue du fait d'un manquement de l'emprunteur doit être précédée d'une mise en demeure propre à ce grief, sans que la banque puisse se prévaloir de l'envoi d'une mise en demeure antérieure afférent à un manquement d'une autre nature non retenu à l'appui de la décision prononçant la déchéance du terme ; en sorte qu'en considérant que la banque avait valablement pu prononcer la déchéance du terme par lettre du 6 décembre 2017, sur la base d'une mise en demeure antérieure du 24 octobre 2017 qui visait d'autres griefs qu'une utilisation non conforme des fonds prêtés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil devenu l'article 1231-1 du code civil nouveau. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1134, 1147 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
7. Si le contrat de prêt d'une somme d'argent peut prévoir que la défaillance de l'emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d'une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle, quelle que soit la nature de la défaillance en cause. La déchéance du terme ne peut être prononcée pour une autre cause que celle invoquée dans cette mise en demeure.
8. Pour condamner les emprunteurs en paiement du solde du prêt, l'arrêt, après avoir constaté que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 24 octobre 2017, la banque leur avait demandé de lui transmettre sous huitaine leurs justificatifs d'identité, de domicile et d'activité, à défaut de quoi la déchéance du terme serait prononcée, retient que la banque pouvait prononcer celle-ci, conformément à ce qu'elle annonçait dans sa lettre, au motif que l'opération financée n'était pas conforme à l'opération réalisée.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire de la société Compagnie européenne de garanties et de cautions, rejeté la fin de non recevoir opposée par la société Banque Palatine à la demande de dommages et intérêts de M. et Mme [L], et débouté ceux-ci de toutes leurs demandes, l'arrêt rendu le 2 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société Banque Palatine et la société Compagnie européenne de garanties et de cautions aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Compagnie européenne de garanties et de cautions et condamne la société Banque Palatine et la société Compagnie européenne de garanties et de cautions à payer à M. et Mme [L] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt-quatre.