LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 juin 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 443 FS-B
Pourvoi n° P 21-18.312
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
1°/ M. [B] [M], domicilié [Adresse 3],
2°/ Mme [I] [M], domiciliée [Adresse 2],
3°/ la société La Seiglière, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° P 21-18.312 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2020 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige les opposant à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Est (CRCAM), dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [M], et de la société La Seiglière, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Est, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fèvre, Ducloz, MM. Alt, Calloch, conseillers, M. Guerlot, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 novembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (Com., 22 janvier 2020, pourvoi n° 17-20.819), le 29 août 2000, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Est (la banque) a consenti à la société La Seiglière un prêt remboursable in fine, le 12 novembre 2013, garanti par le nantissement de deux contrats d'assurance-vie souscrits par M. et Mme [M], associés de la société.
2. Reprochant à la banque un manquement à ses obligations d'information et de conseil, la société La Seiglière et M. et Mme [M] l'ont assignée en responsabilité.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. La société La Seiglière et M. et Mme [M] font grief à l'arrêt de rejeter les demandes de la société en paiement de dommages et intérêts formées à l'encontre de la banque, alors :
« 1°/ que la perte de chance d'éviter un risque est certaine lorsque le risque s'est réalisé ; que, dans un contrat de prêt in fine nanti par un contrat d'assurance-vie, la perte de chance d'éviter le risque de ne pas pouvoir rembourser le capital emprunté grâce au rachat du contrat d'assurance-vie est certaine lorsque la valeur du contrat d'assurance-vie, à la date d'exigibilité du capital, n'en permet pas le remboursement ; qu'en jugeant que le préjudice était hypothétique, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si la situation des contrats d'assurance-vie permettait ou aurait permis à l'échéance du terme de rembourser le capital, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil ;
2°/ les juges du fond doivent examiner tous les documents de la cause ; que la société La Seiglière produisait aux débats les relevés annuels de valorisation d'épargne au 31 décembre 2013, que la banque leur a envoyés le 4 février 2014, selon lesquels au 31 décembre 2013, les comptes affichaient les sommes de 35 231,91 euros pour celui de Mme [M] et de 34 677,06 euros pour celui de M. [M] ; qu'en n'examinant pas ces documents, dont il ressortait que les contrats d'assurance-vie ne permettaient pas à l'échéance du crédit, le 12 novembre 2013, de s'acquitter de la somme due en capital de 152 449 euros, et qui établissaient la réalisation du risque dont la société La Seiglière n'avait pas été informée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Le dommage résultant du manquement d'une banque à l'obligation d'informer le souscripteur d'un prêt in fine du risque que le rachat de contrats d'assurance-vie, du fait d'une contre-performance de ceux-ci, ne permette pas le remboursement du prêt à son terme consiste en la perte d'une chance d'éviter la réalisation de ce risque.
6. Lorsqu'ayant pris conscience de l'existence de ce risque, dont il pouvait légitimement craindre qu'il se réalisât, l'emprunteur rembourse le prêt par anticipation à seule fin d'en prévenir la réalisation, son préjudice consiste en la perte d'une chance, non d'éviter la réalisation du risque, mais d'éviter les conséquences dommageables de ce remboursement anticipé.
7. La valeur de rachat des contrats d'assurance-vie à la date du terme initialement prévu est dès lors sans incidence sur l'appréciation de ce préjudice.
8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société La Seiglière et M. et Mme [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société La Seiglière et M. et Mme [M] et les condamne in solidum à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Est la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.