LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 juin 2023
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 445 FS-B
Pourvoi n° H 21-21.181
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 JUIN 2023
Mme [L] [W], domiciliée [Adresse 4], a formé le pourvoi n° H 21-21.181 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2020 par la cour d'appel de Toulouse (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à la Caisse d'épargne et de prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes, société coopérative de banque à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Winner-Winner, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], représentée par son liquidateur judiciaire la société [B], prise en la personne de M. [T] [B],
3°/ à la société LGA, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée Pimouguet, Leuret, Devos, Bot, prise en qualité de mandataire liquidateur de la société [Adresse 7],
4°/ à la société Edouard Montagut et Romain Moles, notaires, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 8],
5°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [W], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Edouard Montagut et Romain Moles notaires et de la société MMA IARD, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la Caisse d'épargne et de prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes, et l'avis de Mme Cazaux-Charles, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 mai 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Bruyère, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, MM. Hascher, Ancel, conseillers, Mmes Kloda, Dumas, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Cazaux-Charles, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 30 novembre 2020), le 17 octobre 2009, Mme [W] (l'acquéreur) a conclu avec la société [Adresse 7] (le vendeur) un contrat de réservation en vue de l'acquisition d'une « habitation légère de loisirs » au sein d'un ensemble immobilier.
2. Le contrat prévoyait un engagement de location du bien à usage de résidence de tourisme par l'acheteuse au profit d'une société exploitante, selon un projet de bail commercial joint en annexe.
3. Il a été conclu par l'intermédiaire de la société Winner-Winner, agent immobilier mandaté par le vendeur (l'agent immobilier).
4. L'acquisition a été financée au moyen d'un crédit souscrit par l'acquéreur auprès de la Caisse d'épargne et de prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes (le prêteur), suivant offre acceptée le 12 décembre 2009.
5. Le 21 décembre 2009, M. [I], notaire associé au sein de la SCP de notaires [C] [I] - François Chayla, devenue Edouard Montagut et Romain Moles (la SCP notariale), a reçu l'acte de vente de cet immeuble.
6. La société locataire a cessé de payer les loyers et a fait l'objet d'un redressement judiciaire. Le 4 mars 2013, son administrateur judiciaire a informé l'acquéreur de son intention de ne pas poursuivre le bail conclu avec elle.
7. L'acquéreur a assigné le vendeur, l'agent immobilier et son assureur, la société Allianz Iard, le prêteur, la SCP notariale et son assureur, la société MMA IARD, en nullité de la vente pour vices du consentement et, consécutivement, du prêt immobilier, ainsi qu'en responsabilité et indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées contre la SCP notariale, alors :
« 1°/ que le notaire tenu d'une obligation de conseil est tenu d'éclairer les parties et d'attirer leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée, les effets et risques des actes qu'il reçoit ; qu'en l'espèce, il appartenait au notaire qui a reçu l'acte authentique de vente d'un lot d'une résidence de tourisme dont l'acquisition était réalisée dans le cadre d'une opération de défiscalisation, d'attirer l'attention de l'acquéreur sur les risques de cette opération et notamment sur la possibilité d'une défaillance de l'exploitant ; qu'en se fondant pour écarter la responsabilité du notaire qui n'a pas exécuté son obligation de conseil, sur la circonstance inopérante qu'il ne serait pas intervenu au stade de la négociation, dans l'élaboration de la plaquette d'information dans le cadre de la commercialisation du projet, et n'aurait pas établi le contrat de réservation et le bail commercial, et sans constater que le notaire dont elle a relevé qu'il était le notaire choisi par le vendeur promoteur pour recevoir tous les actes authentiques de vente de tous les lots de l'ensemble immobilier litigieux et qui avait établi le règlement de copropriété du « parc résidentiel de tourisme » des [Adresse 6], ignorait cependant que l'acquisition de l'acheteuse relevait d'une opération de défiscalisation, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
2°/ en toute hypothèse, qu'en statuant comme elle l'a fait sans répondre aux conclusions de l'acheteuse qui faisait valoir que le notaire qui était intervenu de façon habituelle pour toutes les opérations de défiscalisation proposées par le vendeur et l'agent immobilier, aux autres investisseurs, qui avait été chargé de la vente des 83 chalets de la résidence ainsi que de l'établissement du règlement de copropriété de la résidence de tourisme, lequel règlement mentionne l'existence d'un bail commercial concédé à une société de gestion et qui a eu communication du contrat de réservation qui mentionne un engagement de location et précise que le bien est situé dans une résidence de tourisme classée, avait dès lors connaissance du but recherché par la vente du lot n° 67 de la résidence, à savoir la réalisation d'une opération de défiscalisation et devait attirer son attention sur les risques de l'opération, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
9. La SCP notariale conteste la recevabilité du moyen, en sa première branche, en raison de sa nouveauté, l'acquéreur n'ayant pas reproché au notaire de ne pas l'avoir mis en garde contre le risque de défaillance de l'exploitant.
10. Cependant, l'acquéreur a soutenu devant la cour d'appel que le notaire avait commis un manquement à son devoir de conseil quant aux risques de l'opération et aux risques propres au bail commercial.
11. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
12. La cour d'appel a relevé d'abord qu'il n'était justifié d'aucune circonstance qui aurait dû alerter le notaire sur une anomalie ou un déséquilibre contractuel lié à l'acte authentique à établir, de nature à l'amener à surseoir à ses opérations, à solliciter des précisions ou à réaliser des investigations complémentaires.
13. Elle a retenu ensuite que le notaire n'était pas intervenu au stade de la négociation au cours de laquelle la plaquette de présentation comprenant la formule « loyers garantis par le bail commercial de 9 ans fermes » avait été remise à l'acquéreur, que le contrat de réservation auquel était joint le projet de bail commercial n'avait pas été établi par le notaire mais par signatures privées et n'était pas annexé à l'acte authentique, et que le bail commercial avait été signé hors la présence du notaire le lendemain de l'acte authentique de vente qui ne faisait référence à aucun bail.
14. Elle a encore retenu que l'acte authentique d'acquisition précisait uniquement que, conformément à la législation applicable aux parcs résidentiels de loisirs, l'entretien, la gestion des parties communes, la surveillance et le gardiennage du parc étaient assurés par une société d'exploitation, laquelle facturait ses prestations à chaque copropriétaire, et que le fait que le notaire ait été chargé de la réalisation de tous les actes authentiques ainsi que de l'élaboration du règlement de copropriété ne permettait nullement d'établir son intervention dans l'élaboration de la plaquette de présentation du projet lors de la commercialisation menée par le vendeur par l'intermédiaire de l'agent immobilier et du contrat de réservation.
15. Ayant ainsi fait ressortir que le notaire n'avait pas eu connaissance du projet de défiscalisation de l'acquéreur, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, a pu en déduire qu'il ne pouvait être reproché à celui-ci de ne pas avoir informé l'acquéreur sur les risques inhérents à un bail commercial auquel il était étranger ou sur l'absence de sécurité du placement et qu'il n'avait ainsi pas commis de faute.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
17. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner l'agent immobilier à réparer le préjudice résultant du défaut de restitution du prix de vente en raison de l'insolvabilité du vendeur en liquidation judiciaire et en conséquence de limiter la condamnation prononcée contre lui au paiement de la somme de 3 678 euros au titre des frais de l'acte de vente et de celle de 69 629,33 euros outre intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 2015, alors « que en énonçant que la perte du bien immobilier découle du seul choix procédural de l'acheteuse de maintenir sa demande de nullité de la vente nonobstant l'état de liquidation judiciaire de son vendeur insolvable, et serait étrangère à la faute imputable à l'agent immobilier, après avoir constaté que l'acheteuse avait été victime d'un dol, que l'exploitation du village [Adresse 6] était déjà déficitaire à la date de la signature du contrat de réservation, que l'agent immobilier ne l'avait pas informée des aléas financiers de l'opération et que si l'acheteuse avait été informée de ces aléas, elle ne se serait pas engagée dans cette opération, ce dont il résulte que la faute de l'agent immobilier constituait la cause directe du préjudice résultant pour l'acheteuse de l'impossibilité d'obtenir la restitution du prix de la vente en raison de l'insolvabilité du vendeur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice et de l'article 1382 devenu 1240 du code civil qu'elle a violés. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
18. Il résulte de ce texte que, si la restitution du prix par suite de l'annulation du contrat de vente ne constitue pas en elle-même un préjudice indemnisable, l'agent immobilier dont la faute a concouru, au moins pour partie, à l'anéantissement de l'acte peut être condamné à en garantir le paiement en cas d'insolvabilité démontrée du vendeur.
19. Pour rejeter la demande de l'acquéreur formée contre l'agent immobilier et tendant à la réparation du préjudice lié à l'impossibilité d'obtenir la restitution du prix de vente du fait de l'insolvabilité du vendeur, l'arrêt retient que la perte du bien immobilier découle du seul choix procédural de l'acquéreur de maintenir sa demande de nullité de la vente nonobstant l'état de liquidation judiciaire de son vendeur et est étrangère à la faute imputable à l'agent immobilier.
20. En statuant ainsi, après avoir constaté que l'agent immobilier avait commis une faute sans laquelle l'acquéreur ne se serait pas engagé et que le vendeur était placé en liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
21. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation au titre de la perte du placement financier annulé et en conséquence de limiter à 131 560 euros et 3 678 euros, les sommes fixées au passif du vendeur et de limiter la condamnation prononcée à l'encontre de l'agent immobilier au paiement de la somme de 3 678 euros au titre des frais de l'acte de vente, et de celle 69 629,33 euros, alors « que le dommage causé doit être réparé intégralement sans perte ni profit ; que Mme [W] dont la Cour d'appel constate qu'elle a été victime d'un dol commis par les sociétés Winner-Winner et [Adresse 7], responsables de la nullité de la vente du bien qu'elle destinait à la location dans le cadre d'une opération de défiscalisation, était fondée à obtenir l'indemnisation du préjudice résultant pour elle de la perte des loyers attendus, laquelle constituait une conséquence directe du dol ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice et l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
22. Il résulte de ce texte que le vendeur dont le dol est à l'origine de l'annulation de la vente et l'agent immobilier dont la faute a concouru à la nullité de la vente sont tenus de réparer toutes les conséquences dommageables qui en résultent pour l'acquéreur.
23. Pour rejeter la demande de l'acquéreur tendant à l'indemnisation de la perte des loyers escomptés, l'arrêt retient que, à la suite de l'annulation à effet rétroactif de la vente, l'acquéreur ne peut prétendre avoir subi un préjudice imputable à son vendeur au titre de loyers impayés, l'immeuble acquis étant censé n'être jamais entré dans son patrimoine, et que, à défaut de s'être engagé, il n'aurait pu prétendre à des loyers en exécution d'un bail qu'il n'aurait pas souscrit, de sorte que les indemnisations qu'il réclame au titre des loyers impayés ne constituent pas un préjudice en lien de causalité avec les manquements reprochés à l'agent immobilier.
24. En statuant ainsi, alors que la faute de l'agent immobilier avait contribué à l'annulation de l'acte qu'elle avait prononcée pour dol, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
25. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause, sur leur demande, la Caisse d'épargne et de prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes, la SCP Edouard Montagut et Romain Moles et la société MMA IARD, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [W] tendant à voir condamner la société Winner-Winner à réparer le préjudice résultant du défaut de restitution du prix de vente et sa demande d'indemnisation contre la société [Adresse 7] et la société Winner-Winner au titre de la perte du placement financier annulé, l'arrêt rendu le 30 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
Met hors de cause la Caisse d'épargne et de prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes, la SCP Edouard Montagut et Romain Moles et la société MMA IARD ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société Winner-Winner, représentée par son liquidateur judiciaire la Selarl [B] prise en la personne de M. [T] [B], et la société LGA, en qualité de mandataire liquidateur de la société [Adresse 7], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.