LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 octobre 2023
Cassation partielle
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1020 F-D
Pourvoi n° T 21-25.308
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 OCTOBRE 2023
La société Mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° T 21-25.308 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2021 par la cour d'appel de Poitiers (1e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Rambaud Eric, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 7],
2°/ à la société Menanteau Jacques, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société d'assurances Allianz, dont le siège est [Adresse 1],
4°/ à la société Allianz Benelux NV, dont le siège est [Adresse 5], (Pays-Bas), société de droit belge, anciennement dénommée la société Allianz Nederland Corporate NV,
5°/ à la société AIG Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3] (Luxembourg), venant aux droits de la société AIG Europe Limited, elle-même venant aux droits de la société AIG Europe Nederlande NV,
6°/ à la société Boels Zanders, dont le siège est [Adresse 6]), prise en la personne de M. [Z] [V], pris en qualité de liquidateur à la faillite de la société Scheuten Solar Holding BV,
7°/ à la société RAML Van Oeijen, dont le siège est [Adresse 8]), pris en qualité de liquidateur à la faillite de la société Alrack BV,
défenderesses à la cassation.
La société AIG Europe a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics et de la société Menanteau Jacques, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Allianz Benelux NV, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société AIG Europe, venant aux droits de la société AIG Europe Limited, elle-même venant aux droits de la société AIG Europe Nederland NV, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 septembre 2023 où étaient présentes Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Eric Rambaud, Allianz, Boels Zanders prise en la personne de M. [Z] [V], pris en qualité de liquidateur à la faillite de la société Scheuten Solar Holding BV et RAML Van Oeijen en qualité de liquidateur de la société Alrack BV.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 12 octobre 2021), la société Eric Rambaud a fait installer par la société Menanteau Jacques, assurée auprès de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP), une centrale électrique composée de 504 panneaux photovoltaïques acquis auprès de la société Vendée Sani-Therm qui se serait elle-même fournie auprès de la société AER, assurée auprès de la société Allianz, fabriqués par la société Scheuten, assurée auprès de la société Chartis Europe, aux droits de laquelle sont venues successivement les sociétés AIG Europe Nederland, AIG Europe Limited puis AIG Europe (la société AIG), et équipés de boîtiers de connexion dont la fabrication avait été sous-traitée à la société Alrack BV, assurée auprès de la société Allianz Benelux NV.
3. En raison de l'échauffement d'un panneau, l'installation a été mise hors service et une expertise judiciaire a été ordonnée.
4. La société Eric Rambaud a assigné les sociétés Menanteau Jacques et SMABTP en indemnisation de ses préjudices. La société SMABTP a assigné en garantie les sociétés Allianz, Allianz Benelux NV, AIG ainsi que les liquidateurs judiciaires des sociétés Scheuten et Alrack BV.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident éventuel de la société AIG
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal de la SMABTP, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
6. La SMABTP fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes dirigées contre la société AIG, alors « qu'aux termes de l'article L. 181-3 du code des assurances, les dispositions d'ordre public de la loi française sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat d'assurance ; que, dans ses écritures d'appel, pour conclure à l'inopposabilité de l'exclusion de garantie invoquée par la société AIG Europe, la SMABTP a invoqué les dispositions d'ordre public des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances, en faisant valoir que l'exclusion n'était pas formelle et limitée et ne répondait pas aux exigences de forme de l'article L.112-4 du code des assurances ; que, pour écarter la garantie de la société AIG Europe, la cour d'appel a, par motifs adoptés du premier juge, fait application des exclusions de garantie prévues par l'article 4 de la police « sauf à justifier que le remplacement des panneaux photovoltaïques a été réalisé en vue de prévenir ou de limiter un préjudice », étant précisé que « la clause C.9 de la police ne couvre pas le montant des panneaux photovoltaïques mais simplement le coût de leur mise en oeuvre (montage et installation) » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si l'exclusion de garantie répondait aux exigences des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances, invoqués devant elle et applicables au litige, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances, ensemble l'article L. 181-3 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 111-2 et L. 181-3 du code des assurances :
7. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en matière d'assurance de dommages non obligatoire, les dispositions d'ordre public des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat.
8. Pour rejeter les demandes formées par la SMABTP contre la société AIG, l'arrêt, après avoir déclaré que la loi applicable au contrat d'assurance souscrit par la société Scheuten était la loi néerlandaise, retient, par motifs adoptés, que la police d'assurance souscrite par la société Scheuten ne comporte pas de clauses non claires et incompréhensibles et que la garantie de la société AIG Europe ne pouvait être sollicitée en raison des exclusions de garantie figurant à l'article 4.4 du contrat d'assurance.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette clause d'exclusion de garantie répondait aux exigences d'ordre public des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen du pourvoi principal de la SMABTP, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. La SMABTP fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes dirigées contre la société Allianz Benelux NV, alors « qu'aux termes de l'article L. 181-3 du code des assurances, les dispositions d'ordre public de la loi française sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat d'assurance ; que, dans ses écritures d'appel, pour conclure à l'inopposabilité de l'exclusion de garantie invoquée par la société Allianz Benelux, la SMABTP a invoqué les dispositions d'ordre public des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances, en faisant valoir que l'exclusion n'était pas formelle et limitée et ne répondait pas aux exigences de forme de l'article L. 112-4 du code des assurances ; qu'en limitant sa recherche de la validité de la clause d'exclusion de la garantie des « dommages à des biens livrés par ou sous la responsabilité de l'assuré » et des « frais de remplacement des biens livrés » au droit néerlandais et à l'ordre public international, sans rechercher si ladite clause était conforme aux exigences des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances, ensemble l'article L. 181-3 du même code. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
11. La société Allianz Benelux NV conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la critique est nouvelle, faute pour la SMABTP d'avoir invoqué devant les juges du fond l'article L. 181-3 du code des assurances, ni soutenu que les articles L. 112-4 et L. 113-1 de ce code étaient des dispositions d'ordre public de la loi française applicables au contrat d'assurance régi par le droit néerlandais.
12. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.
13. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 111-2 et L. 181-3 du code des assurances :
14. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en matière d'assurance de dommages non obligatoire, les dispositions d'ordre public des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat.
15. Pour rejeter les demandes formées par la SMABTP contre la société Allianz Benelux NV, l'arrêt, après avoir déclaré que la loi applicable au contrat d'assurance souscrit par la société Alrack BV était la loi néerlandaise, énonce que la clause d'exclusion de garantie figurant à l'article 3.5 des conditions générales ne vide pas de sens le contrat puisque les dommages causés par le produit, et ceux au produit, sont garantis.
16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette clause d'exclusion répondait aux exigences d'ordre public des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident éventuel de la société AIG Europe ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics formées contre les sociétés AIG Europe et Allianz Benelux NV, l'arrêt rendu le 12 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne les sociétés AIG Europe et Allianz Benelux NV aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés AIG Europe et Allianz Benelux NV et les condamne à payer à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-trois.