LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 octobre 2023
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1077 F-B
Pourvoi n° E 21-21.938
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2023
La société Apronor, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° 21-21.938 contre l'arrêt rendu le 24 juin 2021 par la cour d'appel de Rouen (chambre de la proximité), dans le litige l'opposant à la société Sofradev, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Apronor, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Sofradev, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 24 juin 2021) et les productions, se plaignant d'actes de concurrence déloyale et du débauchage illicite d'un salarié au profit de la société Sofradev, la société Apronor a saisi par requête, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, le président d'un tribunal de commerce d'une demande de désignation d'un huissier de justice à fin d'effectuer diverses investigations dans les locaux de la société Sofradev.
2. La requête ayant été accueillie par ordonnance du 12 juin 2018, l'huissier de justice a effectué sa mission le 3 septembre 2018.
3. Saisi en rétractation par la société Sofradev, le président du tribunal de commerce a, par ordonnance du 4 janvier 2019, partiellement confirmée par un arrêt du 5 septembre 2019, maintenu sa décision.
4. La société Sofradev a ensuite assigné la société Apronor, par acte du 29 octobre 2019, devant un juge de l'exécution aux fins d'annulation du procès-verbal de constat, de restitution des pièces saisies et d'interdiction de conserver les éléments constatés ou saisis, ainsi que d'y faire référence ou d'en faire usage.
5. Le juge de l'exécution s'est déclaré compétent et a statué au fond.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
7. La société Apronor fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir le juge de l'exécution se déclarer incompétent pour connaître de l'affaire, de dire que le juge de l'exécution près le tribunal judiciaire de Rouen était compétent pour connaître des demandes de la société Sofradev, de dire que la cour d'appel de Rouen ne s'était pas prononcée sur la régularité de la mise en oeuvre de la mesure d'exécution, de dire que le juge de l'exécution était compétent pour statuer sur le moyen tiré de l'absence de communication de la copie du procès-verbal de constat à la suite de l'exécution de la mesure de saisie conservatoire en violation des articles 173 et 16 du code de procédure civile, de la débouter de ses demandes, fins et conclusions, de dire que le constat d'huissier du 3 septembre 2018 procédait par violation du principe du contradictoire, de prononcer la nullité du procès-verbal de constat daté du 3 septembre 2018, établi pour la société Sofradev par la SCP Pouzineau Nugeyre Chapin Tchibozo, d'ordonner la restitution à la société Sofradev des pièces saisies en exécution de l'ordonnance sur requête du 12 juin 2018, de lui faire interdiction de conserver, faire usage ou référence de quelque manière que ce soit aux éléments constatés ou saisis dans le cadre de l'exécution de l'ordonnance sur requête rendue le 12 juin 2018 et en particulier au contenu de l'inventaire dont il lui a été remis copie par l'huissier de justice et de la condamner à verser à la société Sofradev la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens, alors :
« 2°/ que le juge de l'exécution exerce une compétence exclusive pour connaître des seules difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée ; que le juge de l'exécution n'a pas le pouvoir de prononcer l'annulation d'une mesure ordonnée par une autre décision de justice ; qu'en jugeant que le juge de l'exécution était compétent pour statuer sur la contestation de la mise en oeuvre des mesures de saisie conservatoire ordonnées le président du tribunal de commerce, avant d'annuler le constat d'huissier établi le 3 septembre 2018, quand, saisie du recours formé à l'encontre d'un jugement du juge de l'exécution, la cour d'appel n'avait pas le pouvoir de réformer ou d'annuler une mesure ordonnée par une autre décision de justice, la cour d'appel a violé l'article 213-6 du code de l'organisation judiciaire par fausse application ;
3°/ que l'ordonnance sur requête est motivée, elle est exécutoire au seul vu de la minute ; que les actes qu'elle ordonne sont exécutoires ; que le président du tribunal judiciaire peut ordonner sur requête toutes mesures urgentes, lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement ; qu'en l'espèce, le constat d'huissier établi le 3 septembre 2018 aux fins de constatations avait pour seule finalité celle d'exécuter les mesures de saisie conservatoires ordonnées sur requêtes du président du tribunal de commerce ; qu'en jugeant néanmoins que le constat d'huissier était « entaché de nullité » à la suite de la signification irrégulière de la requête et de l'ordonnance, quand cette mesure ordonnée pour établir et conserver les actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique n'était pas une simple « mesure conservatoire » mais une « mesure d'instruction autorisée sous le visa de l'article 145 du code de procédure civile » (production n° 4), la cour d'appel a violé l'article 495 du code de procédure civile, ensemble les articles 145 du code de procédure civile et R. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution et 145 du code de procédure civile :
8. Selon le premier de ces textes, le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en oeuvre.
9. Selon le deuxième, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire.
10. Aux termes du troisième, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
11. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'une mesure d'instruction ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne constitue pas une mesure conservatoire au sens des articles L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire et L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution.
12. Pour confirmer le jugement en ce qu'il dit le juge de l'exécution compétent, l'arrêt retient que la société Sofradev a saisi le juge de l'exécution d'une demande d'annulation des constatations dressées par l'huissier de justice le 3 septembre 2018 et d'ordonner la restitution des éléments saisis dans le cadre de l'ordonnance sur requête du 12 juin 2018 et qu'elle a ainsi, même si le moyen invoqué était celui de l'irrégularité de la signification de l'ordonnance, contesté la mise en oeuvre de la mesure conservatoire ordonnée le 12 juin 2018. Il en déduit que, la compétence de la juridiction devant s'apprécier au regard de la demande et non des moyens, le juge de l'exécution était compétent pour statuer sur cette contestation.
13. En statuant ainsi, alors que le juge de l'exécution n'était pas compétent pour connaître des contestations relatives à la mesure d'instruction in futurum qui ne constitue pas une mesure conservatoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt confirmant le jugement en ce qu'il dit le juge de l'exécution compétent entraîne la cassation des autres chefs de dispositif du jugement confirmés par l'arrêt attaqué, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la société Apronor de sa demande d'annulation du jugement entrepris, l'arrêt rendu le 24 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen autrement composée.
Condamne la société Sofradev aux dépens ;
En application de l'article 628 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sofradev ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sofradev et la condamne à payer à la société Apronor la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-trois.