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08/11/2023 | FRANCE | N°21-25856

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 08 novembre 2023, 21-25856


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 novembre 2023

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 2006 F-D

Pourvoi n° P 21-25.856

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 NOVEMBRE 2023

M. [G] [H], domicilié [Adr

esse 2], a formé le pourvoi n° P 21-25.856 contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le li...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 novembre 2023

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 2006 F-D

Pourvoi n° P 21-25.856

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 NOVEMBRE 2023

M. [G] [H], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 21-25.856 contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant à la Société d'études et de gestion financière [E], société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La Société d'études et de gestion financière [E] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, qui s'est radiée au profit de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [H], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société d'études et de gestion financière [E], après débats en l'audience publique du 3 octobre 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 octobre 2021), M. [H] a été engagé en qualité de directeur des gestions, à compter du 10 janvier 2012, par la société [E] Asset Management, filiale du groupe [E].

2. Son contrat de travail a été transféré à la Société d'études et de gestion financière [E] (la société). Il exerçait en dernier lieu les fonctions de directeur de la gestion d'actifs pour l'ensemble des entités du groupe [E].

3. Licencié pour faute lourde le 20 février 2018, il a saisi la juridiction prud'homale d'une contestation de la rupture de son contrat de travail et de demandes subséquentes.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié la somme de 1 201 351 euros à titre de rappel de salaire sur l'intéressement contractuel, alors :

« 1°/ que dans la ''Side letter – Intéressement'' du 8 janvier 2015, elle s'était engagée à verser au salarié une ''éventuelle rémunération complémentaire (?) lors de [son] départ du Groupe'' ''dans le cas où l'intéressement que vous aurez effectivement perçu au titre du Plan d'intéressement serait inférieur à 2 000 000 d'euros'' ; qu'il en résulte que le versement de cette rémunération complémentaire lors du départ du salarié était subordonné au paiement effectif d'un intéressement en exécution du plan d'intéressement prévu par une autre lettre du 8 janvier 2015, qui conditionnait le paiement d'un intéressement, chaque année, à un résultat d'exploitation consolidé du groupe (EBIT) d'au moins 3,35 millions d'euros ; que la société SEGFM en déduisait que dans la mesure où l'EBIT du groupe n'a jamais atteint -3,35 millions d'euros pendant la durée de mise en oeuvre du plan d'intéressement, le salarié, qui n'avait perçu aucun intéressement en exécution de ce plan, ne pouvait pas prétendre au paiement d'une ''rémunération complémentaire'' lors de son départ ; qu'en affirmant néanmoins qu'il se déduit des deux courriers du 8 janvier 2015 que ''la société SEGFM a entendu garanti au salarié, sous réserve de la date de son départ, un versement minimum de 2.000.000 euros, y compris les sommes dues au titre du contrat de travail, quel que soit le montant de l'EBIT'', la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 131-2016 du 10 février 2016 ;

2°/ qu'il était expressément stipulé, dans la ''Side letter - Intéressement'' du 8 janvier 2015, dont les termes avaient été acceptés par le salarié, que ce dernier s'engage ''à observer la plus grande discrétion sur son contenu, notamment au regard des autres salariés du Groupe, ce qui est une condition impérative sans laquelle nous ne serions pas engagés'' ; que, dans ses conclusions d'appel, la société SEGFM soutenait que le salarié n'avait pas respecté l'obligation de confidentialité à laquelle il était tenu, ce qui entraînait la résolution de l'avenant conclu ; que, pour établir ce manquement, elle produisait l'attestation d'un cadre dirigeant du groupe qui attestait que ''[G] [H] m'a informé en 2016 qu'il avait négocié avec [R] [E] un plan d'intéressement, qu'il était censé gardé confidentiel et dont il m'a dévoilé la formule et les termes qui lui assurerait en cas de départ un montant minimum de 2 M€'' ; qu'en se bornant à affirmer qu'''il n'est pas établi, s'agissant du courrier « Side letter-Intéressement », que le salarié a manqué à son obligation de discrétion'', sans viser ni analyser, même sommairement, cette attestation, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. D'abord, c'est par une interprétation des actes en cause, que leur rapprochement, pour en dégager le sens et la portée, rendait nécessaire, que la cour d'appel a estimé que l'employeur s'était engagé à verser au salarié, au moment de son départ du groupe au-delà du 19 janvier 2019 et sous réserve d'une faute lourde, un minimum de 2 000 000 euros, y compris les sommes dues au titre de contrat de travail, quel que soit le montant du résultat d'exploitation consolidé du groupe.

6. Ayant ensuite constaté qu'il n'était pas établi que le salarié avait manqué à son obligation de discrétion, elle a pu en déduire, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que la rémunération complémentaire au titre de l'intéressement était due.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger que son licenciement repose sur une faute grave, de le débouter de ses demandes en paiement d'une indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, d'une indemnité de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de dommages-intérêts pour préjudice moral ainsi que de limiter à la somme de 1 201 351 euros le rappel de salaire sur l'intéressement contractuel que la société a été condamnée à lui payer, alors :

« 1°/ que la lettre d'énonciation des motifs de licenciement fixe les limites du litige ; qu'il résulte de la lettre de licenciement, reproduite par l'arrêt, que le salarié a été licencié pour avoir fourni à un collaborateur des documents écrits pour établir le harcèlement moral allégué par ce dernier et pour avoir dénoncé des comportements supposés en vigueur au sein du groupe avec l'intention de nuire et en trompant son employeur sur son implication ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de nullité du licenciement, qu'il ressortait de l'ensemble des éléments versés aux débats que le salarié n'a pas été licencié en raison de faits de harcèlement qu'il aurait dénoncés, la cour d'appel a méconnu les termes du litige tels que fixés par la lettre de licenciement et a violé l'article L. 1232-6 du code du travail ;

2°/ que le salarié qui contribue à la dénonciation de faits de harcèlement moral au sein de l'entreprise ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce ou qu'il contribue à dénoncer ; que l'invocation d'un tel motif emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs invoqués par l'employeur pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le salarié a été licencié pour avoir fourni à un collaborateur, M. [T], des documents écrits pour établir devant les juridictions prud'homales le harcèlement moral allégué par ce dernier dont un document, produit par M. [T] devant le conseil de prud'hommes de Paris, portant compte-rendu de différents entretiens réalisés par le salarié avec plusieurs salariés ou associés de la société en janvier et février 2017 évoquant des faits de harcèlement de la part de M. [Z] [X] ; qu'en disant que le licenciement reposait sur une faute grave après avoir pourtant constaté que le salarié avait été licencié pour avoir notamment contribué à la dénonciation de faits de harcèlement dans le groupe, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail :

9. Aux termes du premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

10. Selon le second, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

11. Il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

12. Pour dire le licenciement fondé sur une faute grave et débouter le salarié de sa demande d'indemnité pour licenciement nul, l'arrêt retient qu'il ressort de l'ensemble des éléments versés aux débats que le salarié n'a pas été licencié en raison de faits de harcèlement qu'il aurait dénoncés.

13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que la lettre de licenciement reprochait au salarié d'avoir fourni à un collaborateur des documents écrits pour établir le harcèlement moral allégué par ce dernier dans l'instance prud'homale qu'il avait engagée contre l'employeur et pour avoir ainsi contribué à la dénonciation de faits de harcèlement et, d'autre part, que la mauvaise foi du salarié n'était nullement établie, le président du conseil de surveillance ayant lui-même évoqué, dans une lettre du 9 février 2017, une pression proche du harcèlement exercée par l'un des associés sur les salariés, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquence de la cassation

14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt qui dit que le licenciement du salarié repose sur une faute grave et qui le déboute de ses demandes en paiement d'une indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, d'une indemnité conventionnelle de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents ainsi que de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, entraîne la cassation du chef de dispositif qui limite le montant de la somme allouée au salarié à 1 201 351 euros au titre de l'intéressement contractuel, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement de M. [H] repose sur une faute grave, le déboute de ses demandes en paiement d'une indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, d'une indemnité de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral et en ce qu'il condamne la Société d'études et de gestion financière [E] à lui payer la somme de 1 201 351 euros de rappel de salaire au titre de l'intéressement contractuel, l'arrêt rendu le 19 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la Société d'études et de gestion financière [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société d'études et de gestion financière [E] et la condamne à payer à M. [H] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21-25856
Date de la décision : 08/11/2023
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 19 octobre 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 08 nov. 2023, pourvoi n°21-25856


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:21.25856
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