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12/07/2023 | FRANCE | N°21-22843

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 12 juillet 2023, 21-22843


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 12 juillet 2023

Cassation partielle

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 546 FS-D

Pourvoi n° P 21-22.843

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 JUILLET 2023

1°/ la société Allianz IARD, dont le siège est [

Adresse 1],

2°/ la société Ziemex, anciennement dénommée Ziemann France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],

3°/ la s...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 12 juillet 2023

Cassation partielle

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 546 FS-D

Pourvoi n° P 21-22.843

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 JUILLET 2023

1°/ la société Allianz IARD, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ la société Ziemex, anciennement dénommée Ziemann France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],

3°/ la société [N]-Hermont, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [V] [N], en qualité de liquidateur judiciaire de la société CICR,

ont formé le pourvoi n° P 21-22.843 contre l'arrêt rendu le 24 juin 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 2), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Générali Deutschland Versicherung AG, venant aux droits de la société AaschenMünchener Versicherung AG, dont le siège est [Adresse 3] (Allemagne),

2°/ à M. [X] [E], domicilié [Adresse 5] (Allemagne), pris en qualité d'administrateur de la faillite de la société Meh Maschinen-Und Edelstahlhandel Gmbh,
3°/ à la société d'assurances R+V Versicherung, dont le siège est [Adresse 6] (Allemagne),

défendeurs à la cassation.

La société Générali Deutschland Versicherung AG et la société d'assurances R+V Versicherung ont formé, chacune, un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.

Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.

Les demanderesses aux pourvois incidents éventuels invoquent, respectivement, à l'appui de leur recours, un moyen et deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat des sociétés Allianz IARD, Ziemex, [N]-Hermont, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Générali Deutschland Versicherung AG, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société d'assurances R+V Versicherung, et l'avis de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juillet 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, MM. Hascher, Bruyère, conseillers, Mmes Kloda, Dumas, Champ, Mme Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Salomon, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Allianz IARD, à la société Ziemex, anciennement Ziemann France, et à la société [N]-Hermont, prise en la personne de M. [V] [N], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société CICR, du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [X] [E], en sa qualité d'administrateur de la faillite de la société MEH.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 24 juin 2021), en 2007, la société Roquette a confié à la société Ziemann France, devenue Ziemex, assurée auprès de la société Allianz IARD, la fabrication d'un fermenteur.

3. La société Ziemann a sous-traité la fabrication de l'échangeur thermique à la société CICR, assurée auprès de la société Allianz IARD, et commandé des tubes en acier à la société allemande Edelsthal Handelsgeselleschaft (la société EHG), devenue ultérieurement Maschinen und Edelstalhandel (la société MEH), assurée en responsabilité civile auprès de la compagnie AachenMünchener Versicherung, aux droits de laquelle se trouve la société Generali Deutschland Versicherung (la société Generali), puis de la compagnie R+V Versicherung (la société R+V).

4. Le 30 juin 2014, à la suite de la constatation par une expertise judiciaire de dysfonctionnements du fermenteur survenus lors de sa mise en service en novembre 2008 et de la transaction intervenue entre la société Roquette et les sociétés Ziemann, CICR et Allianz IARD, celles-ci ont engagé contre la société MEH et ses assureurs une action fondée sur la cession des créances stipulée par l'accord transactionnel.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident de la société Generali et sur le premier moyen du pourvoi incident de la société R+V, réunis, qui sont préalables

Enoncé des moyens

5. Par son moyen, la société Generali fait grief à l'arrêt de rejeter son exception d'incompétence, alors :

« 1°/ que le maître de l'ouvrage dispose contre la personne ayant fourni à l'entrepreneur les objets défectueux intégrés à l'ouvrage d'une action contractuelle directe ; qu'en refusant de conférer une nature contractuelle à l'action directe exercée par les sociétés Ziemex, CICR et Allianz IARD, en leur qualité de subrogées dans les droits du maître de l'ouvrage, contre la personne ayant fourni à l'entrepreneur des objets défectueux et son assureur, la cour d'appel a violé l'article 1231-1 du code civil ;

2°/ que la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels, en ce qu'elle précise, en son article 5, ne pas s'appliquer "aux effets de la vente à l'égard de toutes personnes autres que les parties", ne fait pas obstacle à ce qu'elle soit mise en oeuvre pour la désignation de la loi applicable à une action directe en responsabilité exercée par le maître d'ouvrage contre la personne ayant fourni à l'entrepreneur, dans le cadre d'une vente à caractère international, des objets défectueux intégrés à l'ouvrage ; qu'en refusant de faire application du traité susvisé à l'action directe en indemnisation exercée par les sociétés Ziemex, CICR et Allianz IARD, subrogées dans les droits du maître de l'ouvrage, contre la société MEH et son assureur, la cour d'appel a violé la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels ;

3°/ en outre, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en conférant un caractère délictuel à l'action directe exercée par les sociétés Ziemex, CICR et Allianz IARD en considération de sa qualification comme telle dans les différents actes de la procédure ainsi que dans le protocole d'accord transactionnel, et de l'absence de contestation par l'exposante de son obligation de couvrir les sinistres résultant de la responsabilité quasi-délictuelle de son assuré, quand celle-ci revendiquait dans ses écritures le caractère contractuel de l'action susvisée, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

4°/ enfin, la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits ne s'applique qu'à la responsabilité extracontractuelle ; qu'en considérant qu'elle pouvait régir l'action directe du maître de l'ouvrage contre la personne ayant fourni à l'entrepreneur des objets défectueux intégrés à l'ouvrage, qu'elle fût de nature contractuelle ou délictuelle, la cour d'appel a violé le traité susdit. »

6. Par son premier moyen, la société R+V fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'il résulte des dispositions combinées des articles 9.1, sous b, 10 et 11.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 que la victime peut exercer devant les juridictions de son domicile ou devant les juridictions du lieu du fait dommageable l'action directe contre l'assureur du responsable, lorsque cette action est possible ; que si la responsabilité est contractuelle, la possibilité de l'action directe s'apprécie au regard de la loi applicable à l'obligation contractuelle liant la victime et le responsable ou de la loi applicable au contrat d'assurance ; que la responsabilité encourue par le fournisseur de l'entrepreneur envers le maître de l'ouvrage est contractuelle, même s'ils ne sont pas domiciliés dans le même Etat ; que dans une telle hypothèse, la possibilité de l'action directe contre l'assureur du fournisseur doit donc être appréciée, soit au regard de la loi applicable au contrat liant l'entrepreneur et le fournisseur, soit au regard de la loi applicable au contrat d'assurance ; qu'au cas présent, pour juger que la possibilité de l'action directe ne pouvait pas être déterminée au regard de la loi allemande applicable au contrat de fourniture liant les sociétés Ziemman (entrepreneur) et EHG (fournisseur) et qu'elle devait s'apprécier au regard de la loi française désignée par la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits, la cour d'appel a retenu que la chaîne de contrats entre les sociétés Roquette (maître d'ouvrage), Ziemann et EHG était hétérogène et que la conception interne des groupes de contrats n'était pas consacrée en droit international privé ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 9.1, sous b, 10 et 11.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ;

2°/ qu'au cas présent, il résultait des actes versés aux débats que la société Roquette avait conclu un contrat d'entreprise pour la réalisation d'un fermenteur avec la société Ziemann, laquelle s'était fournie en tubes auprès de la société EHG par bon de commande du 5 octobre 2007 ; qu'il en résultait que le sous-traitant CICR n'était pas inclus dans la chaîne de contrats translative de propriété par laquelle la propriété des tubes avait été accessoirement transmise à la société Roquette par l'intermédiaire de la société Ziemann ; qu'en énonçant pourtant qu'en l'espèce, une chaîne de contrats lierait fabricant, sous-traitant, entreprise générale et maître d'ouvrage, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ qu'il résulte des dispositions combinées des articles 9.1, sous b, 10 et 11.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 que la victime peut exercer devant les juridictions de son domicile ou devant les juridictions du lieu du fait dommageable l'action directe contre l'assureur du responsable, lorsque cette action est possible ; que si la responsabilité est contractuelle, la possibilité de l'action directe s'apprécie au regard de la loi applicable à l'obligation contractuelle liant la victime et le responsable ou de la loi applicable au contrat d'assurance ; que la responsabilité encourue par le fournisseur de l'entrepreneur envers le maître de l'ouvrage est contractuelle, même s'ils ne sont pas domiciliés dans le même Etat ; que dans une telle hypothèse, la possibilité de l'action directe contre l'assureur du fournisseur doit donc être appréciée, soit au regard de la loi applicable au contrat liant l'entrepreneur et le fournisseur, soit au regard de la loi applicable au contrat d'assurance ; qu'ainsi, la loi applicable au contrat de vente liant l'entrepreneur et le fournisseur ne peut être déterminée au regard de la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits, qui déclare expressément ne pas s'appliquer aux relations entre vendeur et acheteur ; qu'en appliquant pourtant cette Convention pour déterminer la loi applicable à la possibilité de l'action directe, la cour d'appel a violé les articles 9.1, sous b, 10 et 11.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, ensemble l'article 1, alinéa 2, de la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 ;

4°/ qu'il résulte des dispositions combinées des articles 9.1, sous b, 10 et 11.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 que la victime peut exercer devant les juridictions de son domicile ou devant les juridictions du lieu du fait dommageable l'action directe contre l'assureur du responsable, lorsque cette action est possible ; que si la responsabilité est contractuelle, la possibilité de l'action directe s'apprécie au regard de la loi applicable à l'obligation contractuelle liant la victime et le responsable ou de la loi applicable au contrat d'assurance ; que la responsabilité encourue par le fournisseur de l'entrepreneur envers le maître de l'ouvrage est contractuelle, même s'ils ne sont pas domiciliés dans le même Etat ; que dans une telle hypothèse, la possibilité de l'action directe contre l'assureur du fournisseur doit donc être appréciée, soit au regard de la loi applicable au contrat liant l'entrepreneur et le fournisseur, soit au regard de la loi applicable au contrat d'assurance ; qu'au cas présent, pour juger que la possibilité de l'action directe ne pouvait pas être déterminée au regard de la loi allemande applicable au contrat de fourniture liant les sociétés Ziemann (entrepreneur) et EHG (fournisseur) et qu'elle devait s'apprécier au regard de la loi française désignée par la règle française de conflit de lois en matière de responsabilité délictuelle, la cour d'appel a dit que la chaîne de contrats entre les sociétés Roquette (maître d'ouvrage), Ziemann et EHG était hétérogène et que la conception interne des groupes de contrats n'était pas consacrée en droit international privé ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 9.1, sous b, 10 et 11.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, ensemble l'article 3 du code civil ;

5°/ qu'en l'espèce, la qualification délictuelle de la responsabilité encourue par la société EHG, fournisseur, envers la société Roquette, maître d'ouvrage, était contestée par les deux assureurs allemands de la société EHG ; qu'en énonçant pourtant que cette qualification délictuelle ressortait des actes de la procédure et que les assureurs allemands ne contestaient pas couvrir la responsabilité extra-contractuelle, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

6°/ que le protocole d'accord du 31 janvier 2013 ne mentionne pas la nature de la responsabilité encourue par la société EHG envers la société Roquette ; qu'en disant pourtant que cette responsabilité avait été qualifiée de délictuelle par ce protocole, la cour d'appel a dénaturé ce dernier, en violation du principe interdisant au juge de dénaturer les actes de la cause ;

7°/ que le juge doit restituer aux actes et aux faits du litige leur exacte qualification ; qu'au cas présent, pour dire que l'action de la société Roquette contre la société EHG présentait une nature délictuelle, la cour d'appel a énoncé que cette qualification avait été adoptée par les actes de la procédure et le protocole d'accord du 31 janvier 2013 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas exercé le pouvoir qu'elle tient de l'article 12 du code de procédure civile, a violé ce texte ;

8°/ qu'il résulte des dispositions combinées des articles 9.1, sous b, 10 et 11.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 que la victime peut exercer devant les juridictions de son domicile ou devant les juridictions du lieu du fait dommageable l'action directe contre l'assureur du responsable, lorsque cette action est possible ; que si la responsabilité est contractuelle, la possibilité de l'action directe s'apprécie au regard de la loi applicable à l'obligation contractuelle liant la victime et le responsable ou de la loi applicable au contrat d'assurance ; que la responsabilité encourue par le fournisseur de l'entrepreneur envers le maître de l'ouvrage est contractuelle, même s'ils ne sont pas domiciliés dans le même Etat ; que dans une telle hypothèse, la possibilité de l'action directe contre l'assureur du fournisseur doit donc être appréciée, soit au regard de la loi applicable au contrat liant l'entrepreneur et le fournisseur, soit au regard de la loi applicable au contrat d'assurance ; qu'au cas présent, la loi applicable au contrat de vente entre la société Ziemann (entrepreneur) et la société EHG (fournisseur) devait être déterminée au regard de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes d'objets mobiliers corporels à caractère international ; qu'il importait peu que cette Convention déclare ne pas s'appliquer aux effets de la vente à l'égard des tiers dans la mesure où elle n'était invoquée que pour déterminer la compétence juridictionnelle au regard du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, et non pour désigner la loi applicable au fond du litige ; qu'ainsi, en écartant l'application de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 au motif qu'elle ne s'appliquait pas eux effets de la vente sur le tiers, la cour d'appel a violé les articles 9.1, sous b, 10 et 11.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, ensemble l'article 5.4 de cette Convention. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de la combinaison des articles 11, § 2, 9 et 10 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I) que, lorsque l'action directe est possible, la personne lésée peut attraire devant le tribunal du lieu de son domicile ou, en matière d'assurance de responsabilité, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit, l'assureur domicilié sur le territoire d'un Etat membre.

8. La possibilité de l'action directe, au sens de l'article 11, § 2, précité, est déterminée par la loi désignée par la règle de conflit du juge saisi.

9. Ayant relevé que les sociétés Ziemex, CICR et Allianz IARD agissaient sur le fondement de la cession de créance consentie, à la suite de son indemnisation, par la société Roquette, tiers lésé, contre les assureurs du fournisseur de tubes d'acier dont il était allégué que les défauts étaient à l'origine des désordres du fermenteur, la cour d'appel en a exactement déduit que la règle de conflit devait être recherchée dans la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits, qui ne distingue pas selon la nature de la responsabilité encourue et s'applique à la responsabilité des fabricants et fournisseurs pour les dommages causés aux personnes et aux biens par leurs produits, et non dans la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes d'objets mobiliers corporels à caractère international, dont l'article 5, § 4, stipule qu'elle ne s'applique pas aux effets de la vente à l'égard de toutes personnes autres que les parties.

10. Ayant constaté que les désordres s'étaient produits à [Localité 4] (Pas-de-Calais), où se trouvait également le siège de la société Roquette, c'est à bon droit qu'elle en a déduit que la loi française était désignée par l'article 4 de la Convention du 2 octobre 1973, en tant que loi de l'Etat sur le territoire duquel le fait dommageable s'était produit et sur lequel était située la résidence habituelle de la personne directement lésée, de sorte qu'en vertu de l'article L. 124-3 du code des assurances, l'action directe était possible à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

11. Les moyens, inopérants en ce qu'ils contestent la qualification de responsabilité délictuelle, ne sont donc pas fondés pour le surplus.

Sur le second moyen du pourvoi incident de la société R+V

Enoncé du moyen

12. La société R+V fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'il résulte des dispositions combinées des articles 9.1, sous b, et 11.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 que le cessionnaire de la créance de la victime peut exercer l'action directe devant les juridictions du domicile de cette dernière, mais à condition qu'il ne soit pas un professionnel de l'assurance ; qu'au cas présent, la société Allianz IARD se prévalait de sa qualité de cessionnaire de la créance de la société Roquette, victime, pour agir par voir directe devant le tribunal de commerce d'Arras dans le ressort duquel cette dernière a son domicile ; que la société Allianz IARD étant un professionnel de l'assurance, elle ne pouvait exercer l'action directe devant les juridictions du domicile de la victime ; qu'en déclarant pourtant le tribunal de commerce d'Arras territorialement compétent, la cour d'appel a violé les articles 9.1, sous b, et 11.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ;

2°/ qu'il résulte des dispositions combinées des articles 10 et 11.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 que le cessionnaire de la créance de la victime peut exercer l'action directe devant les juridictions du lieu du fait dommageable, mais à condition qu'il ne soit pas un professionnel de l'assurance ; qu'au cas présent, la société Allianz IARD se prévalait de sa qualité de cessionnaire de la créance de la société Roquette, victime, pour agir par voir directe devant le tribunal de commerce d'Arras dans le ressort duquel le fait dommageable s'est produit ; que la société Allianz IARD étant un professionnel de l'assurance, elle ne pouvait exercer l'action directe devant les juridictions du lieu du fait dommageable ; qu'en déclarant pourtant le tribunal de commerce d'Arras territorialement compétent, la cour d'appel a violé les articles 10 et 11.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000. »

Réponse de la Cour

13. Selon les articles 9, § 1, 10 et 11, § 2, du règlement Bruxelles I, compris dans la section 3 relative à la compétence en matière d'assurances, lorsque l'action directe est possible, la personne lésée peut attraire devant le tribunal du lieu de son domicile ou, en matière d'assurance de responsabilité, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit, l'assureur domicilié sur le territoire d'un Etat membre.

14. Il résulte du considérant n° 13 que les règles de compétence en matière d'assurances sont destinées à protéger la partie faible, dont la Cour de justice de l'Union européenne déduit que les dispositions de la section 3 ne bénéficient pas à l'assureur, demandeur en vertu d'une cession de créance de la partie directement lésée (CJUE, arrêt du 27 février 2020, Balta, C-803/18, points 27 et 28).

15. Toutefois, la Cour de justice considère que, dans une telle hypothèse, la demande est susceptible de relever de l'article 5, § 3, du règlement qui permet, en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, d'agir devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire, par dérogation à la compétence générale des juridictions de l'État membre de la résidence du défendeur (CJUE, arrêt du 20 mai 2021, CNP, C-913/19, point 46 ; CJUE, arrêt du 21 octobre 2021, T.B., C-393/20, point 50).

16. Selon la Cour de justice, la matière délictuelle, au sens de l'article 5, § 3, du règlement Bruxelles I est une notion autonome, comprenant « toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité du défendeur, et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l'article 5-1° » (CJUE, arrêt du 27 septembre 1988, Kalfelis, C-189/87, point 17).

17. Quant à la notion de « matière contractuelle », la Cour de justice juge que celle-ci ne saurait être comprise comme visant une situation dans laquelle il n'existe aucun engagement librement assumé d'une partie envers une autre. Elle en déduit que l'article 5, § 1, ne s'applique pas à un litige opposant le sous-acquéreur d'une chose au fabricant, qui n'est pas le vendeur, en raison des défauts de la chose ou de l'impropriété de celle-ci à l'usage auquel elle est destinée (CJUE, arrêt du 17 juin 1992, Jakob Handte, C-26/91).

18. La cour d'appel a constaté qu'il n'existait aucun engagement librement consenti entre la société Roquette et la société MEH.

19. Il en résulte que la société Allianz IARD pouvait exercer son action en responsabilité contre la société MEH et ses assureurs devant la juridiction française du lieu où le fait dommageable s'est produit et que l'exception d'incompétence devait en conséquence être rejetée.

20. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié du chef de la compétence.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

21. Les sociétés Allianz IARD et Ziemex font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'action directe des sociétés Ziemex, CICR et Allianz IARD à l'encontre des sociétés R+V et Generali, alors :

« 1°/ qu'en matière extra-contractuelle, le tiers lésé peut agir directement contre l'assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l'obligation non contractuelle ou la loi applicable au contrat d'assurance le prévoit ; que lorsque le dommage se produit en France, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité de l'auteur des dommages, puisque le droit français prévoit une telle action directe ; qu'en l'espèce, la société Roquette, dont le siège social se situe en France, a cédé aux sociétés Allianz IARD, Ziemex et CICR la créance de réparation de nature extra-contractuelle qu'elle détenait à l'égard de la société MEH, laquelle lui avait un causé un dommage survenu au sein de son usine située, en France, dans la commune de [Localité 4] ; que la cour d'appel a constaté que "la loi applicable à l'obligation non contractuelle, la loi du lieu du dommage étant la loi française, cette dernière prévoit, ce qui n'est contesté par quiconque", l'exercice d'une action directe de la victime à l'encontre de l'assureur du responsable du dommage ; qu'en vertu du droit français, les sociétés Allianz IARD, Ziemex et CICR étaient donc recevables à introduire, devant les juridictions françaises, une action directe contre les sociétés Generali Deutschland Versicherung AG et R+V Versicherung, assureurs de responsabilité de la société MEH, afin d'obtenir leur condamnation à prendre en charge la dette extra-contractuelle de cette dernière ; que la cour d'appel a néanmoins déclaré cette action irrecevable, au motif que l'article 115 du code des assurances allemand n'autorise l'action directe contre l'assurance que dans des cas limités, ne correspondant pas à l'espèce ; qu'en se prononçant ainsi, tout en ayant constaté que le droit français autorisait l'exercice de l'action directe, de sorte que cette dernière était recevable, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 3 du code civil et l'article L. 124-3 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 11, § 2, du règlement Bruxelles I, les principes régissant le conflit de lois en matière d'action directe de la partie lésée contre l'assureur du responsable et l'article L. 124-3 du code des assurances :

22. Il résulte du premier de ces textes que la possibilité de l'action directe est déterminée par la loi désignée par la règle de conflit du juge saisi.

23. Selon les seconds, l'action directe est possible si elle est permise, soit par la loi de l'obligation principale, soit par la loi du contrat d'assurance, de sorte que, si la loi de l'obligation principale l'autorise, la loi du contrat d'assurance ne peut y faire obstacle et ne peut être invoquée que dans ses dispositions qui régissent les relations entre l'assureur et l'assuré, dispositions à laquelle la question de l'action directe est étrangère.

24. Aux termes du troisième, la personne lésée dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

25. Pour déclarer irrecevable l'action directe des sociétés Allianz, Ziemex et CICR contre les sociétés Generali et R+V, assureurs de responsabilité de la société MEH, l'arrêt retient que l'article 115 du code des assurances allemand n'autorise l'action directe contre l'assureur que dans des cas limités, qui ne correspondent pas aux circonstances de l'espèce.

26. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le droit français, désigné par la règle de conflit de lois du juge saisi autorisait l'exercice de l'action directe, de sorte que celle-ci était recevable, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'action directe des sociétés Allianz IARD, Ziemex et CICR, l'arrêt rendu le 24 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;

Condamne la société R+V Versicherung et la société Generali Deutschland Versicherung AG aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 21-22843
Date de la décision : 12/07/2023
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

UNION EUROPEENNE - Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 - Article 11, § 2 - Assurance de responsabilité - Action directe - Possibilité - Cas - Autorisation de la loi de l'obligation principale - Obstacle de la loi du contrat d'assurance - Impossibilité

Il résulte de l'article 11, § 2, du règlement Bruxelles I que la possibilité de l'action directe est déterminée par la loi désignée par la règle de conflit du juge saisi. Selon les principes régissant le conflit de lois en matière d'action directe de la partie lésée contre l'assureur du responsable, l'action directe est possible si elle est permise, soit par la loi de l'obligation principale, soit par la loi du contrat d'assurance, de sorte que, si la loi de l'obligation principale l'autorise, la loi du contrat d'assurance ne peut y faire obstacle et ne peut être invoquée que dans ses dispositions qui régissent les relations entre l'assureur et l'assuré, dispositions à laquelle la question de l'action directe est étrangère. Aux termes de l'article L. 124-3 du code des assurances, la personne lésée dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable. Viole ainsi les textes susvisés, la cour d'appel, qui retient, pour déclarer irrecevable l'action directe des fournisseurs et de leurs assureurs contre les assureurs de responsabilité du fabriquant, que la loi du contrat d'assurance n'autorisait l'action directe contre l'assureur que dans des cas limités, alors qu'elle constatait que la loi de l'obligation principale, désignée par la règle de conflit de lois du juge saisi autorisait l'exercice de l'action directe, de sorte que celle-ci était recevable


Références :

Sur le numéro 1 : Articles 11, § 2, 9 et 10 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000

article 4 de la convention de La Haye du 2 octobre 1973

article L. 124-3 du code des assurances.
Sur le numéro 2 : articles 5, § 3, 9, § 1, 10 et 11, § 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000
Sur le numéro 3 : article 11, § 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000

article L. 124-3 du code des assurances.

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 24 juin 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 12 jui. 2023, pourvoi n°21-22843, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin
Avocat(s) : SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 26/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:21.22843
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