LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 novembre 2023
Cassation partielle
M. FLORES, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 2108 F-D
Pourvoi n° T 22-19.424
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 NOVEMBRE 2023
M. [C] [M], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 22-19.424 contre l'arrêt rendu le 2 juin 2022 par la cour d'appel de Versailles (11e chambre), dans le litige l'opposant à la société Effilab, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [M], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Effilab, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2023 où étaient présents M. Flores, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Techer, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 juin 2022), M. [M] a été engagé en qualité de « digital trader » par la société Effilab le 1er février 2016 puis promu en avril 2018 au poste de directeur des opérations, la relation de travail étant régie par la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils dite Syntec.
2. Le 8 février 2019, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de la rupture et de l'exécution du contrat de travail.
3. Le 4 avril 2019, il a été licencié.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité, alors « que l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur doit justifier avoir pris toutes les mesures nécessaires à cet effet ; qu'en l'espèce, pour déclarer la convention de forfait jours privée d'effet, la Cour d'appel a retenu que la société Effilab ne justifiait pas "d'un suivi précis et conforme portant notamment sur la charge de travail, l'organisation du travail, et l'articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale", ni d'avoir "organisé l'entretien spécifique annuel portant sur ce suivi", et "consulté les IRP sur le recours aux forfaits jours ni sur les modalités de suivi de la charge de travail" ; qu'il résultait de ces constatations que la société Effilab n'avait pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés ; qu'en déboutant néanmoins M. [M] de sa demande tendant à voir condamner la société Effilab pour manquement à son obligation de sécurité, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 4121-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 4121-1 du code du travail :
6. Il résulte de ce texte que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
7. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité, l'arrêt, après avoir décidé que la convention de forfait en jours était privée d'effet en raison du manquement de l'employeur à ses obligations, retient que les arrêts de travail délivrés par le médecin généraliste et les justificatifs de traitement médicamenteux demeurent très insuffisants pour établir un lien avec les conditions de travail du salarié et la connaissance par l'employeur, en l'absence de toute alerte, d'une situation qui aurait justifié des mesures spécifiques dans le cadre de son obligation de sécurité.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que, lors de l'exécution de la convention individuelle de forfait en jours, l'employeur ne justifiait pas d'un suivi précis et conforme portant notamment sur la charge de travail, l'organisation du travail et l'articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale et donc de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, de sorte que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité, la cour d'appel, à qui il appartenait de vérifier si un préjudice en avait résulté, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquence de la cassation
9. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. [M] en paiement de dommages-intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 2 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Effilab aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Effilab et la condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf novembre deux mille vingt-trois.