LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
OR
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 septembre 2023
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 883 F-D
Pourvoi n° A 22-12.117
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 SEPTEMBRE 2023
M. [G] [S], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 22-12.117 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société RITM [Localité 3], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Health City France, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [S], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société RITM [Localité 3], après débats en l'audience publique du 21 juin 2023 où étaient présentes Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 décembre 2021) et les pièces de la procédure, M. [S] a signé une convention, le 11 février 2008, avec la société Fitness First France, devenue la société Health City France (la société), dont la nouvelle dénomination est RITM [Localité 3], prévoyant qu'il exercerait son activité d'auto-entrepreneur, en qualité de coach sportif, au sein d'un de ses établissements.
2. La relation contractuelle a pris fin le 30 novembre 2009.
3. Par arrêt définitif du 8 avril 2014 de la cour d'appel de Paris, confirmant le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 18 septembre 2022, la société et son représentant légal ont été déclarés coupables, entre le 1er janvier 2008 et le 31 octobre 2011, du délit de travail dissimulé par omission de déclaration nominative préalable à l'embauche et de remise de bulletins de salaire, ainsi que par omission de déclaration obligatoire à un organisme de protection sociale de plusieurs salariés, dont M. [S], qui s'est constitué partie civile.
4. Soutenant être lié par un contrat de travail à la société, M. [S] a saisi la juridiction prud'homale, le 25 septembre 2014, d'une demande en paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaires, d'indemnité pour travail dissimulé, et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnité pour travail dissimulé, alors « que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil l'autorité absolue de la chose jugée ; que pour ne pas faire droit à la demande d'indemnité pour travail dissimulé, la cour d'appel a jugé que l'élément intentionnel n'était pas caractérisé, quand les juridictions pénales avaient au contraire condamné la société Health City France pour travail dissimulé, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur l'action portée au civil et les dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal et les articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 :
7. Selon ce principe, les décisions de la juridiction pénale ont au civil l'autorité de la chose jugée à l'égard de tous et il n'est pas permis au juge civil de méconnaître ce qui a été jugé par le tribunal répressif.
8. Aux termes du premier de ces textes, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.
9. Selon le second, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
10. Pour rejeter la demande d'indemnité pour travail dissimulé, l'arrêt constate que les parties avaient signé une convention aux termes de laquelle M. [S] avait le statut d'auto-entrepreneur et déclarait lui-même son activité. Il retient que le fait que l'employeur ait eu connaissance de ce que les conditions de la relation entraîneraient la requalification en contrat de travail n'est pas établi, que pour d'autres contrats contemporains à celui de l'intéressé, d'autres juridictions prud'homales, dont une cour d'appel, ont rejeté la demande de requalification. Il en déduit que l'employeur a pu de bonne foi considérer qu'il n'existait pas de relation salariale.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société avait été condamnée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 avril 2014 pour un délit de travail dissimulé à l'égard de plusieurs salariés, dont M. [S] qui s'était constitué partie civile, ce dont elle aurait dû déduire que cette décision définitive avait au civil l'autorité de la chose jugée à l'égard de tous et qu'elle permettait au salarié de demander à la société le paiement d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation prononcée en faveur du salarié n'emporte pas cassation du chef de dispositif condamnant l'employeur aux dépens qui n'est pas critiqué.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'indemnité pour travail dissimulé présentée par M. [S] ainsi que celle au titre des frais irrépétibles, l'arrêt rendu le 15 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société RITM [Localité 3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société RITM [Localité 3] et la condamne à payer à M. [S] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois.