LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 septembre 2023
Cassation
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 869 F-D
Pourvoi n° S 22-11.143
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2023
La société SNCF voyageurs, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 22-11.143 contre l'arrêt rendu le 30 septembre 2021 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Mutuelle assurances instituteur France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, Ã l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pedron, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société SNCF voyageurs, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Mutuelle assurances instituteur France, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pedron, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 30 septembre 2021), le 17 août 2016, un arbre se trouvant sur la propriété de M. [J], assuré auprès de la société Mutuelle assurance des instituteurs de France (l'assureur), s'est brisé et est tombé sur un train exploité par la société SNCF voyageurs (la SNCF) qui circulait sur la voie ferrée se trouvant en contrebas.
2. La SNCF a assigné l'assureur devant le juge des référés d'un tribunal judiciaire en paiement de provisions à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La SNCF fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, de dire n'y avoir lieu à référé et de renvoyer les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, alors :
« 1°/ que lorsqu'il est établi que c'est, au moins partiellement, en raison du
vice interne à une chose qu'un dommage a été causé, aucune cause étrangère ne peut, par hypothèse, absorber l'intégralité de la causalité de l'accident et être de nature à exonérer totalement le gardien de la chose viciée de sa responsabilité intégrale et de plein droit à l'égard de la victime, si bien que n'est pas sérieusement contestable l'obligation de réparation du gardien d'une chose dont il a été constaté que le vice interne est à l'origine du dommage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté qu'il résultait du rapport de l'expert que la chute de l'arbre appartenant à M. [J] sur la voie ferrée était due à la combinaison de trois facteurs, à savoir des cassures internes, la pourriture du bois causée par une attaque
fongique et un phénomène climatique ; qu'il résulte de ces constatations que le vice interne de l'arbre étant à l'origine de l'accident, le fait causal de l'arbre lui-même dans la réalisation du dommage était indiscutablement établi, si bien qu'aucune cause étrangère ne pouvait absorber l'intégralité de la causalité de l'accident et être de nature à exonérer totalement le gardien, celui-ci étant en conséquence tenu de réparer intégralement le dommage causé à la victime au titre de l'obligation à la dette, sauf son recours contre les autres coresponsables ; que dès lors en retenant à tort qu'une cause d'exonération totale de la responsabilité du gardien était susceptible de prospérer au fond, pour dire n'y avoir lieu à référé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 835 alinéa 2 du code de procédure civile et 1384 alinéa 1er du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 1er février 2016 ;
2°/ qu'il est indifférent quant à la responsabilité du gardien de la chose dont le fait a causé le dommage que le vice interne de la chose à l'origine de l'accident ait été indécelable ou insurmontable pour le gardien et qu'il n'ait pas commis de faute ; qu'il résulte des propres constatations de la cour d'appel que 'accident a été causé par la dangerosité de l'arbre; que dès lors, en retenant que les manquements de tiers à un devoir de conseil ou à un devoir de surveillance quant à la dangerosité de l'arbre appartenant à M. [J] ne lui avaient pas permis de prendre les mesures pour prévenir le dommage et pouvaient ainsi être sérieusement débattus comme des faits de tiers imprévisibles et irrésistibles pour le gardien de nature à l'exonérer totalement de sa responsabilité, quand les conséquences de ces manquements étaient par nature inopérantes à écarter le principe de la responsabilité du gardien, la cour d'appel a violé les articles 835, alinéa 2, du code de procédure civile et 1384 alinéa 1er du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 1er février 2016 ;
3°/ que faute d'extériorité par rapport à la chose à l'origine du dommage et faute, par nature, de pouvoir constituer la cause exclusive du dommage, ne peuvent être retenus comme des causes étrangères susceptibles d'exonérer totalement le gardien de la chose dont le vice a causé le dommage, ni le manquement à l'obligation de surveillance ni le manquement à l'obligation d'information quant à la dangerosité intrinsèque de cette chose ; que dès lors en affirmant que les manquements aux devoirs de conseil et de surveillance quant à la dangerosité de l'arbre, dont il est établi que le vice interne a contribué à causer le dommage, étaient susceptibles d'être débattus sérieusement comme des faits de tiers irrésistibles et imprévisibles et d'exonérer totalement M. [J], gardien de l'arbre, de sa responsabilité, la cour d'appel a violé les articles 835, alinéa 2, du code de procédure civile et 1384, alinéa 1er, du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 1er février 2016 ;
4°/ qu'en toute hypothèse, ne sont jamais imprévisibles et irrésistibles pour le gardien d'une chose, tenu de plein droit de répondre de ses vices, les manquements de tiers à une obligation de surveillance ou d'information quant à la dangerosité de cette chose ni les conséquences de ces manquements ; que dès lors en affirmant que les manquements aux devoirs de conseil et de surveillance quant à la dangerosité de l'arbre, dont il est établi que le vice interne a contribué à causer le dommage, étaient susceptibles d'être débattus sérieusement comme des faits de tiers irrésistibles et imprévisibles et d'exonérer totalement le gardien de l'arbre de sa responsabilité, la cour d'appel a violé les articles 835, alinéa 2, du code de
procédure civile et 1384, alinéa 1er, du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 1er février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du code civil et
835, alinéa 2, du code de procédure civile :
4. Il résulte du premier de ces textes que la responsabilité de plein droit du gardien est engagée dès lors qu'il est établi que la chose a été, en quelque manière et ne fût-ce que partiellement, l'instrument du dommage, sauf au gardien à prouver qu'il n'a fait que subir l'action d'une cause étrangère qu'il n'a pu ni prévoir, ni empêcher.
5.Selon le second, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
6. Pour rejeter la demande de provision présentée par la SNCF contre l'assureur, l'arrêt, après avoir énoncé que l'expert avait déterminé trois causes à l'origine de la chute de l'arbre, à savoir, d'une part, des cassures internes, d'autre part, la pourriture du bois causée par une attaque fongique, enfin, un phénomène climatique violent avec un vent tourbillonnant en rafales, élément déclencheur de la rupture du tronc, précise que l'expert a relevé que les tournées de surveillance bi-annuelles effectuées par la société SNCF réseau pendant les années ayant précédé l'accident auraient dû lui permettre de signaler au gardien cet arbre, incliné en direction des voies ferrées, comme potentiellement dangereux pour l'emprise ferroviaire.
7. Il ajoute que l'expert a relevé que l'élagueur intervenu à la demande du gardien début 2012 pour la taille et l'entretien de l'arbre aurait dû remarquer le déséquilibre et l'affaiblissement du tronc, ainsi que les signes de blessures de celui-ci visibles pour un professionnel, de telle sorte que ce dernier aurait dû signaler le danger potentiel au propriétaire, qui, n'étant pas un professionnel, ne pouvait pas évaluer cette dangerosité.
8. Il en déduit que le fait, pour ces professionnels avertis, de ne pas avoir détecté la dangerosité de l'arbre et de ne pas en avoir informé M. [J], non-professionnel, caractérise un manquement, pour l'élagueur, à son devoir de conseil, et, pour la société SNCF réseau, à son devoir de surveillance, qui n'a pas permis au gardien de prendre les mesures nécessaires pour prévenir le dommage.
9. Il conclut que ces manquements sont susceptibles d'être débattus sérieusement comme des faits de tiers imprévisibles et irrésistibles pour le gardien lors d'un débat sur le fond, lequel excède les pouvoirs du juge des référés, l'invocation par l'assureur d'une cause d'exonération totale de la responsabilité du gardien étant ainsi susceptible de prospérer au fond.
10. En statuant ainsi, alors que les manquements des tiers qu'elle relevait n'étaient pas de nature à exonérer totalement le gardien de l'arbre de sa responsabilité de plein droit à l'égard de la SNCF, de sorte que l'obligation à réparation de celui-ci n'était pas sérieusement contestable, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne la Mutuelle assurance des instituteurs de France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Mutuelle assurance des instituteurs de France et la condamne à payer à la société SNCF voyageurs la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-trois.