LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 juin 2023
Rejet
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 641 F-B
Pourvoi n° Z 22-12.162
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 JUIN 2023
La société MAAF assurances, société d'assurances mutuelles, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Z 22-12.162 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 10), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [O] [L],
2°/ à Mme [R] [C],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, dont le siège est [Adresse 4],
4°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits du régime social des indépendants et de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pedron, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société MAAF assurances, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, venant aux droits du régime social des indépendants et de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [L] et Mme [C], après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pedron, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 2021), M. [L], alors qu'il circulait à pied dans l'enceinte de la société Etablissements Robert Cassegrain (la société) qui l'avait convié à une réception, a été victime d'une chute sur le sol enneigé et verglacé du passage qu'il avait emprunté pour se rendre à l'intérieur des locaux.
2. M. [L] et sa compagne, Mme [C], ont assigné en indemnisation la société MAAF assurances, assureur de la société (l'assureur), en présence de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants et de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. L'assureur fait grief à l'arrêt de déclarer la société responsable des préjudices subis par M. [L] et Mme [C], de fixer le préjudice corporel de M. [L] à la somme de 1 036 241,79 euros, avant imputation de la créance de la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, venant aux droits et obligations du régime social des indépendants (RSI) et de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, de fixer le préjudice de Mme [C] à la somme de 11 000 euros, de le condamner à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme la somme de 206 909,58 euros au titre de son recours subrogatoire, avec intérêts au taux légal, de le condamner à payer à M. [L] la somme de 826 332,21 euros en réparation de son préjudice corporel, sous déduction des provisions et règlements perçus, avec intérêts au taux légal et de le condamner à payer à Mme [C] la somme de 11 000 euros en réparation de son préjudice, sous déduction des provisions et règlements perçus, avec intérêts au taux légal, et de le débouter de la demande formée à titre subsidiaire, alors :
« 1°/ qu'on est responsable du dommage qui est causé par le fait des choses que l'on a sous sa garde ; que les choses sans maître, res nullius, n'étant appropriées ni détenues par personne, ne sont sous la garde de quiconque ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que « la chose dont la société avait la garde était un sol à destination de passage, et non pas la neige ou le verglas » ; que la cour d'appel a constaté que la neige et le verglas étaient à l'origine de l'accident de M. [L] dans la mesure où le sol était « glissant à cause des intempéries » avec pour conséquence que M. [L] « a glissé en arrière et (a) lourdement chuté sur la tête » ; qu'en déclarant, sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du code civil, la société responsable des préjudices subis par M. [L] et Mme [C] tout en constatant expressément que cette société n'avait pas la garde de la neige et du verglas, res nullius, qui avaient causé la chute de M. [L], la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constations en violation de l'article 1384 alinéa 1er du code civil dans sa version applicable aux faits du litige ;
2°/ que le gardien d'une chose inerte tel que le sol recouvert de neige verglacée suppose que sa présence ait eu un caractère anormal ; que c'est l'anormalité de la chose inerte, de par son état, sa position ou son fonctionnement, qui doit receler le dommage potentiel, la survenue de ce dommage n'étant pas en elle-même démonstrative de cette anormalité ; et que la preuve de l'anomalie d'une chose inerte pèse sur la victime ; qu'en l'espèce, la société avait déneigé le chemin d'accès à la salle de réception qu'ont emprunté tous les autres invités, sans être victimes d'une chute ; que par ailleurs, M. [L] n'a pas contesté qu'il « avait parfaitement connaissance de ce qu'il neigeait et faisait froid le jour de son accident » et que « la neige et le verglas (avaient) été annoncés par les services de météorologie » ; que pour infirmer le jugement en ce qu'il avait décidé que « l'accès au lieu où se déroulait l'événement avait, au contraire, été convenablement déneigé et que c'est par erreur que M. [L] a emprunté un autre itinéraire qui n'y conduisait pas et qui n'était pas déneigé? », la cour d'appel s'est bornée à dire que la terrasse enneigée était en position anormale dans la mesure où « le passage de l'escalier à la terrasse était couvert de verglas, caché par la neige et très glissant », que « M. [L] a glissé en arrière et (a) lourdement chuté », et que « le sol du passage piéton à gauche, ? était en position anormale puisque non déneigé, glissant et impropre à sa finalité » ; qu'en statuant ainsi bien que la terrasse n'avait pas pour finalité de permettre l'accès à la salle de restaurant, que le caractère glissant d'une couche de neige verglacée ne pouvait constituer en soi une anomalie et que la survenue de ce dommage n'était pas non plus, en elle même, démonstrative d'une anormalité, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé le caractère anormal de la terrasse recouverte de neige et de verglas, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384 alinéa 1er en sa version applicable aux faits du litige. »
Réponse de la Cour
4. L'arrêt relève d'abord que le chemin utilisé par M. [L], qui permettait aux piétons de se rendre de la rue aux salles s'ouvrant sur une terrasse, était couvert de verglas caché par la neige et très glissant, et avait joué un rôle causal dans sa chute puisqu'en l'empruntant M. [L] avait glissé en arrière et lourdement chuté sur la tête.
5. Il retient ensuite que la société est gardienne du sol à l'intérieur de sa propriété, et que cette chose inerte, en position normale lorsqu'elle permet le passage de piétons, ce qui est sa destination fonctionnelle, est en position anormale lorsque le passage est dangereux en raison de l'état de la chose, notamment lorsqu'il a été rendu glissant par des intempéries.
6. Il ajoute que si la société avait déneigé un autre passage permettant d'accéder aux salles, le passage enneigé emprunté par M. [L] était accessible pour n'avoir pas été fermé.
7. En l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel, qui a caractérisé que le sol dont la société était gardienne, recouvert de neige verglacée, présentait un état de dangerosité anormal au regard de sa destination, en a ainsi exactement déduit qu'elle avait engagé sa responsabilité.
8. Le moyen, qui manque en fait en sa première branche, n'est, dès lors, pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société MAAF assurances aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MAAF assurances et la condamne à payer à M. [L] et Mme [C] la somme globale de 3 000 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, venant aux droits de la caisse du régime social des indépendants et de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille vingt-trois.