LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 octobre 2023
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 953 F-D
Pourvoi n° Q 21-20.889
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 OCTOBRE 2023
M. [U] [Z], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 21-20.889 contre l'arrêt rendu le 2 juin 2021 par la cour d'appel de Versailles (19e chambre), dans le litige l'opposant à la société Sandoz, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société Sandoz a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les cinq moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [Z], de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Sandoz, après débats en l'audience publique du 5 septembre 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 juin 2021), M. [Z] a été engagé en qualité de contrôleur de gestion par la société Les laboratoires GNR Pharma à compter du 1er mai 1998 avec reprise de son ancienneté au 16 décembre 1985. Son employeur est devenu la société Sandoz (la société).
2. Dans le dernier état de la relation contractuelle, il occupait les fonctions de directeur administratif et financier.
3. Licencié le 16 octobre 2006, il a saisi la juridiction prud'homale le 23 octobre 2006 de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens du pourvoi principal
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, le premier n'étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation et le troisième étant irrecevable.
Sur le moyen du pourvoi incident, qui est préalable
Enoncé du moyen
5. La société fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception de péremption de l'instance d'appel, alors « que selon l'article R. 1452-8 du code du travail, alors applicable, antérieurement à son abrogation par le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction ; que constituent des diligences au sens de ce texte, le dépôt de conclusions écrites et de pièces ordonné en matière de procédure orale par la juridiction pour mettre l'affaire en état d'être jugée ; qu'en jugeant que la lettre recommandée avec accusé de réception adressée aux parties le 28 octobre 2009 par le président de la chambre de la cour d'appel chargée d'instruire l'affaire faisant injonction aux parties de déposer leurs conclusions et pièces au plus tard fin novembre 2009 n'avait pas fait courir le délai de péremption, la cour d'appel a violé les articles R. 1452-8 du code du travail, dans sa rédaction applicable, et 386 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article R. 1452-8 du code du travail, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, en matière prud'homale l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.
7. La cour d'appel, qui a constaté que la lettre du 28 octobre 2009 adressée aux parties par le président de chambre de la cour d'appel leur demandait seulement de prendre en considération les indications qu'elle contenait relatives à la fixation des délais donnés aux parties pour communiquer leurs pièces et conclure, ce dont il résultait qu'aucune décision émanant de la juridiction n'imposait explicitement aux parties une quelconque diligence à accomplir, en a exactement déduit qu'elle n'avait pas fait courir le délai de péremption.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'un rappel de prime, alors « que constitue une prime discrétionnaire celle dont le fait générateur du versement n'est pas prédéterminé et dont le versement présente un caractère exceptionnel sans aucune périodicité ; qu'en l'espèce, il faisait valoir que sa rémunération comportait le versement d'une prime annuelle au mois de mars ou avril de chaque année et qu'il avait ainsi perçu 12 290 euros au mois de mars 2003, 15 052 euros au mois de mars 2005 et 21 834 euros au mois d'avril 2006 ; qu'en se bornant à relever que la prime en cause n'était pas prévue dans le contrat de travail pour en déduire qu'elle avait un caractère discrétionnaire de la part de l'employeur, sans s'expliquer sur la périodicité de son versement chaque année depuis que le salarié avait accédé aux fonctions de responsable administratif et financier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
10. Ayant relevé, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve, que la prime litigieuse, qui n'était pas prévue par le contrat de travail, avait été attribuée de manière discrétionnaire par l'employeur, ce dont il résultait qu'elle était dépourvue de nature salariale et de caractère obligatoire, la cour d'appel en a exactement déduit, sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations rendait inopérante, que le salarié n'était pas fondé à demander le paiement d'une somme à ce titre pour l'année 2006.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le cinquième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
12. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour dénonciation calomnieuse, alors « que la demande de dommages-intérêts pour dénonciation calomnieuse par l'employeur de son salarié auprès de la juridiction pénale postérieurement au prononcé de son licenciement constitue une demande de dommages-intérêts fondée sur des faits distincts du licenciement lui-même, qu'il appartient au juge d'examiner indépendamment du bien-fondé du licenciement ; que le salarié formulait à l'encontre de son employeur une demande de dommages-intérêts à hauteur de 500 000 euros pour dénonciation calomnieuse à son encontre réalisée dans la plainte pénale déposée le 6 décembre 2006 par la société Sandoz, qui avait abouti, après douze ans de procédure, à une ordonnance de non-lieu le 8 août 2014 confirmée par un arrêt de la chambre de l'instruction le 5 mars 2015 ; qu'en le déboutant de cette demande au motif inopérant que son licenciement prononcé le 17 octobre 2006 reposait sur une faute grave et sans rechercher, comme elle y était invitée, si le salarié n'avait pas fait l'objet d'une dénonciation calomnieuse de son employeur dans le cadre de la procédure pénale engagée après son licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
13. La demande de dommages-intérêts pour dénonciation calomnieuse présentée par le salarié reposant exclusivement sur une prétendue inexactitude des faits qui lui étaient reprochés à l'appui de son licenciement disciplinaire, la cour d'appel, qui a estimé que ces faits étaient établis et constituaient une faute grave, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le quatrième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
15. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, alors « que la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral résultant du dénigrement et de l'acharnement subi par le salarié de la part de son employeur postérieurement au prononcé de son licenciement constitue une demande de dommages-intérêts fondée sur des faits distincts du licenciement lui-même, qu'il appartient au juge d'examiner indépendamment du bien-fondé du licenciement ; qu'il formulait à l‘encontre de son employeur une demande de dommages-intérêts à hauteur de 320 000 euros en réparation du préjudice moral que lui avait causé le dénigrement dont il avait fait l'objet par voie de presse après son licenciement et de l'acharnement dont avait fait preuve l'employeur pour faire durer la procédure pénale et la procédure prud'homale pendant 12 ans ; qu'en le déboutant de cette demande au motif inopérant que son licenciement prononcé le 17 octobre 2006 reposait sur une faute grave, et sans rechercher, comme elle y était invitée, si le salarié n'avait pas fait l'objet d'un dénigrement par voie de presse et d'un acharnement dans le cadre des procédures pénale et prud'homale engagées après son licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382 devenu 1240 du code civil :
16. Il résulte de ce texte que, même lorsqu'il est prononcé en raison d'une faute grave, le licenciement peut causer au salarié, en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné, un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et dont il est fondé à demander réparation.
17. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, l'arrêt retient que le licenciement est fondé sur une faute grave.
18. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le licenciement n'avait pas été entouré de circonstances vexatoires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS,
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [Z] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral et en ce qu'il le condamne aux dépens d'appel et à payer à la société Sandoz la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel, l'arrêt rendu le 2 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Sandoz aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sandoz et la condamne à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre octobre deux mille vingt-trois.