LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° X 21-83.502 F-D
N° 01157
GM
11 OCTOBRE 2023
DECHEANCE
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 OCTOBRE 2023
M. [G] [S], Mme [O] [W], et les sociétés Garantie AA 78, Garantie AC 12, Garantie AC 43, Garantie AD 76, Garantie AE 59, Iéna A 13, Iéna A 14, Iéna A 22, Iéna A 33, Iéna A 45, Iéna A 46, Iéna A 58, Iéna A 61, Iéna A 69, Iéna B 21, Iéna B 26, Iéna B 78, Kléber A 9, parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Cayenne, chambre correctionnelle, en date du 25 mars 2021, qui a condamné le premier, pour abus de confiance aggravé, abus de biens sociaux, non établissement des comptes annuels, à trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, 3 000 euros d'amende, dix ans d'interdiction de gérer, la seconde, pour recel d'abus de biens sociaux, à un an d'emprisonnement avec sursis, une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits pour M. [S] et Mme [W].
Sur le rapport de M. Turcey, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocats de M. [G] [S] les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocats de Mme [O] [W], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turcey, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A l'issue d'une enquête concernant l'usage par trois sociétés gérées par M. [G] [S] de nombreux véhicules destinés à être loués dans le cadre de la loi dite Girardin industrie, qui auraient été cédés durant la période de défiscalisation, M. [S] et Mme [O] [W], son épouse, ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel, qui, par jugement du 18 septembre 2018 a condamné le premier, pour abus de confiance, abus de biens sociaux, à 360 jours amende à 275 euros, cinq ans d'interdiction de gérer, une peine complémentaire de publication, la seconde, pour recel, à 2 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
3. Les prévenus ont relevé appel de cette décision. Le ministère public et les parties civiles ont formé appel incident.
Déchéance des pourvois formés par les sociétés Garantie AA 78, Garantie AC 12, Garantie AC 43, Garantie AD 76, Garantie AE 59, Iéna A 13, Iéna A 14, Iéna A 22, Iéna A 33, Iéna A 45, Iéna A 46, Iéna A 58, Iéna A 61, Iéna A 69, Iéna B 21, Iéna B 26, Iéna B 78, Kléber A 9
4. Ces sociétés n'ont pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par leur avocat, un mémoire exposant leurs moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de les déclarer déchues de leurs pourvois par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, pris en ses quatre premières branches, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième moyens proposés pour M. [S] et sur les premier et deuxième moyens et sur le quatrième moyen, pris en ses première et troisième branches, proposés pour Mme [W]
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche, proposé pour M. [S]
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [S] coupable des faits d'abus de confiance, alors :
« 5°/ que les peines sont aggravées lorsque l'abus de confiance est réalisé par une personne qui, de manière habituelle, se livre ou prête son concours, même à titre accessoire, à des opérations portant sur les biens des tiers pour le compte desquels elle recouvre des fonds ou des valeurs ; qu'en l'espèce, pour retenir que la circonstance aggravante était caractérisée, la cour d'appel a relevé que M. [S] « sous couvert de ses sociétés commerciales fournisseurs (Car Import) ou locataires (Guyane Car ou Auto Avenir) des SNC a reçu le montant des loyers résultant de la sous-location à laquelle elles procédaient, en une ou deux fois et les a encaissés » et qu'« il a manifestement procédé ainsi de manière habituelle au regard du nombre de véhicules concernés par la fraude » ; qu'en statuant ainsi quand les sociétés de M. [S] n'avaient pas pour activité habituelle de recouvrer des fonds ou des valeurs pour le compte des SNC, la cour d'appel a violé les articles 314-2 du code pénal et 391 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 314-2, 2° du code pénal :
7. Aux termes de ce texte, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 750 000 euros d'amende lorsque l'abus de confiance est réalisé par une personne qui, de manière habituelle, se livre ou prête son concours, même à titre accessoire, à des opérations portant sur les biens des tiers pour le compte desquels elle recouvre des fonds ou des valeurs.
8. Pour retenir à l'encontre de M. [S], déclaré coupable d'abus de confiance portant sur quarante véhicules loués aux sociétés dont il était le gérant, la circonstance aggravante prévue par le texte susvisé, l'arrêt attaqué énonce qu'il suffit que de façon habituelle, les fonds ou les valeurs recouvrés pour le compte de tiers aient été détournés par le prévenu.
9. Les juges ajoutent qu'en l'espèce, l'intéressé, sous couvert de ses sociétés commerciales fournisseurs ou locataires des SNC, a reçu le montant des loyers résultant de la sous-location à laquelle elles procédaient, en une ou deux fois, et les a encaissés, qu'il a manifestement procédé ainsi de manière habituelle au regard du nombre de véhicules concernés par la fraude, et que la circonstance aggravante est donc caractérisée.
10. En l'état de ces énonciations, qui se réfèrent aux seuls faits de la prévention, et non à l'activité à laquelle se prête de manière habituelle le prévenu, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le troisième moyen proposé pour Mme [W]
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné
Mme [W], à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis, alors « qu'en matière correctionnelle, le choix de la peine doit être motivé au regard des dispositions de l'article 132-1, sauf s'il s'agit d'une peine obligatoire ou de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction, et, donc, notamment, doit être motivé au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu ; qu'en condamnant, par conséquent, Mme [W], à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis, sans motiver sa décision sur ce point au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de Mme [W], la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 132-1 du code pénal et des articles 485-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
13. Selon le premier de ces textes, dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l'article 130-1.
14. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
15. Pour condamner Mme [W] à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis, l'arrêt énonce que conformément aux dispositions de l'article 485-1 du code de procédure pénale, toute peine prononcée doit être motivée au regard des dispositions de l'article 132-1 du code pénal, qui prévoit que le juge doit déterminer la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur, ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale.
16. Les juges ajoutent qu'en application des dispositions de l'article 130-1 du même code, afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions de sanctionner l'auteur de l'infraction et de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion.
17. Il relèvent que l'article 132-30 du code pénal précise que l'octroi du sursis simple est possible lorsque le prévenu n'a pas été condamné, au cours des cinq années précédant les faits, pour crime ou délit de droit commun, à une peine de réclusion ou d'emprisonnement.
18. Il concluent que Mme [W] est accessible au sursis simple et sera condamnée à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis.
19. En se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur la personnalité de la prévenue et sa situation personnelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
20. D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour Mme [W]
Enoncé du moyen
21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné à l'égard de Mme [W], la confiscation en valeur de l'intégralité de la maison d'habitation lui appartenant, située [Adresse 3], sur la parcelle cadastrée n° AL [Cadastre 1] sur le territoire de la commune de [Localité 2], alors :
« 2°/ que en matière correctionnelle, le choix de la peine doit être motivé au regard des dispositions de l'article 132-1, sauf s'il s'agit d'une peine obligatoire ou de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction, et, donc, notamment, doit être motivé au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu ; qu'en ordonnant, par conséquent, à l'égard de
Mme [W], la confiscation en valeur de l'intégralité de la maison d'habitation lui appartenant, sans motiver sa décision sur ce point au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de Mme [W], quand elle ne caractérisait pas que la maison d'habitation appartenant à Mme [W], constituait, dans son intégralité, un bien qui était le produit ou l'objet des faits de recel dont elle a déclaré coupable Mme [W], la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 132-1 du code pénal et des articles 485-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 131-21, alinéas 3, et 9, et 132-1 du code pénal et 485-1 du code de procédure pénale :
22. Il ressort du premier de ces textes que la confiscation peut porter sur les biens qui sont le produit direct ou indirect de l'infraction, et qu'elle peut être ordonnée en valeur sur tous biens du condamné.
23. Il résulte des deux derniers de ces textes qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, sauf s'il s'agit de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction.
24. Cette dérogation au principe de motivation des peines étant d'interprétation stricte, la confiscation du produit de l'infraction, lorsqu'elle est ordonnée en valeur, doit être motivée au regard des critères précités.
25. En l'espèce, pour prononcer la peine de confiscation du bien immobilier situé sur la commune de [Localité 2], [Adresse 3], l'arrêt attaqué énonce, notamment, que l'article 131-21 du code pénal prévoit la confiscation de biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, que la confiscation peut être ordonnée en valeur, et que la confiscation en valeur peut être exécutée sur tous biens, quelle qu'en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition.
26. Les juges ajoutent que la prévenue est la seule propriétaire de cette maison qui constitue le domicile familial du couple et de leurs enfants, acquise le 17 avril 2005 au prix de 243 919 euros à l'aide d'un prêt bancaire dont les mensualités ont été intégralement payées et d'un apport de 92 000 euros dont l'essentiel a été financé par son mari, et que malgré la saisie de ce bien, elle y a fixé le siège de deux sociétés qu'elle dirige.
27. Ils relèvent que Mme [W] est reconnue coupable de recel d'abus de biens sociaux à hauteur de 264 010 euros et 44 300 euros (numéraires détournés sur le compte personnel de son mari), de 121 106,76 euros et 8 854,53 euros (voyages) et de 12 000 euros (travaux dans la maison familiale) soit un produit infractionnel total de 450 271,29 euros, que la valeur vénale de l'immeuble a été estimée par France domaines à la somme de 300 000 euros le 2 avril 2015, et que la valeur de l'immeuble est donc inférieure au produit infractionnel.
28. Ils concluent qu'il convient donc de confisquer ledit bien, en intégralité et en valeur, par application de l'article 131-21, alinéa 9, du code pénal.
29. En prononçant ainsi, sans mieux s'expliquer sur la gravité des faits, la personnalité de leur auteur et sa situation personnelle pour fonder la condamnation de la prévenue à la peine complémentaire de confiscation en valeur du produit de l'infraction, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
30. La cassation est par conséquent encore encourue.
Portée et conséquences de la cassation
31. La cassation sera limitée aux dispositions ayant retenu à l'encontre de M. [S], déclaré coupable d'abus de confiance, la circonstance aggravante prévue par l'article 314-2, 2° du code pénal ainsi qu'aux peines prononcées à l'encontre de M. [S] et de Mme [W], dès lors que les autres dispositions n'encourent pas la censure.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur les pourvois formés par les sociétés Garantie AA 78, Garantie AC 12, Garantie AC 43, Garantie AD 76, Garantie AE 59, Iéna A 13, Iéna A 14, Iéna A 22, Iéna A 33, Iéna A 45, Iéna A 46, Iéna A 58, Iéna A 61, Iéna A 69, Iéna B 21, Iéna B 26, Iéna B 78, Kléber A 9 :
CONSTATE la déchéance des pourvois ;
Sur les pourvois formés par M. [S] et par Mme [W] :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Cayenne, en date du 25 mars 2021, mais en ses seules dispositions ayant retenu à l'encontre de M. [S], déclaré coupable d'abus de confiance, la circonstance aggravante prévue par l'article 314-2, 2° du code pénal et aux peines prononcées à l'encontre de M. [S] et de Mme [W], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Cayenne, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Cayenne et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille vingt-trois.