LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 octobre 2023
Cassation
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1009 F-D
Pourvoi n° N 21-23.693
Aide juridictionnelle totale en défense
pour M. [K] [V] [H].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 avril 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 OCTOBRE 2023
Mme [P] [N] [O] [T], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 21-23.693 contre l'arrêt n° RG : 20/01935 rendu le 14 septembre 2021 par le premier président de la cour d'appel de Bordeaux, dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [G] [V] [H], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à Mme [A] [V] [H], divorcée [D], domiciliée [Adresse 3],
3°/ à M. [I] [V] [H], domicilié [Adresse 8],
4°/ à M. [K] [V] [H], domicilié [Adresse 7],
5°/ à Mme [C] [L], domiciliée [Adresse 6], prise en qualité de curatrice de M. [K] [V] [H],
6°/ à M. [M] [W], domicilié [Adresse 5], pris en qualité de tuteur de Mme [F] [R] [E] [S], veuve [V] [H],
7°/ à Mme [B] [V] [H], épouse [J], domiciliée [Adresse 9],
8°/ à Mme [U] [Y], épouse [V] [H], domiciliée [Adresse 4],
9°/ à la société Héritiers Comte [V] [H], société civile d'exploitation agricole, dont le siège est [Adresse 8],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de Mme [T], de la SCP Le Griel, avocat de M. [K] [V] [H], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 septembre 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué, rendu par la juridiction du premier président d'une cour d'appel (Bordeaux, 14 septembre 2021), le 18 septembre 2017, le juge taxateur d'un tribunal de grande instance a fixé à une certaine somme les débours et le droit proportionnel dus par Mmes [G] et [A] [V] [H], MM. [I] et [K] [V] [H], Mme [C] [L], prise en qualité de curatrice de M. [K] [V] [H] (les consorts [V] [H]), ainsi que Mmes [F], [B] et [U] [V] [H] et la société Héritiers Comte [V] [H], à la société [T]-Paradivin (l'avocat), au titre des dépens auxquels ils avaient été condamnés par un jugement rendu le 3 février 2015 par un tribunal de grande instance.
2. Les consorts [V] [H] ont exercé un recours à l'encontre de l'ordonnance de taxe.
3. Mme [T], cessionnaire de la créance de l'avocat, et M. [M] [W], en qualité de tuteur de Mme [F] [V] [H], sont intervenus volontairement à l'instance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [T] fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors :
« 1°/ que la suppression par l'article 51 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 du renvoi au décret n° 60-323 du 2 avril 1960 pour le calcul des frais de postulation de l'avocat devant le tribunal de grande instance ne s'applique qu'aux instances introduites après l'entrée en vigueur de cette nouvelle disposition législative, et non à celles introduites avant le 8 août 2015 ; qu'en en faisant application à l'instance qui avait été introduite devant le tribunal de grande instance de Bordeaux à une date où les nouvelles dispositions législatives n'étaient pas encore en vigueur, la juridiction de la première présidente de la cour d'appel a violé ces mêmes dispositions ;
2°/ que la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif ; qu'en faisant application de la suppression du renvoi au tarif de postulation du décret n° 60-323 du 2 avril 1960, effectuée par l'article 51 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, à la condamnation aux dépens de première instance qui avait été prononcée par le jugement du 3 février 2015, quand, à cette même date, l'avocat avait, cependant, assumé et achevé son mandat de postulation complet devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, la juridiction de la première présidente de la cour d'appel a nié les droits acquis de l'avocat et a fait rétroagir les dispositions législatives précitées, en violation de l'article 2 du code civil ;
3°/ qu'une loi relative à la naissance et à l'acquisition de droits patrimoniaux d'origine légale est une loi de fond, et non de procédure ; qu'en énonçant que les dispositions de l'article 51 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 qui avaient modifié la nature et les contours de la rémunération de la mission de postulation en première instance d'un avocat, et, partant, les prérogatives légales de celui-ci en sa qualité d'auxiliaire de justice créancier de la contrepartie pécuniaire de ses actes professionnels, était une loi de procédure qui devait s'appliquer immédiatement à la date de l'établissement de l'état de frais de ce même avocat, la juridiction de la première présidente de la cour d'appel a violé ces mêmes dispositions. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2 du code civil :
4. Aux termes de ce texte, la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif.
5. Pour débouter Mme [T] de ses demandes, l'arrêt retient qu'à la date de l'établissement de l'état de frais, les dispositions de l'article 51 de la loi du 6 août 2015, abrogeant le décret n° 60-323 du 2 avril 1960, qui sont des dispositions de procédure, étaient entrées en vigueur dès la publication de la loi au Journal Officiel. Il en déduit que Mme [T] ne pouvait se prévaloir des dispositions du décret n° 60-323 du 2 avril 1960 qui avaient été abrogées.
6. En statuant ainsi, alors que l'avocat avait assumé un mandat de postulation complet, lequel avait pris fin par le prononcé du jugement du 3 février 2015, date à laquelle il avait acquis un droit au paiement de ses débours et du droit proportionnel, la juridiction du premier président, en faisant application des dispositions de l'article 51 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 septembre 2021, entre les parties, par la juridiction du premier président de la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;
Condamne Mme [G] [V] [H], Mme [A] [V] [H], M. [I] [V] [H], M. [K] [V] [H], et Mme [C] [L], prise en qualité de curatrice de M. [K] [V] [H], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [K] [V] [H] et condamne Mme [G] [V] [H], Mme [A] [V] [H], M. [I] [V] [H], M. [K] [V] [H] et Mme [C] [L], prise en qualité de curatrice de M. [K] [V] [H], à payer à Mme [T] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-trois.