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17/01/2024 | FRANCE | N°52400021

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 17 janvier 2024, 52400021


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


ZB1






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 17 janvier 2024








Cassation partielle




Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président






Arrêt n° 21 F-D


Pourvoi n° A 22-13.704








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRAN

ÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 JANVIER 2024


La société MACC, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 22-13.704 contre l'arrêt rendu le 1...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 janvier 2024

Cassation partielle

Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 21 F-D

Pourvoi n° A 22-13.704

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 JANVIER 2024

La société MACC, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 22-13.704 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à M. [T] [M], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société MACC, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [M], après débats en l'audience publique du 29 novembre 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 16 décembre 2021), M. [M] a été engagé en qualité de voyageur représentant placier (VRP) par la société MACC le 23 novembre 2009 avec pour secteur, les Hautes-Alpes, la Drôme et le sud de l'Isère. Ce secteur géographique a été modifié par trois avenants conclus le 7 juillet 2011, à effet au 1er janvier 2012. A compter du 1er décembre 2015, le salarié a été en congé sabbatique pour une durée d'un an.

2. Le 5 juillet 2016, le salarié a été licencié.

3. Le 27 septembre 2016, il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en nullité des avenants pour dol et afin de contester son licenciement.

Examen des moyens

Sur le second moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt d'annuler les trois avenants à effet du 1er janvier 2012 régularisés entre lui et le salarié, alors :

« 1°/ que le dol suppose des manoeuvres dolosives ; qu'en l'espèce, l'employeur faisait valoir, preuves à l'appui, que le délai de plus d'un mois laissé au salarié pour prendre sa décision sur les projets d'avenants qui lui avaient été transmis, lui laissait le temps de réfléchir à ce qui lui était proposé et de solliciter des renseignements complémentaires, que des explications utiles lui avaient été délivrées avant la formulation des propositions, que le salarié avait connaissance des incidences des modifications de son secteur de prospection puisqu'il avait déjà travaillé sur ce secteur auparavant ; qu'en se bornant à relever que l'employeur avait prévu, dans le contrat de travail du 23 novembre 2009, une clause illégale lui permettant de se réserver la faculté de modifier unilatéralement l'attribution territoriale du VRP, mais jamais mise en oeuvre, et qu'il avait adressé au salarié, le 7 juillet 2011, des projets d'avenants devant être retournés, paraphés et signés pour le 12 août au plus tard et prenant effet au 1er janvier 2012, dans le cadre d'une réorganisation générale du découpage des secteurs géographiques des VRP, envisagée en juillet 2011 en raison d'un motif économique, sans cependant suivre la procédure de modification des contrats de travail prévue dans ce cas, et sans informer le salarié sur la possibilité et les conséquences d'un refus de signer lesdits avenants, d'une part, que ces derniers emportaient une modification contractuelle de la rémunération (taux de commissionnement) et du secteur géographique de prospection, d'autre part, la cour d'appel a statué par des motifs insuffisants à caractériser des manoeuvres de la part de l'employeur, et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109, devenu 1130, et 1116, devenu 1137, du code civil ;

2°/ que le dol suppose une intention dolosive ; qu'en l'espèce, en se bornant à relever que de l'aveu de l'employeur, la modification du secteur géographique du salarié s'était inscrite dans un projet global d'entreprise, impliquant l'évolution des secteurs de tous les commerciaux de l'entreprise, de sorte que l'éventuel refus isolé d'un seul d'entre eux ne pouvait que compromettre la mise en oeuvre du projet de réorganisation, la cour d'appel, qui a statué par des motifs insuffisants à caractériser l'intention dolosive de l'employeur, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109, devenu 1130, et 1116, devenu 1137, du code civil ;

3°/ le dol n'est une cause de nullité de la convention que lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à relever que l'employeur avait prévu, dans le contrat de travail du 23 novembre 2009, une clause illégale lui permettant de se réserver la faculté de modifier unilatéralement l'attribution territoriale du VRP, n'ayant jamais été mise en oeuvre, et qu'il avait adressé au salarié, le 7 juillet 2011, des projets d'avenants devant être retournés, paraphés et signés pour le 12 août au plus tard et prenant effet au 1er janvier 2012, dans le cadre d'une réorganisation générale du découpage des secteurs géographiques des VRP, envisagée en juillet 2011 en raison d'un motif économique sans mettre en oeuvre la procédure de modification des contrats de travail prévue dans ce cas, et sans informer le salarié sur la possibilité et les conséquences de refuser de signer lesdits avenants, d'une part, que ces derniers emportaient une modification contractuelle de la rémunération (taux de commissionnement) et du secteur géographique de prospection, d'autre part ; qu'en statuant ainsi, sans à aucun moment expliquer en quoi la clause de modification unilatérale du secteur géographique du VRP contenue dans son contrat de travail et le silence de l'employeur sur la possibilité et les conséquences d'un refus de M. [M] de signer les avenants proposés emportant une modification de son secteur géographique de prospection et de sa rémunération, avaient déterminé son consentement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109, devenu 1130, et 1116, devenu 1137, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

6. Aux termes de ce texte, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.

7. Pour annuler les trois avenants au contrat de travail conclus le 7 juillet 2011 à effet au 1er janvier 2012, l'arrêt retient que le salarié rapporte la preuve de manoeuvres dolosives de l'employeur, déterminantes de son consentement lors de la signature de ces avenants, ayant consisté, d'une part, à prévoir une clause illégale dans le contrat de travail du 23 novembre 2009 aux termes de laquelle « toutefois, la maison représentée se réserve la faculté de modifier et/ou de réduire cette attribution territoriale sans que le représentant puisse se prévaloir d'un dommage quelconque », ce qui revient à permettre à l'employeur de modifier de manière unilatérale le contrat de travail du VRP dans des conditions parfaitement contraires à l'article L. 7311-3 du code du travail d'ordre public, d'autre part, à prendre l'initiative d'un projet de réorganisation générale du découpage des secteurs géographiques des VRP en juillet 2011 visant, d'après l'employeur, à assurer la pérennité de son positionnement sur son marché, ce qui s'analyse incontestablement en un projet de réorganisation économique, sans mettre en oeuvre la procédure de modification des contrats de travail pour motif économique mais en adressant au salarié, par courrier du 7 juillet 2011, des projets d'avenants dont un exemplaire devait être retourné « paraphé et signé pour le 12 août au plus tard », ce courrier restant taisant sur la possibilité et les conséquences, pour le salarié, d'un refus de signature de l'avenant.

8. L'arrêt en conclut que, sous le couvert d'un avenant supposé librement négocié entre les parties, le salarié n'avait, en réalité, d'autre alternative que de signer cet avenant, qui n'était que la déclinaison du pouvoir unilatéral que s'était octroyé l'employeur préalablement en insérant une clause, à son seul bénéfice, de modification unilatérale du secteur d'activité du salarié, avec une incidence directe sur sa rémunération, parfaitement illicite. L'arrêt ajoute que, de l'aveu même de l'employeur, la modification du secteur géographique du salarié s'est inscrite dans un projet global d'entreprise, impliquant l'évolution des secteurs de tous les commerciaux de l'entreprise, de sorte que l'éventuel refus isolé d'un seul d'entre eux ne pouvait que compromettre la mise en oeuvre du projet de réorganisation.
9. Il retient encore que cette modification imposée par l'employeur a porté sur un élément essentiel du contrat de travail du salarié affectant sa rémunération puisque, outre le changement de son secteur géographique de prospection qui s'étendait initialement sur les départements des Hautes-Alpes, de la Drôme et de l'Isère (partie Sud) pour être ensuite limité à des unités de production correspondant à des villes précisément définies, ce qui a conduit à une diminution des prospects, de l'aveu même de l'employeur, le salarié a vu son taux de commissionnement réduit de 16 % à 15 %.

10. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser des manoeuvres dolosives de la part de l'employeur et leur caractère déterminant sur le consentement du salarié, et sans constater l'intention de tromper de l'employeur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

11. La cassation prononcée n'entraîne pas la cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à son encontre et non remises en causes.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule les trois avenants contractuels à effet du 1er janvier 2012 régularisés entre la société MACC et M. [M], l'arrêt rendu le 16 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne M. [M] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52400021
Date de la décision : 17/01/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 16 décembre 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 17 jan. 2024, pourvoi n°52400021


Composition du Tribunal
Président : Mme Monge (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Origine de la décision
Date de l'import : 23/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:52400021
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