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16/01/2024 | FRANCE | N°C2400024

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 16 janvier 2024, C2400024


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° Y 23-81.625 FS-D


N° 00024




GM
16 JANVIER 2024




IRRECEVABILITE
CASSATION PARTIELLE




M. BONNAL président,










R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 JANVIER 2024


M. [Z] [E] [R] a f

ormé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 mars 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de faux administratifs et usag...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° Y 23-81.625 FS-D

N° 00024

GM
16 JANVIER 2024

IRRECEVABILITE
CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 JANVIER 2024

M. [Z] [E] [R] a formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 mars 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de faux administratifs et usage, association de malfaiteurs et infractions à la législation sur les étrangers, travail dissimulé et blanchiment, aggravés, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Par ordonnance du 12 juin 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat des pourvois.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Chaline-Bellamy, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [Z] [E] [R], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chaline-Bellamy, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Maziau, Seys, Dary, Mme Thomas, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Aldebert, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [Z] [E] [R] a été mis en examen des chefs susmentionnés le 13 janvier 2022.

3. Le 13 juillet suivant, son avocat a déposé une requête en annulation de pièces de la procédure.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé par l'avocat de M. [R]

4. Selon l'article 576, alinéa 2, du code de procédure pénale, la déclaration de pourvoi doit être signée par le greffier et par le demandeur en cassation lui-même ou par un avocat près la juridiction qui a statué, ou par un fondé de pouvoir spécial ; dans ce dernier cas, le pouvoir est annexé à l'acte dressé par le greffier. Par ailleurs, l'article 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques prévoit que les avocats inscrits au barreau de l'un des tribunaux judiciaires de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre peuvent postuler auprès de chacune de ces juridictions et peuvent postuler auprès de la cour d'appel de Paris quand ils ont postulé devant l'un des tribunaux judiciaires de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de la cour d'appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal judiciaire de Nanterre.

5. Il en résulte que le pourvoi formé sans pouvoir spécial, le 21 mars 2023, par une avocate inscrite au barreau de Paris pour M. [R] contre l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles est irrecevable, dès lors que l'information est menée au tribunal judiciaire de Pontoise.

6. Seul est donc recevable le pourvoi formé par M. [R] lui-même.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le deuxième moyen

7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'ensemble de ses moyens de nullité, alors :

« 2°/ qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (notamment, CJUE, 5 avril 2022, Commissioner of An Garda Siochana, aff. C-140/20) que les autorités nationales compétentes en matière d'enquêtes pénales ne sauraient accéder aux données de trafic et de localisation conservées de manière généralisée et indifférenciée au titre de la sécurité nationale dans le cadre de poursuites pénales, et ce même par le biais de la technique de la conservation rapide ; qu'en admettant néanmoins l'exploitation des données de connexion de la ligne de M. [R] par le biais de la conservation rapide, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 15 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 modifiée, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

3°/ que l'absence de contrôle indépendant préalable à l'accès aux données de trafic et de localisation fait nécessairement grief au titulaire de la ligne téléphonique ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 15 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 modifiée, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble l'article 802 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. La Cour de cassation juge de manière constante, d'une part, que les dispositions de l'article L. 34, III du code des postes et communications électroniques, dans sa version issue de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, sont conformes au droit de l'Union en ce qu'elles imposent aux opérateurs de services de télécommunications électroniques de conserver de façon généralisée et indifférenciée les données de trafic et de localisation, aux fins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme, incriminés aux articles 410-1 à 422-7 du code pénal, qui poursuivent l'objectif de sauvegarde de la sécurité nationale, d'autre part, que les réquisitions prévues à l'article 77-1-1 du code de procédure pénale valent injonction de conservation rapide, au sens de la Convention du Conseil de l'Europe signée à Budapest le 23 novembre 2001.

10. Elle énonce encore que les données conservées par les opérateurs, soit pour leurs besoins propres, soit au titre de l'obligation de conservation générale imposée aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale, peuvent également l'être au titre de la conservation rapide, à la demande des enquêteurs par voie de réquisitions, pour la répression d'une infraction déterminée relevant de la criminalité grave et qu'il appartient à la juridiction saisie d'un moyen de nullité critiquant la régularité de ces réquisitions de vérifier que les éléments de fait justifiant la nécessité d'une telle mesure d'investigation répondent à un critère de criminalité grave et que la conservation rapide des données de trafic et de localisation et l'accès à celles-ci respectent les limites du strict nécessaire.

11. La Cour de cassation juge enfin que la méconnaissance des exigences du droit de l'Union européenne en matière d'accès aux données de trafic et de localisation n'affecte qu'un intérêt privé. Il en résulte que, s'agissant de l'exigence d'un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante qui vise, en pratique, à assurer le plein respect des conditions d'accès à ces données, notamment que l'ingérence est limitée à ce qui est strictement nécessaire, l'absence d'un tel contrôle ne peut faire grief au requérant que s'il établit l'existence d'une ingérence injustifiée dans sa vie privée et dans ses données à caractère personnel, de sorte que cet accès aurait dû être prohibé (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710, publié au Bulletin).

12. Il appartient à la chambre de l'instruction de s'assurer de ce que, d'une part, l'accès a porté sur des données régulièrement conservées, d'autre part, la ou les catégories de données visées, ainsi que la durée pour laquelle l'accès à celles-ci a eu lieu, étaient, au regard des circonstances de l'espèce, limitées à ce qui était strictement justifié par les nécessités de l'enquête.

13. Pour écarter le moyen de nullité tiré de la conservation et de l'exploitation des données de trafic et de localisation de la ligne téléphonique qu'utilisait M. [R], l'arrêt attaqué fait état d'une menace grave et réelle, actuelle ou prévisible sur la sécurité nationale en France depuis 1994, expose les principes dégagés par l'arrêt précité du12 juillet 2022 et retient que le requérant a qualité à agir en nullité, comme utilisateur de la ligne concernée.

14. Les juges énoncent qu'en l'espèce, les faits faisant l'objet de l'information sont passibles de vingt ans de réclusion criminelle pour les crimes de traite d'être humain en bande organisée et de dix ans d'emprisonnement pour les délits de blanchiment et d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de dix ans d'emprisonnement et relèvent, par leur ampleur et par leur structure, compte tenu du nombre de protagonistes et des moyens utilisés par ces derniers, de la criminalité organisée.

15. Ils ajoutent que c'est exclusivement dans le cadre de l'enquête, dont l'objet était délimité précisément, que les enquêteurs ont sollicité, pour une période limitée, des informations alors détenues par des opérateurs de téléphonie concernant la ligne du requérant en lien direct avec les infractions motivant les investigations, de sorte qu'agissant sur autorisation du procureur de la République, les enquêteurs pouvaient, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées par le requérant, accéder aux données de trafic et de localisation régulièrement conservées pour la finalité de la sauvegarde de la sécurité nationale.

16. Ils indiquent encore que les données de connexion ont, en l'espèce, été exploitées pour une durée de sept mois, dans les limites du strict nécessaire.

17. Ils en concluent dès lors que, s'il allègue avoir subi une atteinte à son droit à la vie privée, M. [R] ne justifie pas de la violation d'une des règles rappelées relevant du contrôle du juge, de sorte qu'il n'est justifié d'aucun grief.

18. C'est à tort que l'arrêt énonce que les enquêteurs pouvaient, sans méconnaître les dispositions conventionnelles, accéder aux données de trafic et de localisation sur l'autorisation du procureur de la République.

19. En effet, ladite autorisation ne peut satisfaire à l'exigence d'un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante.

20. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure dès lors que, après avoir constaté la qualité du requérant à agir en nullité, la chambre de l'instruction a relevé que, en présence d'infractions susceptibles d'avoir été commises par une organisation criminelle d'ampleur, relevant de la criminalité grave, la recherche effectuée sur une période de sept mois n'excédait pas les limites du strict nécessaire.

21. En conséquence, le moyen doit être écarté, sans qu'il soit besoin de recourir à un renvoi préjudiciel.

22. En effet, dès lors que les solutions ci-dessus exposées, dégagées par la Cour de cassation dans son arrêt précité à la lumière des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 2 mars 2021, H.K./Prokuratuur, C-746/18 ; CJUE, arrêt du 5 avril 2022, G.D./Commissioner of An Garda Síochána, C-140/20), n'ont pas été remises en cause dans les décisions les plus récentes de cette même Cour (CJUE, arrêt du 20 septembre 2022, VD et SR, C-339/20 et C-397/20), il n'y a pas lieu, en l'absence de doute raisonnable, de transmettre la question préjudicielle présentée à titre subsidiaire portant sur l'exploitation par l'usage de la conservation rapide, en matière de criminalité grave, de données de trafic et de localisation conservées aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'ensemble de ses moyens de nullité, alors « que seuls les personnels affectés au sein de l'agence nationale des données de voyage peuvent accéder directement au fichier API-PNR et, sur requête motivée, communiquer aux agents habilités à les recevoir des données de voyage ; il ressort de la procédure (D1748) qu'un agent de l'OCRIEST a procédé à des recherches auprès du fichier API-PNR, sans qu'il n'en ressorte par ailleurs que cet agent était affecté à l'agence nationale des données de voyage ou qu'il aurait sollicité cette dernière par requête motivée, de sorte qu'en refusant d'annuler le procès-verbal de recherches sur le fichier API-PNR, la chambre de l'instruction a méconnu les articles R. 232-13 et R. 232-15 du code de la sécurité intérieure. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

24. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

25. Pour dire n'y avoir lieu à supplément d'information et écarter le moyen de nullité tiré de la mention de recherches dans le procès-verbal établi le 4 mars 2021 (D1823) par un agent de l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST), l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort des articles R. 232-13 et R. 232-15 du code de la sécurité intérieure, dans leurs versions applicables à l'acte contesté, une distinction entre les services, d'une part, habilités à formuler des requêtes à l'Unité d'information passager (UIP) et à être destinataires des réponses, d'autre part, seulement habilités à être destinataires des données et informations.

26. Les juges ajoutent que ces textes ne précisent pas la forme de la requête pouvant saisir l'UIP, dont il est seulement indiqué qu'elle est motivée et précise la période de temps et la nature des éléments sur lesquels elle peut porter.

27. Ils relèvent qu'au demeurant, il ressort du procès-verbal établi le 4 mars 2021 par l'officier de police judiciaire, agissant dans le cadre d'une information judiciaire ouverte pour des faits relevant de formes graves de criminalité, telles que visées au paragraphe 1°) du III de l'article R. 232-15 susvisé, que les informations obtenues après recherches auprès du fichier API-PNR ont porté sur un vol aller pour le Pakistan le 23 février 2021, dont l'enquêteur avait déjà connaissance par l'interception technique de la ligne de M. [R].

28. En se déterminant ainsi, sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée et au besoin en procédant à un supplément d'information, si l'agent de l'OCRIEST appartenait à l'UIP, devenue Agence nationale des données de voyages, ou avait sollicité cette dernière par requête motivée, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

29. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

30. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la régularité du procès-verbal faisant état de l'accès aux données du traitement API-PNR (D1823). Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par l'avocat de M. [R] :

Le DECLARE IRRECEVABLE ;

Sur le pourvoi formé par M. [R] :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 mars 2023, mais en ses seules dispositions relatives à la régularité du procès-verbal faisant état de l'accès aux données du traitement API-PNR (D1823), toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du seize janvier deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400024
Date de la décision : 16/01/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, 17 mars 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 16 jan. 2024, pourvoi n°C2400024


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : Me Laurent Goldman

Origine de la décision
Date de l'import : 23/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400024
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