LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 octobre 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 676 F-D
Pourvoi n° B 22-20.375
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 OCTOBRE 2023
La société Axyme, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [E] [V], agissant en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Credimmo Corp, a formé le pourvoi n° B 22-20.375 contre l'arrêt rendu le 19 janvier 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-8), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [I] [J],
2°/ à M. [X] [W],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
3°/ à Mme [C] [D], domiciliée [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grall, conseiller, les observations de Me Bertrand, avocat de la société Axyme, ès qualités, de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de Mme [J] et de M. [W], après débats en l'audience publique du 5 septembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Grall, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Axyme (le liquidateur), agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Credimmo corp, du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [D].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 janvier 2022), par un jugement du 19 mars 2014, la société Credimmo corp (la bailleresse), propriétaire d'une maison d'habitation qu'elle avait donnée à bail à M. [W] et Mme [J] (les locataires), a été placée en liquidation judiciaire.
3. Le 19 mai 2015, se prévalant de l'existence de désordres affectant le bien loué, les locataires ont demandé au liquidateur la réduction de moitié du montant du loyer.
4. Le liquidateur les a assignés en résiliation du bail, expulsion et paiement d'un arriéré locatif ainsi que d'une indemnité d'occupation.
5. Les locataires ont demandé, à titre reconventionnel, le paiement de dommages-intérêts en réparation de leur trouble de jouissance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de prononcer une réfaction de moitié du montant du loyer à compter du 19 mai 2015 en réparation du préjudice de jouissance subi par les locataires et de les condamner solidairement au paiement d'une certaine somme au titre de la dette locative arrêtée au 31 mars 2019, outre une indemnité mensuelle d'occupation d'un certain montant jusqu'à la libération effective des lieux, alors « que le preneur a droit à indemnisation au titre des troubles de jouissance subis du fait du manquement par le bailleur à son obligation de délivrance d'un logement décent ; qu'en considérant que les locataires disposaient en l'espèce d'une créance indemnitaire à l'encontre du bailleur au titre des infiltrations d'eau affectant le logement donné à bail, tout en constatant que le montant du loyer avait été fixé à un montant « nettement inférieur au prix du marché » pour tenir compte des problèmes d'étanchéité de la maison et que les locataires étaient des professionnels de l'immobilier, ce qui établissait que ces derniers ne pouvaient se prétendre créanciers d'aucune indemnité dès lors que leur préjudice de jouissance avait été pris en compte pour fixer le montant du loyer, et cela en toute connaissance de cause de leur part, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989. »
Réponse de la Cour
7. Après avoir exactement énoncé que les parties ne peuvent déroger dans leur convention à l'obligation pour le bailleur de délivrer au locataire un logement décent, la cour d'appel a constaté que la maison d'habitation donnée à bail était affectée de désordres tenant à son état de vétusté ainsi qu'à des problèmes d'étanchéité auxquels la bailleresse n'a pas remédié et qui se sont accentués.
8. La cour d'appel, après avoir relevé qu'il avait été tenu compte de ces désordres dans la fixation du loyer à un montant nettement inférieur au prix du marché, a souverainement évalué le préjudice de jouissance subi par les locataires à la moitié du montant du loyer à compter de la demande faite le 19 mai 2015, et a ainsi légalement justifié sa décision.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. Le liquidateur fait le même grief à l'arrêt, alors « que les créances nées postérieurement au jugement d'ouverture et non éligibles au paiement préférentiel ne peuvent donner lieu à une compensation pour créances connexes qu'à la condition d'avoir été régulièrement déclarées ; qu'en prononçant « une réfaction du montant du loyer de 50 % à compter du 19 mai 2015 en réparation du préjudice de jouissance subi par les locataires », et en opérant ainsi une compensation entre la créance de loyer du bailleur en liquidation judiciaire et la créance indemnitaire des locataires, au seul motif que ces créances étaient connexes, après avoir pourtant relevé que la créance indemnitaire invoquée par les locataires n'avait pas été déclarée au passif de la liquidation judiciaire du bailleur, cette créance indemnitaire n'étant pas éligible à un paiement préférentiel comme n'étant pas née pour les besoins du déroulement de la procédure ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur en procédure collective, d'où il résultait que la compensation ne pouvait s'opérer entre les créances en cause, même connexes, la cour d'appel a violé les articles L. 641-13, L. 622-17 et L. 622-7 du code de commerce, ce dernier rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-3 du même code, et l'article 1347, anciennement 1290, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 622-7, L. 622-17, L. 641-3 et L. 641-13 du code de commerce et 1290 du code civil :
10. Il résulte de la combinaison de ces textes que les créances nées postérieurement au jugement d'ouverture et non éligibles au paiement préférentiel, ne peuvent donner lieu à une compensation pour créances connexes que si elles ont été régulièrement déclarées.
11. Pour compenser la créance de loyers de la bailleresse avec la créance indemnitaire des locataires, l'arrêt retient que la procédure collective de la bailleresse ne fait pas obstacle à la compensation dès lors qu'il s'agit de créances connexes puisque fondées sur le même contrat.
12. En statuant ainsi, sans constater que la créance indemnitaire destinée à réparer le trouble de jouissance subi par les locataires en raison des désordres affectant le bien loué, née postérieurement au jugement d'ouverture, avait été déclarée, alors que cette créance ne répondait pas aux besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation et ne constituait pas la contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne solidairement M. [W] et Mme [J] au paiement d'une somme de 49 095,85 euros au titre de la dette locative arrêtée au 31 mars 2019, outre une indemnité mensuelle d'occupation postérieure de 1 750 euros jusqu'à la libération effective des lieux, l'arrêt rendu le 19 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne M. [W] et Mme [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-trois.