LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 septembre 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président de chambre le plus ancien, faisant fonction de premier président
Arrêt n° 604 FS-D
Pourvois n°
T 22-18.803
H 22-20.334 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 SEPTEMBRE 2023
I. 1°/ Mme [K] [W], domiciliée [Adresse 3], [Localité 17],
2°/ M. [N] [Z], domicilié [Adresse 1], [Localité 12],
ont formé le pourvoi n° T 22-18.803 contre l'arrêt rendu le 11 mai 2022 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [I] [S], domicilié [Adresse 18], [Localité 7],
2°/ à la société SMA, société anonyme, dont le siège est [Adresse 11], [Localité 16],
3°/ à M. [C] [O], domicilié [Adresse 14], [Localité 6],
4°/ à la société AXA France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 8], [Localité 23],
5°/ à la société Matériaux Dubos, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 10], [Localité 5],
6°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 25], [Localité 19],
7°/ à la société Mandateam, dont le siège est [Adresse 22], [Localité 4], venant aux droits de la SCP Guerin Diesbecq Zolotarenko, pris en qualité de mandataire liquidateur de la société [S] bâtiment conseil contrôle (LB2C)
défendeurs à la cassation.
II. M. [I] [S] a formé le pourvoi n° H 22-20.334 contre le même arrêt dans le litige l'opposant :
1°/ à la société SMA, société anonyme, dont le siège est [Adresse 21], [Localité 15],
2°/ à M. [N] [Z], domicilié [Adresse 2], [Localité 12],
3°/ à Mme [K] [W], épouse [Z], domiciliée [Adresse 3], [Localité 17],
4°/ à M. [C] [O], domicilié [Adresse 13], [Localité 6],
5°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 9], [Localité 23],
6°/ à la société Matériaux Dubos, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 10], [Localité 5],
7°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 24], [Localité 20],
8°/ à la société Mandateam, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 22], [Localité 4],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs au pourvoi n° T 22-18.803 invoquent, à l'appui de leur recours, sept moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi n° H 22-20.334 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [S], de la SCP Richard, avocat de Mme [W] et de M. [Z], de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de la société Matériaux Dubos, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société SMA, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société AXA France IARD, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, conseiller référendaire ayant voix délibérative, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° T 22-18.803 et H 22-20.334 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 11 mai 2022), le 10 avril 2008, la maison d'habitation de M. et Mme [Z], assurée auprès de la société Axa France IARD, a été détruite par un incendie.
3. Le 7 juillet 2008, la société Axa France IARD a versé à M. et Mme [Z] une indemnité immédiate, qui devait être complétée par une indemnité différée.
4. M. et Mme [Z] ont confié à la société Maçonnerie générale construction (la société MGC), ensuite mise en liquidation judiciaire, assurée auprès de la société MAAF assurances, la réalisation des travaux de reconstruction, sous la maîtrise d'oeuvre de M. [S], assuré auprès de la société Sagena, devenue SMA (la société SMA), la société Matériaux Dubos fournissant des matériaux.
5. Les travaux ont débuté en septembre 2008 et la société MGC a abandonné le chantier puis, en mars 2010, M. [S] a cessé d'accomplir sa mission.
6. La société Axa France IARD a refusé de verser à M. et Mme [Z] l'indemnité différée, au motif que la reconstruction n'était pas intervenue dans un délai de deux ans à compter du sinistre.
7. La société Matériaux Dubos a assigné M. et Mme [Z] en paiement d'une commande passée par M. [S].
8. Se plaignant de désordres et d'inachèvements, M. et Mme [Z] ont, après expertise, assigné la société Axa France IARD en paiement de l'indemnité différée et les autres intervenants en réparation de leurs préjudices.
9. En cours d'instance, M. et Mme [Z] ont vendu leur propriété.
Examen des moyens
Sur les deuxième, troisième, quatrième, sixième moyens et le cinquième moyen, pris en sa première branche du pourvoi n° T 22-18.803 et sur le deuxième moyen du pourvoi n° H 22-22.334
10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi n° T 22-18.803 et le premier moyen du pourvoi n° H 22-22.334, rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé du moyen
11. Par leur premier moyen, M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes formées à l'encontre de la société SMA, en sa qualité d'assureur de M. [S] et, par son premier moyen, M. [S] fait grief à l'arrêt de rejeter son appel en garantie contre la SMA, alors « qu'en l'absence de déclaration de la mission et de paiement des primes afférentes, l'indemnité due par l'assureur doit être réduite en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée ; que le contrat d'assurance ne peut déroger à ces dispositions d'ordre public, en prévoyant un autre mode de calcul de la réduction proportionnelle ; qu'en décidant néanmoins que la société SMA ne devait pas sa garantie, en l'absence de déclaration par Monsieur [S], son assuré, du chantier de M. et Mme [Z], sur lequel il était intervenu en qualité de maître d'oeuvre, motif pris que la réduction proportionnelle de l'indemnité équivalait dans cette hypothèse à une absence de garantie, aucune cotisation n'ayant été payée pour ce risque, tandis qu'en l'absence de déclaration du chantier par Monsieur [S] et de paiement des primes afférentes, l'indemnité due par la société SMA ne devait pas être exclue, mais seulement réduite en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée, la Cour d'appel a violé l'article L. 113-9 du Code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 113-9 du code des assurances :
12. Il résulte de ce texte qu'en l'absence de déclaration de la mission et de paiement des primes afférentes, l'indemnité due par l'assureur doit être réduite en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée.
13. Le contrat d'assurance ne peut déroger à ces dispositions d'ordre public en prévoyant un autre mode de calcul de la réduction proportionnelle.
14. Pour rejeter les demandes formées à l'encontre de la société SMA, l'arrêt retient que, M. [S] n'ayant pas déclaré le chantier auprès de son assureur et n'ayant payé aucune cotisation pour ce risque, la réduction proportionnelle équivaut à une absence de garantie selon l'article 7 de la convention spéciale responsabilité professionnelle de l'ingénierie bâtiment, qui est conforme à la règle posée par l'article L. 113-9 et qui ne constitue ni une exclusion, ni une déchéance de garantie.
15. En statuant ainsi, alors que la réduction proportionnelle d'indemnité prévue par cet article se calcule, nonobstant toute clause contraire, en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le cinquième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi n° T 22-18.803
Enoncé du moyen
16. M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation prononcée contre M. [S] au titre de la réparation du préjudice résultant de la diminution du prix de vente, alors « qu'en se bornant à relever, pour limiter à 10 % la part de responsabilité contractuelle de M. [S], en sa qualité de maître d'oeuvre, dans la diminution du prix de vente de la propriété de M. et Mme [Z] du fait de l'absence de reconstruction de la maison qui avait été détruite par un incendie, que M. et Mme [Z] s'étaient entourés de professionnels, avaient pris aussi des
initiatives en entretenant une relation directe auprès notamment d'un fournisseur et que M. [S] avait démissionné de ses attributions en mars 2010, de sorte que M. et Mme [Z] avaient contribué directement à leur préjudice, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser une faute de M. et Mme [Z], a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
17. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
18. Pour limiter à une certaine somme la condamnation prononcée contre M. [S] au titre de la diminution du prix de l'immeuble que M. et Mme [Z] ont vendu en l'état, l'arrêt retient que ceux-ci ont bénéficié du paiement de l'indemnité immédiate versée par l'assureur en 2008 à hauteur de la somme de 362 159 euros, qui n'a pas été totalement engagée dans la reconstruction, qu'ils ont perdu, en raison de leur inertie, le bénéfice de l'indemnité différée correspondant au coût d'achèvement des travaux, que s'ils se sont entourés de professionnels, ils ont également pris des initiatives en entretenant une relation directe auprès notamment d'un fournisseur et que M. [S] a démissionné de ses attributions en mars 2010, de sorte qu'ils ont contribué directement à leur préjudice.
19. En se déterminant ainsi, après avoir constaté que le fait générateur du dommage résidait en l'inachèvement des travaux dans les délais requis et en l'existence de nombreux désordres et malfaçons, et qu'il ne pouvait être reproché à M. et Mme [Z] d'avoir décidé au cours de la procédure d'appel de céder leur propriété plusieurs années après le début des procédures judiciaires en référé et au fond, dès lors qu'ils bénéficiaient d'un droit à réparation intégrale, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la faute des maîtres de l'ouvrage ayant contribué à leur préjudice, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le septième moyen du pourvoi n° T 22-18.803
Enoncé du moyen
20. M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de M. [S] au titre de la réparation de leur préjudice de jouissance, alors « qu'en se bornant à relever, pour limiter la part de responsabilité contractuelle de Monsieur [S], en sa qualité de maître
d'oeuvre, dans le préjudice de jouissance de M. et Mme [Z] qu'il convenait de retenir la part de responsabilité qui leur incombait, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une faute de M. et Mme [Z] de nature à fonder leur part de responsabilité, a privé sa décision de base légale au
regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
21. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
22. Pour limiter à une certaine somme la condamnation prononcée contre M. [S] au titre du préjudice de jouissance subi par M. et Mme [Z], l'arrêt retient qu'il convient de tenir compte de la part de responsabilité qui leur incombe.
23. En se déterminant ainsi, après avoir retenu que c'était en raison de l'absence d'achèvement des travaux et de l'existence de désordres et de malfaçons listés par l'expert judiciaire dans son rapport que M. et Mme [Z] n'avaient pu occuper leur maison, et que la privation de jouissance de celle-ci avait été totale du 23 décembre 2009 jusqu'à la date de la vente, le 9 novembre 2017, sans préciser quelles fautes personnelles des maîtres de l'ouvrage auraient contribué à leur propre préjudice, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Mise hors de cause
24. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause les sociétés Axa France IARD et Matériaux Dubos, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [S] à payer à M. [Z] et à Mme [W] épouse [Z] les sommes de 10 000 euros en réparation de la diminution du prix de l'immeuble vendu en l'état, de 9 500 euros au titre de leur préjudice de jouissance et en ce qu'il rejette les demandes formées à l'encontre de la société SMA, l'arrêt rendu le 11 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Met hors de cause les sociétés Axa France IARD et Matériaux Dubos ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen, autrement composée ;
Condamne la société SMA aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [S] à payer la somme globale de 3 000 euros à M. et Mme [Z] et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-trois.