LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2023
Cassation sans renvoi
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1073 F-B
Pourvoi n° X 21-23.012
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2023
La société Mapollon, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1] (Luxembourg), venant aux droits de la société Neodyne, a formé le pourvoi n° X 21-23.012 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale - section B), dans le litige l'opposant à M. [U] [M], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Mapollon, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [M], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 27 mai 2021), M. [M] a contesté son licenciement par la société Neodyne, aux droits de laquelle vient la société Mapollon, devant un conseil de prud'hommes.
2. Le 7 janvier 2019, M. [M] a interjeté appel du jugement du 20 décembre 2018 de ce conseil de prud'hommes ayant notamment dit son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et l'ayant débouté de l'ensemble de ses demandes.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société Mapollon fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement, déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié par la société Neodyne à M. [M] le 22 septembre 2016, de la condamner à payer à M. [M] la somme de 27 900 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et une indemnité de procédure de 2 000 euros, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, débouter M. [M] du surplus de sa demande indemnitaire pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de sa demande indemnitaire pour préjudice moral, alors « que seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement ; que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, et la cour d'appel n'est saisie d'aucune demande ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que la déclaration d'appel de M. [M] « porte comme mention s'agissant de « l'objet/portée de l'appel : appel sur toutes les dispositions du jugement » ; qu'en retenant, pour infirmer le jugement entrepris, que « quoique l'appelant n'ait pas énuméré l'ensemble des dispositions du jugement, la déclaration d'appel en visant « toutes » les dispositions, a nécessairement opéré l'effet dévolutif pour la totalité du dispositif du jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble du 20 décembre 2019 [2018] » quand elle aurait dû considérer qu'en l'absence d'effet dévolutif de la déclaration d'appel, elle n'était saisie d'aucune prétention la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 562 et 901-4° du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 562 et 901-4° du code de procédure civile, ce dernier dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :
4. Selon le premier de ces textes, lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas.
5. En application du second, la déclaration d'appel affectée d'une irrégularité, en ce qu'elle ne mentionne pas les chefs du jugement attaqués, peut être régularisée par une nouvelle déclaration d'appel, dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond.
6. Ces règles encadrant les conditions d'exercice du droit d'appel dans les procédures avec représentation obligatoire qui résultent clairement des textes applicables, sont dépourvues d'ambiguïté et présentent un caractère prévisible. Leur application immédiate aux instances en cours ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique ni au droit à un procès équitable. Il n'y a, dès lors, pas lieu de différer les effets de celles-ci.
7. Elles ne restreignent pas l'accès au juge d'appel d'une manière ou à un point tel que ce droit s'en trouve atteint dans sa substance même. Elles poursuivent un but légitime au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en l'occurrence une bonne administration de la justice, et ne portent pas une atteinte disproportionnée à l'accès au juge d'appel, un rapport raisonnable de proportionnalité existant entre les moyens employés et le but visé.
8. Pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée au titre de la mention sur l'objet de l'appel figurant dans la déclaration d'appel, infirmer le jugement et statuer à nouveau, l'arrêt retient que la déclaration d'appel porte comme mention s'agissant de l'objet/portée de l'appel « appel sur toutes les dispositions du jugement » et que bien que l'appelant n'ait pas énuméré l'ensemble des dispositions du jugement, la déclaration d'appel en visant « toutes » les dispositions a nécessairement opéré l'effet dévolutif pour la totalité du dispositif du jugement du conseil de prud'hommes.
9. En statuant ainsi, alors que la déclaration d'appel ne mentionnait pas les chefs du jugement expressément critiqués, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
12. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 4, 5, 6, 7 et 9, qu'en l'absence de mention des chefs de dispositif dans la déclaration d'appel, l'effet dévolutif n'a pas opéré.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT que la cour d'appel n'était saisie d'aucune demande en l'absence d' effet dévolutif de l'appel.
Condamne M. [M] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Grenoble ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [M] tant devant la cour d'appel que devant la Cour de cassation et le condamne à payer à la société Mapollon la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour d'appel de Grenoble et la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la Cour de cassation ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-trois.