LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
HP
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 septembre 2023
Cassation
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 850 F-D
Pourvoi n° X 22-12.827
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 SEPTEMBRE 2023
Mme [N] [J] épouse [K], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 22-12.827 contre l'arrêt rendu le 5 janvier 2022 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société GB Foods, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Continental Foods France, défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Salomon, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [K], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société GB Foods, après débats en l'audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Salomon, conseiller rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, et Mme Thuillier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 5 janvier 2022), Mme [K] a été engagée en qualité de chef de secteur grande distribution le 21 août 2006 par la société Continental Foods France, devenue la société GB Foods. Elle a été promue au poste de compte clé logistique le 1er août 2010.
2. La salariée travaillait deux jours par semaine en télétravail. Par avenant du 4 décembre 2015, son temps de travail a été réduit à 60%.
3. L'intéressée a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 15 juin 2016.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que sa prise d'acte de la rupture produit les effets d'une démission et de la débouter de l'ensemble de ses demandes à ce titre, alors « que les juges du fond doivent prendre en compte la totalité des reproches formulés par un salarié pour justifier la prise d'acte de la rupture aux torts de son employeur ; que la salariée avait invoqué à l'appui de sa prise d'acte non seulement le fait que la société Continental foods France ait engagé une procédure de recrutement d'un salarié sur son propre poste, qu'elle ait refusé de la faire travailler à nouveau à temps plein pour faire face à sa charge de travail et l'absence d'encadrement de son télétravail, mais également par l'ordre qui lui avait été donné de cesser de télétravailler à son domicile et de se rendre désormais au siège de l'entreprise, ordre qui constituait une modification unilatérale de son contrat de travail ; qu'en n'examinant pas ce dernier grief, la cour d'appel a violé l'article L. 1231-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L.1231-1 du code du travail et l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
5. Selon le premier de ces textes, le contrat de travail peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord, dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre.
6. Aux termes du second, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
7. Il en résulte que, pour statuer sur une demande de requalification d'une prise d'acte, les juges du fond doivent examiner l'ensemble des reproches formulés par le salarié à l'encontre de son employeur.
8. Pour dire que la prise d'acte de la salariée produit les effets d'une démission, l'arrêt écarte les griefs tenant à l'organisation du télétravail, au refus opposé par l'employeur à sa demande de retour à temps plein et aux démarches entreprises par l'employeur pour lui trouver un remplaçant.
9. En se déterminant ainsi, sans prendre en compte l'ensemble des reproches formulés par la salariée à son employeur dans sa lettre de prise d'acte et dans ses conclusions, relatifs, notamment, à une modification unilatérale de son contrat de travail résultant de la demande qui lui était faite de revenir travailler de manière permanente au siège de la société alors qu'elle exerçait partiellement en télétravail depuis 2006, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.
Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
10. La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en retenant, pour considérer que l'employeur n'était pas fautif d'avoir refusé le retour à temps plein, que la salariée ne démontrait pas en quoi sa charge de travail exigeait un tel retour sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si le refus de l'employeur n'était pas justifié uniquement par l'intention qui lui était prêtée de quitter l'entreprise et non par une raison objective, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1231-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L.1231-1 du code du travail et l'article L.3123-8 de ce code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
11. Selon ce dernier texte, les salariés à temps partiel qui souhaitent occuper ou reprendre un emploi d'une durée au moins égale à celle mentionnée à l'article L.3123-14-1 ou, le cas échéant, à celle fixée par convention ou accord de branche étendu sur le fondement des dispositions de l'article L.3123-14-3, ou un emploi à temps complet et les salariés à temps complet qui souhaitent occuper ou reprendre un emploi à temps partiel dans le même établissement, ou à défaut, dans la même entreprise ont priorité pour l'attribution d'un emploi ressortissant à leur catégorie professionnelle ou d'un emploi équivalent. L'employeur porte à la connaissance de ces salariés la liste des emplois disponibles correspondants.
12. Pour dire le refus de l'employeur d'accéder à la demande de retour à temps complet de la salarié justifié, l'arrêt énonce que ce refus s'explique par le fait que les parties avaient signé un avenant le 4 décembre 2015, soit trois mois auparavant pour organiser, à sa demande, le temps partiel de la salariée. Il ajoute que la réorganisation des tâches au sein de l'entreprise qu'avait nécessairement nécessité la mise en place de ce temps partiel ne pouvait être modifiée trois mois plus tard du seul fait du bon vouloir de la salariée, laquelle avait, par ailleurs, manifesté son intention de démissionner devant le refus de l'employeur. Il retient ensuite que la salariée ne démontre pas en quoi, alors qu'elle a toujours eu des évaluations élogieuses, sa charge de travail exigeait un retour à temps plein.
13. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'il lui appartenait de rechercher si le refus de l'employeur n'était pas motivé uniquement par l'intention prêtée à la salariée de quitter l'entreprise, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le premier moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
14. La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'aux termes de l'article L.1222-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, l'employeur est notamment tenu à l'égard du salarié en télétravail de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l'exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci, de lui donner priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et de porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature et enfin d'organiser chaque année un entretien portant sur les conditions d'activité du salarié et sa charge de travail ; qu'en écartant l'existence d'un manquement de l'employeur justifiant que la rupture lui soit imputée, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, s'il avait respecté ses obligations légales à l'égard de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1222-10 et L.1231-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L.1222-10, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et l'article L.1231-1 du code du travail :
15. Selon le premier de ces textes, l'employeur est tenu à l'égard du salarié en télétravail :
1° De prendre en charge tous les coûts découlant directement de l'exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ;
2° D'informer le salarié de toute restriction à l'usage d'équipements ou outils informatiques ou de services de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions ;
3° De lui donner priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et de porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature ;
4° D'organiser chaque année un entretien qui porte notamment sur les conditions d'activité du salarié et sa charge de travail ;
5° De fixer, en concertation avec lui, les plages horaires durant lesquelles il peut habituellement le contacter.
16. Pour écarter tout manquement de l'employeur au titre du télétravail, l'arrêt retient que la salariée travaillait selon les mêmes modalités depuis 2006, ce qui ne l'avait pas empêchée d'obtenir une promotion. Il ajoute que ce mode de travail qu'elle avait elle-même sollicité lui convenait puisqu'elle avait refusé de venir travailler au siège de l'entreprise.
17. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'employeur avait respecté les obligations légales mises à sa charge par l'article L. 1222-10 précité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne la société GB Foods aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société GB Foods et la condamne à payer à Mme [K] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois.