LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
HP
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 octobre 2023
Cassation
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 955 F-D
Pourvoi n° A 21-24.625
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 OCTOBRE 2023
La société Menuiserie du [Adresse 3], dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° A 21-24.625 contre l'arrêt rendu le 24 septembre 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [P] [K], domicilié [Adresse 2],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
M. [K] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Menuiserie du [Adresse 3], de Me Balat, avocat de M. [K], après débats en l'audience publique du 5 septembre 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 24 septembre 2021), M. [K] a été engagé en qualité de menuisier par la société Menuiserie du [Adresse 3] (la société), le 10 octobre 1996.
2. Licencié pour faute grave le 13 juin 2016, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de juger le licenciement du salarié abusif et de la condamner en conséquence à lui verser une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées dans la limite de deux mois, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que pour juger que le licenciement pour faute grave du salarié était abusif, la cour d'appel a considéré que le premier manquement énoncé dans la lettre de licenciement du 13 juin 2016, tiré de négligences grossières et fautives dans l'exécution du travail commises le 21 avril 2016 avait déjà été sanctionné par un avertissement notifié au salarié le 22 avril 2016 et que le second manquement reproché, tiré d'une absence injustifiée le 17 mars 2016, était connu de l'employeur à la date à laquelle il a notifié au salarié l'avertissement du 22 avril 2016, de sorte qu'au jour du licenciement, faute d'établir des manquements nouveaux commis par le salarié, le pouvoir disciplinaire de l'employeur était épuisé ; qu'en se fondant ainsi sur l'avertissement du 22 avril 2016 pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors que cet avertissement a été notifié non pas à M. [K] mais à M. [Z], un collègue de travail présent également sur le chantier le 21 avril 2016, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de l'avertissement du 22 avril 2016 s'agissant de son destinataire et a violé le principe suivant lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
4. Pour déclarer le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir reproduit une partie d'une lettre d'avertissement rédigée le 22 avril 2016 par l'employeur, retient, d'abord, que celui-ci a notifié au salarié cet avertissement pour un manquement commis le 21 avril 2016 sur un chantier et, ensuite, que le second motif de licenciement repose sur un précédent manquement commis le 17 mars 2016 qui était connu dans toute son ampleur le jour de la notification de cet avertissement par l'employeur. Il en déduit que ce dernier a épuisé son pouvoir disciplinaire pour ces deux motifs de licenciement.
5. En statuant ainsi, alors que la lettre d'avertissement du 22 avril 2016 n'avait pas été adressée au salarié mais à un de ses collègues de travail, M. [Z], présent le même jour sur le même chantier, la cour d'appel, qui a dénaturé le document en cause, a violé le principe susvisé.
Et sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes en paiement au titre des heures supplémentaires pour la période de décembre 2013 à mai 2016, outre les congés payés afférents et au titre du travail dissimulé, alors :
« 1°/ qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'en retenant, pour écarter la demande du salarié tendant au paiement d'heures supplémentaires, que la durée hebdomadaire de travail de M. [K] était de 39 heures, alors qu'elle constatait qu'un courrier de l'employeur fixait la durée hebdomadaire de travail à 44 heures, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;
2°/ qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'en retenant, pour écarter la demande du salarié tendant au paiement d'heures supplémentaires, que ''pour sa part, l'employeur fait justement observer que la réclamation formée par l'appelant ne comporte aucune précision sur ses périodes d'absences et de congés, alors qu'il a été absent en 2015 pendant quatre semaines pour cause de maladie'' la cour d'appel qui a ainsi fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
7. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
8. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
9. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
10. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires pour la période de décembre 2013 à mai 2016 et de ses demandes subséquentes, l'arrêt retient qu'il ne produit aucun décompte précis des sommes revendiquées autre que quatre heures multipliées par le nombre de semaines de travail effectuées, sans précision sur les périodes d'absence et de congés alors que, selon l'employeur, il a été absent pour maladie quatre semaines en 2015.
11. L'arrêt ajoute qu'il ressort d'une lettre du 29 septembre 2012 de l'employeur, décomposant le temps de travail du salarié, à savoir du lundi au jeudi, de 7h à 8h : préparation, chargement et conduite, de 8h à 12h et de 13h à 17h : travail plus retour et, le vendredi, de 7h à 8h : préparation, chargement et conduite, de 8h à 12h et de 13h à 16h : travail plus retour, que sa durée hebdomadaire de travail était de 39 heures en tenant compte d'une pause d'une heure en milieu de journée et que les bulletins de salaire mentionnaient systématiquement le paiement de ces heures y compris la majoration des heures supplémentaires. Il en conclut que les éléments produits par les parties n'étaient pas de nature à prouver l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées.
12. En statuant ainsi, alors, d'une part, qu'il résultait de ses constatations que la lettre du 29 septembre 2012 de l'employeur fixait la durée hebdomadaire de travail à 44 heures et que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, et, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre octobre deux mille vingt-trois.