LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 octobre 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 702 FS-B
Pourvoi n° F 21-17.937
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2023
La société Epacc, société civile d'exploitation agricole, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 3], a formé le pourvoi n° F 21-17.937 contre l'arrêt rendu le 13 avril 2021, rectifié le 11 mai 2021 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [T] [L], domicilié [Adresse 5], [Localité 6],
2°/ à la société du Barrois 2000, société civile d'exploitation agricole, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société civile d'exploitation agricole Epacc, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société du Barrois 2000, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, MM. Bosse-Platière, Pety, Mme Proust, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon arrêt attaqué (Reims, 13 avril 2021, rectifié le 11 mai 2021), la société civile d'exploitation agricole Epacc (la société Epacc), anciennement dénommée société des Coteaux Champenois, est propriétaire de parcelles en nature de vignes, qui ont été données à bail à Mmes [Z] et M. [F] en 2002.
2. Par des actes notariés du 6 septembre 2008, ces baux ont fait l'objet d'avenants conférant à la société civile d'exploitation agricole du Barrois 2000 (la société du Barrois 2000) la qualité de co-preneur, rétroactivement à compter de la date d'effet de chacun des baux. Les 30 juin et 28 août 2009, deux baux à complant ont été consentis dans les mêmes conditions à la société du Barrois 2000, portant sur d'autres parcelles appartenant à la société Epacc.
3. Le 13 novembre 2015, contestant la qualité de gérant de M. [T] [L], dont celui-ci s'était prévalu pour la représenter lors de la signature des baux et avenants précités, la société Epacc a assigné la société du Barrois 2000 aux fins d'obtenir son expulsion des parcelles en litige.
4. Le 26 juillet 2016, M. [Y] [L], alors gérant de la société Epacc, a déposé au greffe du tribunal de grande instance une inscription de faux incidente à l'encontre de plusieurs pièces versées au débat par la société du Barrois 2000, dont les baux et avenants précités.
5. Les deux procédures ont été jointes, puis une expertise graphologique a été ordonnée.
6. M. [T] [L], également associé de la société du Barrois 2000, est intervenu volontairement à l'instance.
Examen du moyen
Il est statué sur ce moyen après avis de la chambre commerciale, sollicité en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches
Enoncé du moyen
6. La société Epacc fait grief à l'arrêt de rejeter partiellement ses demandes d'inscription de faux incidentes et de rejeter les demandes plus amples ou contraires des parties, alors :
« 1°/ qu'un acte authentique signé en une fausse qualité est un faux intellectuel ; que la publication de la décision de nomination d'un gérant convaincue de faux, et donc inexistante, ne saurait faire obstacle à ce que la société se prévale de sa fausseté pour se soustraire à ses engagements résultant des actes authentiques passés sur son fondement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société du Barrois 2000 ne contestait pas le jugement en ce qu'il avait jugé que la signature apposée sur le procès-verbal du 2 octobre 2005 de la SCEA des Côteaux Champenois, aujourd'hui dénommée Epacc, était contrefaite, celle-ci n'ayant pas été faite de la main de [Y] [L] ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de la société Epacc en inscription de faux des pièces n°1, 4, 5 et 6, que la décision de nomination de [T] [L] en qualité de gérant de la société des Côteaux Champenois avait été publiée de sorte qu'il avait pu représenter valablement la société lors de la conclusion des baux et avenants argués de faux, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 309 du code de procédure civile ensemble l'article 1846 du code civil ;
4°/ que la confection d'un faux procès verbal de nomination d'un gérant est constitutive d'une fraude ; qu'en conséquence, la publication de cette décision de nomination du gérant est inopposable à la société ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 2 octobre 2005 de la société des Côteaux Champenois était un faux, la signature apposée sur le procès-verbal n'étant pas de la main de [Y] [L] ; qu'en se bornant à relever, pour statuer comme elle l'a fait, que la décision de nomination de [T] [L] en qualité de gérant de la société des Côteaux Champenois avait été publiée de sorte qu'il avait pu représenter valablement la société lors de la conclusion des baux et avenants argués de faux, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invité, si le faux dont s'était rendu coupable [T] [L], associé de la société du Barrois 2000 bénéficiaire des baux et avenants argués de faux, n'était pas constitutif d'une fraude, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe selon lequel le fraude corrompt tout. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article 1846-2, alinéa 2, du code civil, similaires à ceux de l'article L. 210-9, alinéa 1, du code de commerce, applicable aux sociétés commerciales, ni la société, ni les tiers, ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d'une irrégularité dans la nomination des gérants ou dans la cessation de leur fonction, dès lors que ces décisions ont été régulièrement publiées.
8. Pris en sa première branche, le moyen pose la question de savoir si la publication d'une nomination d'un gérant sur la base d'un procès-verbal convaincu de faux fait obstacle, par application de ces dispositions, à la contestation par la société d'engagements pris en son nom par le gérant, ainsi désigné.
9. Pour répondre à cette question, inédite devant la Cour de cassation, il importe de rechercher au préalable si la contrefaçon de la signature du président de séance sur le procès-verbal d'assemblée générale constitue une irrégularité dans la nomination du gérant au sens du texte susvisé, ou si, au contraire, cette nomination, parce qu'elle repose sur un faux, doit être regardée comme inexistante.
10. D'une part, la finalité du texte précité est d'assurer la protection des tiers, lesquels ne disposent pas d'autres moyens que les mesures de publicité légale pour s'assurer de la régularité de la nomination d'une personne se disant gérant d'une personne morale. Cette disposition ne fait, en outre, aucune différence selon la nature des irrégularités entachant la décision de nomination du gérant.
11. D'autre part, une société ou ses associés peuvent demander l'annulation de délibérations prises dans des conditions irrégulières, de sorte qu'il leur appartient de vérifier les informations publiées sur l'identité de ses représentants, et, lorsqu'elles sont inexactes, d'en demander la rectification.
12. Dès lors, regarder comme inexistante la désignation d'un gérant intervenue sur la base d'un procès-verbal d'assemblée générale contrefait, ce qui conduirait à écarter en ce cas l'application de l'article 1846-2 du code civil et autoriserait la société à contester des actes conclus en son nom par un gérant dont la nomination a été publiée, priverait d'effet utile la finalité de ce texte.
13. Les considérations qui précèdent justifient de retenir que la contrefaçon d'un procès-verbal d'une délibération portant nomination de son gérant n'a pas pour effet de la rendre inexistante, de sorte que, par application du texte précité, lorsque cette nomination a été publiée, la société ne peut se prévaloir de son irrégularité pour contester les engagements pris en son nom par les personnes ainsi désignées.
14. Pour apprécier l'opérance de la recherche critiquée comme omise par la quatrième branche, la question se pose de savoir si, alors que le texte précité ne le prévoit pas, l'inopposabilité par la société ou les tiers des irrégularités dans la nomination d'un gérant, lorsque celle-ci a été publiée, doit être écartée en présence d'une fraude.
15. Dans une première approche, il pourrait être envisagé que la simple connaissance par le tiers cocontractant de l'irrégularité de la nomination du gérant suffise à écarter l'effet attaché, en principe, à sa publication.
16. Néanmoins, afin de préserver la portée attachée à la publicité légale et de n'en neutraliser les effets que pour sanctionner les actes les plus graves commis au préjudice d'une personne morale, lorsqu'ils procèdent de manoeuvres concertées, il y a lieu de retenir que seule l'existence d'une collusion frauduleuse entre le gérant désigné et le tiers est de nature à priver d'effet l'opposabilité qui découle, en principe, de la publicité légale.
17. En outre, le caractère frauduleux de la publication d'une nomination de gérant ne peut se déduire du seul caractère frauduleux de la désignation d'un gérant, notamment lorsqu'il résulte de la contrefaçon d'un procès-verbal d'assemblée générale.
18. Au cas présent, dès lors, d'une part, que la contrefaçon du procès-verbal dont se prévalait la société Epacc ne pouvait à elle seule démontrer le caractère frauduleux de la publication de la nomination de M. [T] [L] et, d'autre part que, dans ses écritures, la société Epacc se bornait à dénoncer, en des termes généraux, une fraude de M. [T] [L], sans invoquer l'existence d'une collusion frauduleuse entre ce dernier et la société du Barrois 2000, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à la recherche prétendument délaissée, qui était inopérante.
19. Le moyen, qui manque en droit en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société civile d'exploitation agricole Epacc aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-trois.