LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 septembre 2023
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 864 F-D
Pourvoi n° R 22-11.004
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 SEPTEMBRE 2023
La société [J] [R] Coiffure, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 22-11.004 contre l'arrêt rendu le 1er décembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [L] [D], domiciliée [Adresse 3],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Mme [D] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [J] [R] Coiffure, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [D], après débats en l'audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Van Ruymbeke, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er décembre 2021), Mme [D] a été engagée en qualité de coiffeuse studio par la société [J] [R] coiffure à compter du 1er février 2010.
2. A l'issue d'un examen médical, elle a été déclarée inapte à tout poste dans l'entreprise, avec danger immédiat, le 29 novembre 2016, et a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 16 janvier 2017.
3. Elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi principal
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de fixer l'ancienneté de la salariée au 1er septembre 2007 et de le condamner à lui payer diverses sommes au titre de la prime d'ancienneté pour la période de janvier 2014 à janvier 2017, des congés payés afférents et du reliquat de l'indemnité de licenciement, alors « que sauf dispositions conventionnelles ou contractuelles contraires ou situation de co-emploi, les contrats de travail successifs avec plusieurs sociétés appartenant à un même groupe ne permettent pas au salarié de se prévaloir de l'ancienneté acquise dans l'une de ces sociétés ; qu'en l'espèce, pour fixer l'ancienneté de Mme [D] au 1er septembre 2007 et condamner la société [J] [R] à verser à cette dernière diverses sommes à titre de prime d'ancienneté, congés payés afférents et reliquat de l'indemnité de licenciement, la cour d'appel a relevé que l'article 1-8 de l'avenant du 12 décembre 2007 à la convention collective de la coiffure précise que l'ancienneté s'entend d'un nombre d'années entières et consécutives dans le même établissement, que Mme [D] a en l'espèce conclu un premier contrat de travail à durée indéterminée le 26 mai 2009 avec la société Provassistance prévoyant une reprise de son ancienneté acquise au sein de la société Hair Tiff au 4 septembre 2007, que par lettre du 31 décembre 2009, la salariée avait indiqué à la société Provassistance qu'elle avait décidé de quitter son poste de coiffeuse itinérante afin d'être embauchée au poste de coiffeuse studio au sein de cette "même entreprise" et que "dans sa lettre du 31 décembre 2009, la salariée a manifesté sa volonté de poursuivre la relation contractuelle avec le même établissement, seul son mode d'exercice étant modifié" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs erronés et impropres à justifier une reprise d'ancienneté, quand il était constant que le 1er février 2010, Mme [D] avait conclu un contrat de travail sans reprise d'ancienneté avec la société [J] [R] Coiffure, c'est-à-dire une entité juridique distincte de la société Provassistance malgré leur domiciliation à la même adresse et leur appartenance au même groupe, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige et l'article 1-8 de l'avenant du 12 décembre 2007 de la convention collective de la coiffure. »
Réponse de la cour
Vu l'article L. 1221-1 du code du travail, l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 1-8 de l'avenant n° 10 du 12 décembre 2007 à la convention collective nationale de la coiffure et des professions connexes du 10 juillet 2006 :
6. Selon le troisième de ces textes, l'ancienneté s'entend d'un nombre d'années entières et consécutives dans le même établissement.
7. Il résulte des deux premiers textes que sauf dispositions conventionnelles ou contractuelles contraires ou situation de co-emploi, les contrats de travail successifs avec plusieurs sociétés appartenant à un même groupe ne permettent pas au salarié de se prévaloir de l'ancienneté acquise dans l'une de ces sociétés.
8. Pour fixer l'ancienneté de la salariée au 1er septembre 2007 et condamner l'employeur au paiement de sommes à titre de rappel de prime d'ancienneté, congés payés afférents, et reliquat d'indemnité de licenciement, l'arrêt relève que la salariée a conclu un premier contrat de travail à durée indéterminée le 26 mai 2009 avec la société Provassistance domiciliée au [Adresse 2] à [Localité 4] qui précise que « l'employeur pour avoir connaissance de l'activité du salarié au sein de la société Hair Tiff depuis le 4 septembre 2007 ... son ancienneté sera par conséquent décomptée à partir du 4 septembre 2007 » et que la salariée, engagée en qualité de coiffeur itinérant au coefficient 140, exercera ses fonctions « au sein de tout salon à enseigne [J] [R] ».
9. L'arrêt relève ensuite que par lettre du 31 décembre 2009, la salariée a indiqué à la société Provassistance qu'elle avait décidé de « quitter le poste de coiffeuse itinérante que j'occupe depuis le 1er juin 2009 dans votre entreprise afin d'être embauchée au poste de coiffeuse studio au sein de cette même entreprise... la fin de mon contrat sera donc effective le 31 janvier 2010 », et a conclu le 1er février 2010 un contrat de travail avec la société [J] [R] Coiffure, également domiciliée au [Adresse 2] à [Localité 4], précisant qu'elle est embauchée à compter du 1er février 2010 en qualité de coiffeuse studio coefficient 140, avec une période d'essai de deux mois.
10. La cour d'appel en a déduit que dans sa lettre du 31 décembre 2009, la salarié a manifesté sa volonté de poursuivre la relation contractuelle avec le même établissement, seul son mode d'exercice étant modifié.
11. En statuant ainsi, sans caractériser une situation de co-emploi entre la société Provassistance et la société [J] [R] Coiffure résultant d'une confusion d'intérêts, d'activité et de direction, ni l'accord exprès des parties au transfert du contrat de travail, lequel ne peut résulter de la seule poursuite du travail aux mêmes conditions, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de rappel de salaire et d'heures supplémentaires au titre du travail de nuit et congés payés afférents, alors « que la salariée poursuivait, en application de stipulations contractuelles, le paiement au taux majoré de 100 % de toutes les heures de nuit, au-delà des 12 que l'employeur payait chaque mois ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée si, au-delà des prévisions légales, la salariée ne pouvait pas prétendre au paiement majoré des heures de nuit en vertu de son contrat de travail, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1103 du code civil. »
Réponse de la cour
Vu l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
13. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
14. Pour débouter la salariée de ses demandes de rappel de salaire et d'heures supplémentaires au titre du travail de nuit, l'arrêt, après avoir décidé que la convention de forfait de salaire était irrégulière et que la salariée pouvait dès lors prétendre au paiement d'heures supplémentaires décompté selon le droit commun, relève qu'aucun accord n'est applicable, et que l'analyse des pièces produites par la salariée ne permet pas de retenir qu'elle a accompli au moins sept ou neuf heures de travail consécutives comprenant la période entre minuit et cinq heures, et que l'ensemble des éléments produits aux débats, qui établissent un horaire de travail débutant au plus tôt à quatre heures et s'achevant au plus tôt à onze heures trente, ne permettent pas de retenir qu'au moins deux fois par semaine, au moins trois heures du travail quotidien de la salariée étaient effectuées en période de nuit ou que deux cent soixante dix heures pendant la période de référence étaient réalisées par la salariée.
15. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la salariée ne pouvait prétendre au paiement majoré des heures de nuit en vertu de son contrat de travail, la cour d'appel n' a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
16. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt fixant l'ancienneté de la salariée au 1er septembre 2007 entraîne la cassation des chefs condamnant l'employeur au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, et à produire un bulletin de salaire récapitulatif et une attestation Pôle emploi conformes à l'arrêt, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
17. La cassation à intervenir n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [D] de ses demandes de rappel de salaire et d'heures supplémentaires au titre du travail de nuit et des congés payés afférents, fixe l'ancienneté de Mme [D] au 1er septembre 2007, condamne la société [J] [R] Coiffure à verser à Mme [D] les sommes de 1 392,62 euros au titre de la prime d'ancienneté outre 139,26 euros au titre des congés payés afférents pour la période de janvier 2014 à janvier 2017, 2 794,27 euros au titre du reliquat de l'indemnité de licenciement, 5 521,70 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 552,17 euros au titre des congés payés afférents, et enjoint à la société [J] [R] Coiffure de produire un bulletin de salaire récapitulatif et une attestation Pôle emploi conformes à l'arrêt, l'arrêt rendu le 1er décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois.