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08/11/2023 | FRANCE | N°22-12432;22-14005

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 08 novembre 2023, 22-12432 et suivant


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 novembre 2023

Rejet

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 2017 F-D

Pourvois n°
T 22-12.432
C 22-14.005 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 NOVEMBRE 2023

I. L'Office

des transports de la Corse OTC, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 22-...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 novembre 2023

Rejet

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 2017 F-D

Pourvois n°
T 22-12.432
C 22-14.005 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 NOVEMBRE 2023

I. L'Office des transports de la Corse OTC, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 22-12.432 contre un arrêt rendu le 22 décembre 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [P] [O], domiciliée [Adresse 3],

2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

II. Mme [O] a formé le pourvoi n° C 22-14.005 contre le même arrêt rendu dans le litige l'opposant à l'Office des transports de la Corse,

Le demandeur au pourvoi n° T 22-12.432 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

La demanderesse au pourvoi n° C 22-14.005 invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Grandemange, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [O], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de l'Office des transports de la Corse, après débats en l'audience publique du 3 octobre 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Grandemange, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° T 22-12.432 et C 22-14.005 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 22 décembre 2021), Mme [O] a été engagée par l'Office des transports de la région Corse, à compter du 15 mai 2006. Elle occupait en dernier lieu les fonctions de rédacteur, catégorie B, 9e échelon, indice 400.

3. Le 9 avril 2015, s'estimant victime de discrimination et de harcèlement moral, elle a saisi la juridiction prud'homale en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution du contrat de travail et à titre indemnitaire.

4. Elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 19 février 2020.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi de la salariée

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi de l'employeur, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt, de dire que la salariée a été victime d'une discrimination au visa de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, d'ordonner son repositionnement au grade de rédacteur principal 1ère classe, catégorie B, à l'échelon 6 indice majoré 480 à compter du 1er juin 2016, de le condamner à lui verser, au titre d'une discrimination au visa de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, des sommes en réparation du préjudice moral subi, au titre de son préjudice économique, à titre de rappels salariaux et de congés payés afférents, de dommages-intérêts au titre de la perte de pension retraite correspondante, alors :

« 1°/ qu'en relevant d'office, et sans le soumettre à la discussion contradictoire des parties, le moyen pris de ce qu'aurait été applicable au litige l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, conférant la qualité de lanceur d'alerte au salarié ayant relaté ou témoigné de bonne foi des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, et non, comme le soutenaient les parties, ce même texte, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, en ce qu'il subordonnait la reconnaissance de la qualité de lanceur d'alerte au respect par le salarié des dispositions des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en tout état de cause, l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, doit être interprété conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont il résulte qu'un acte motivé par un grief ou une animosité personnels ou encore par la perspective d'un avantage personnel, notamment un gain pécuniaire, ne justifie pas un niveau de protection particulièrement élevé et, partant, que la protection du lanceur d'alerte est nécessairement subordonnée au caractère désintéressé de l'alerte ; qu'en retenant au contraire que la question du caractère désintéressé de la démarche de la salariée aurait été indifférente à la reconnaissance de la qualité de lanceur d'alerte, la cour d'appel a violé l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 et l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de l'article L. 1132-3-3, alinéa 1er du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013- 1117 du 6 décembre 2013 comme dans celle résultant de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, que le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions n'est pas soumis à l'exigence d'agir de manière désintéressée et qu'il ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

8. Le moyen est donc inopérant en sa première branche et mal fondé pour le surplus.

Sur le moyen du pourvoi de l'employeur, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'employeur ne peut se voir imputer une discrimination fondée sur une alerte donnée par un salarié que s'il existe un lien de causalité entre l'alerte et la prétendue discrimination, lien qu'il incombe impérativement au juge de caractériser ; qu'en retenant néanmoins, pour condamner l'employeur sur le fondement de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, que la salariée n'aurait ‘'connu qu'une progression d'un échelon et de 22 points, avec un indice majoré passé de 400 à 422 entre décembre 2014 jusqu'à son licenciement en février 2020'', sans préciser en quoi l'évolution de carrière de la salariée aurait été différente avant et après l'alerte donnée par celle-ci par la voie d'une plainte déposée le 11 décembre 2014 pour des faits de faux et usage de faux en écriture publique, élément qui aurait seul été de nature à caractériser un lien de causalité entre ladite alerte et l'évolution de carrière de la salariée, sachant que cette dernière se prévalait uniquement d'une ‘'progression [de carrière] ralentie [?] depuis 2011, voire 2008'', c'est-à-dire d'une évolution entamée avant même que la salariée n'ait donné l'alerte et donc, par construction, sans rapport de causalité avec ladite alerte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016. »

Réponse de la Cour

10. Aux termes de l'article L.1132-3-3, alinéa 1er , dans sa version issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

11. Il résulte du second alinéa de ce même texte, qu'en cas de litige relatif à l'application du premier alinéa, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

12. La cour d'appel qui a constaté, d'une part, que la salariée avait déposé plainte pour faux et usage de faux en écriture publique, le 11 décembre 2014, à l'encontre de son employeur, faits dont elle avait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, d'autre part, qu'elle n'avait connu entre cette alerte et son licenciement en février 2020 aucune progression de carrière, a pu en déduire que les éléments présentés par la salariée laissaient supposer l'existence d'une discrimination.

13. Elle a ensuite estimé que l'employeur n'apportait pas la preuve que cette absence totale de progression de carrière était justifiée par des éléments objectifs étrangers à l'alerte lancée.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen du pourvoi de la salariée

Enoncé du moyen

15. La salariée fait grief à l'arrêt d'ordonner son repositionnement seulement au grade de rédacteur principal 1ère classe, catégorie B, à l'échelon 6 indice majoré 480 à compter du 1er juin 2016 et de condamner l'Office des transports de la Corse à lui verser, au titre d'une discrimination au visa de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, les seules sommes de 12 468,73 euros brut au titre de rappels salariaux, outre celle de 1 246,87 euros brut de congés payés afférents, dans le cadre de la réparation du préjudice économique subi du fait de la discrimination, alors :

« 1°/ que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que dès lors le juge ne peut, pour rechercher à quel coefficient de rémunération le salarié serait parvenu sans la discrimination constatée et réparer le préjudice qui en est résulté dans le déroulement de sa carrière, procéder par voie de considérations générales et abstraites et doit apprécier concrètement les faits nécessaires à la solution du litige ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande de repositionnement de la salariée au grade de rédacteur principal 1ère classe indice majoré 582, à affirmer qu'en vertu du principe de la réparation intégrale, est justifié un repositionnement de la salariée au grade de rédacteur principal 1ère classe, catégorie B, à l'échelon 6 indice majoré 480 à compter du 1er juin 2016, sans préciser ni expliquer les raisons concrètes propres au litige et sur lesquelles elle s'est fondée pour retenir ledit repositionnement de la salariée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en tout état de cause, le juge qui doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur des moyens relevés d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs explications ; qu'en fixant le repositionnement de la salariée à compter du 1er juin 2016, sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs éventuelles observations à ce titre, la cour d'appel qui s'est fondée d'office sur un moyen, mélangé de fait et de droit, a méconnu le principe du contradictoire et ainsi violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ que la réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu ; qu'en se fondant, pour fixer dans le cadre de la réparation économique subie du fait de la discrimination le montant dû par l'Office des transports de la Corse à la salariée, sur son repositionnement opéré à compter du 1er juin 2016, après avoir constaté que cette dernière n'avait connu à compter de l'alerte invoquée en décembre 2014, qu'une progression restreinte d'un échelon et de 22 points, avec un indice majoré passé de 400 à 422 entre décembre 2014 et son licenciement en février 2020, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il résultait que la réparation économique subie par la salariée ayant connu à compter de l'alerte en décembre 2014, une progression restreinte de carrière par suite de discrimination, remontait au mois de décembre 2014 et non à une date postérieure aux faits, soit le 1er juin 2016, et a violé l'article 1147, devenu les articles 1217 et 1231-1, du code civil, et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

16. Sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine du coefficient de rémunération auquel la salariée victime de discrimination à raison de l'alerte qu'elle avait lancée serait parvenue en l'absence de toute discrimination, par la cour d'appel qui a constaté qu'au regard du déroulement de carrière et des fonctions exercées par l'intéressée, elle pouvait prétendre au grade de rédacteur principal 1ère classe, catégorie B, à l'échelon 6 indice majoré 480 à compter du 1er juin 2016.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22-12432;22-14005
Date de la décision : 08/11/2023
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, 22 décembre 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 08 nov. 2023, pourvoi n°22-12432;22-14005


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:22.12432
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