La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/06/2023 | FRANCE | N°22-11675

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 08 juin 2023, 22-11675


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

VB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 juin 2023

Rejet

Mme TEILLER, président

Arrêt n° 414 F-D

Pourvoi n° V 22-11.675

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 JUIN 2023

La caisse de Crédit mutuel de Harnes, société coopérative de crédit

, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 22-11.675 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2021 par la cour d'appel de Douai (3e chambr...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

VB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 juin 2023

Rejet

Mme TEILLER, président

Arrêt n° 414 F-D

Pourvoi n° V 22-11.675

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 JUIN 2023

La caisse de Crédit mutuel de Harnes, société coopérative de crédit, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 22-11.675 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2021 par la cour d'appel de Douai (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [O] [N],

2°/ à Mme [X] [I], épouse [N],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la caisse de Crédit mutuel de Harnes, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. et Mme [N], après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 16 décembre 2021), le 3 septembre 2013, M. et Mme [N] ont conclu avec la société Maison optimum un contrat portant sur la construction d'une maison, l'opération étant financée au moyen de deux prêts souscrits auprès de la Caisse de crédit mutuel de Harnes (la CCM) le 14 octobre 2013.

2. Le chantier a été abandonné par la société Maison optimum avant son achèvement prévu en décembre 2014.

3. Estimant que la CCM avait manqué à ses obligations de mise en garde et de conseil, M. et Mme [N] l'ont assignée, par acte du 4 juillet 2019, afin d'être indemnisés de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La CCM fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription et de déclarer M. et Mme [N] recevables en leurs demandes, de la condamner à leur payer une certaine somme au titre de leur préjudice moral, et d'ordonner avant dire droit une expertise, ayant pour objet d'évaluer le coût d'achèvement de la construction, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que pour déclarer recevable l'action des époux [N] engagée par acte du 4 juillet 2019, tendant à la mise en jeu de la responsabilité de la Caisse de Crédit Mutuel de Harnes pour avoir débloqué les fonds d'un prêt accordé par cette banque pour financer les travaux de construction de leur maison, alors qu'elle aurait dû s'apercevoir que le contrat qu'ils avaient conclu avec la société Maison Optimum, s'analysait, en dépit de son libellé, comme un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan, et sans s'être préalablement assurée que l'entrepreneur disposait de la garantie de livraison prévue par le code de la construction et de l'habitation, la cour d'appel a retenu que les époux [N] étant des emprunteurs non avertis, ils pouvaient légitimement ignorer au démarrage des travaux les risques résultant de l'irrégularité formelle du contrat signé le 3 septembre 2013 avec la Maison Optimum, étant observé que le contrat de prêt du 14 octobre 2013 ne fait pas référence aux dispositions du code de la construction et de l'habitation, et que c'était au jour de l'abandon du chantier que les emprunteurs avaient eu ou auraient dû avoir connaissance « de la défaillance du constructeur et de l'absence corrélative de possibilité d'invoquer une garantie de livraison » ; qu'en statuant de la sorte, quand la faute imputée à la Caisse de Crédit Mutuel, à la supposer caractérisée, était matérialisée dès la conclusion du contrat de prêt et que le préjudice subi par les emprunteurs, causé par l'absence de fourniture d'une garantie de livraison, était connu de ces derniers à cette même date, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à justifier le report du point de départ de la prescription à une date postérieure à la conclusion du contrat de prêt, a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a d'abord exactement énoncé que la prescription d'une action en responsabilité engagée par l'emprunteur contre la banque, au titre de son devoir de conseil et d'information, se prescrit par cinq ans à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

6. Elle a ajouté que si le dommage résultant d'un manquement à l'obligation d'information et de conseil se manifestait dès l'octroi du crédit destiné à financer les travaux de construction et que celui résultant d'une violation de l'article L. 231-10 du code de la construction et de l'habitation se réalisait dès le versement des fonds, le point de départ du délai de prescription pouvait être reporté à la date à laquelle l'emprunteur démontrait qu'il pouvait légitimement ignorer tant le principe que les conséquences dommageables des fautes commises par la banque.

7. Ayant ensuite relevé que M. et Mme [N] étaient des emprunteurs non avertis et que le contrat de prêt ne faisait nullement référence aux dispositions du code de la construction et de l'habitation, elle a pu retenir qu'ils pouvaient légitimement ignorer, au démarrage des travaux, les risques résultant de l'irrégularité formelle du contrat conclu avec la société Maison optimum, de sorte que le point de départ du délai de prescription devait être reporté au jour où le préjudice leur avait été révélé.

8. Elle a enfin souverainement retenu que c'est à compter de l'abandon du chantier par la société Maison optimum, constaté le 7 avril 2015, que les emprunteurs avaient ou auraient dû avoir connaissance de la défaillance du constructeur et de l'absence corrélative de la possibilité d'invoquer la garantie de livraison permettant l'achèvement de leur construction.

9. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, elle en a exactement déduit que la prescription n'était pas acquise à la date de l'assignation délivrée le 4 juillet 2019 et que l'action en responsabilité de M. et Mme [N] à l'encontre de la CCM était recevable.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. La CCM fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. et Mme [N] une certaine somme au titre de leur préjudice moral, et d'ordonner avant dire droit une expertise, ayant pour objet d'évaluer le coût d'achèvement de la construction, alors :

« 1°/ que le banquier prêteur de deniers n'est pas tenu de requalifier le contrat principal conclu par l'emprunteur, ni de proposer à son client de réaliser l'opération financée dans le cadre d'un autre dispositif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les époux [N] avaient «remis à la banque en vue de la souscription du contrat de prêt un document intitulé "Groupement d'artisans Maison Optimum – contrat d'étude de faisabilité", en date du 3 septembre 2013, qui mentionne : « 1. Déclaration d'intention des maîtres d'ouvrage : Les maîtres d'ouvrage déclarent leur intention de faire construire la maison décrite en annexe par Maison Optimum Cette déclaration d'intention ne peut en aucun cas être considérée comme un contrat de construction de maison individuelle. 2. Les engagements Maison Optimum : Maison Optimum s'engage à passer un contrat de réalisation sans fourniture de plan avec les maîtres d'ouvrage pour exécuter le projet décrit en annexe (?) » ; que, pour retenir la responsabilité de la Caisse de Crédit Mutuel à l'égard des emprunteurs, la cour d'appel a retenu que la Caisse de Crédit Mutuel, en sa qualité de « professionnel des opérations de constructions immobilières », était tenue à un devoir d'information et de conseil envers l'emprunteur, et qu'elle « n'a[vait] pu se méprendre sur la qualification du contrat conclu, dont l'intitulé est en contradiction avec ses clauses claires et précises », et qu' « il lui appartenait par conséquent d'informer les emprunteurs du risque encouru par la signature d'une telle convention ne prévoyant pas de garantie de livraison » ; qu'en statuant de la sorte, quand la Caisse de Crédit Mutuel, qui n'est intervenue qu'en qualité de prêteur de deniers, n'avait pas l'obligation de procéder à la requalification du contrat principal, ni à conseiller à ses clients le cadre juridique dans lequel il serait le plus opportun de réaliser l'opération immobilière projetée, la cour d'appel a violé les articles L. 232-2, L. 231-6 et L. 231-10 du code de la construction et de l'habitation, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 (nouvel article 1231-1 du code civil) ;

2°/ qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que le document remis par les époux [N] à la Caisse de Crédit Mutuel s'intitulait « Groupement d'artisans Maison Optimum – contrat d'étude de faisabilité", et mentionnait « 1. Déclaration d'intention des maîtres d'ouvrage : Les maîtres d'ouvrage déclarent leur intention de faire construire la maison décrite en annexe par Maison Optimum Cette déclaration d'intention ne peut en aucun cas être considérée comme un contrat de construction de maison individuelle. 2. Les engagements Maison Optimum : Maison Optimum s'engage à passer un contrat de réalisation sans fourniture de plan avec les maîtres d'ouvrage pour exécuter le projet décrit en annexe (?) », que pour retenir la responsabilité de la Caisse de Crédit Mutuel à l'égard des emprunteurs, la cour d'appel a retenu que le point 4 en dernière page de ce document, indiquant « conditions suspensives - Le contrat est conclu sous les conditions suspensives suivantes : (?) 4 des plans se conformant au cahier des charges : Maison Optimum repris en annexe », et qu'en outre, « étaient annexés des plans en date du 2 septembre 2013, signés et revêtus du cachet "Maison Optimum" et comportant un encart mentionnant "Maître d'oeuvre Maison Optimum", ce qui est également un indice en faveur de plans élaborés par la société Maison Optimum », et que la Caisse de Crédit Mutuel, « n'a pu se méprendre sur la qualification du contrat conclu, dont l'intitulé est en contradiction avec ses clauses claires et précises » ; qu'en statuant de la sorte, et alors même que pour requalifier le contrat des époux [N], elle s'est également fondée sur des éléments inconnus de la banque, à savoir un courriel du gérant de la société Maison Optimum du 12 avril 2013 et « de nombreuses factures ont été émises par la société Maison Optimum (?) et notamment le 14 février 2014, pour le "déblocage de fonds dommage ouvrage", pour les "travaux de gros-oeuvre" », la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que les éléments d'information communiqués à la Caisse de Crédit Mutuel, qui ne s'était pas vu remettre le contrat finalement conclu par les époux [N], étaient suffisants pour permettre au banquier de savoir que l'opération financée serait placée sous le régime juridique du contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans, a derechef violé les articles L. 232-2, L. 231-6 et L. 231-10 du code de la construction et de l'habitation, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 (nouvel article 1231-1 du code civil). » Réponse de la Cour

12. La cour d'appel a exactement retenu que si le prêteur n'avait pas l'obligation de requalifier en contrat de construction de maison individuelle le document qui lui était soumis et ne pouvait pas s'immiscer dans le contrat passé entre le constructeur et le maître de l'ouvrage, il était tenu à un devoir d'information et de conseil envers l'emprunteur lorsque l'erreur sur la qualification réelle du contrat était flagrante.

13. Puis, appréciant souverainement le contenu des pièces remises à la CCM lors de la souscription du contrat de prêt, elle a constaté que le document intitulé « groupement d'artisans Maison optimum - contrat d'étude de faisabilité » mentionnait l'intention du maître de l'ouvrage de « faire construire la maison décrite en annexe », l'engagement de cette société de « passer un contrat de réalisation sans fourniture de plan pour exécuter le projet décrit en annexe au prix de 127 863,47 euros incluant toutes les garanties et assurances obligatoires », l'énumération de conditions suspensives dont celle portant sur l'acquisition par les maîtres de l'ouvrage de la propriété du terrain, et que ce document comportait, en annexe, des plans signés revêtus du cachet de la Maison optimum.

14. Ayant ainsi fait apparaître une contradiction entre l'intitulé de ce document et ses clauses claires et précises, elle a pu en déduire que, la CCM étant un professionnel du financement des opérations de construction immobilière, elle n'avait pas pu se méprendre sur la qualification de contrat de construction de maison individuelle et qu'en ne justifiant pas avoir alerté les emprunteurs des risques qu'ils encouraient en cas de conclusion d'un contrat dépourvu de garantie de livraison, elle avait manqué à son devoir d'information et de conseil.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Caisse de crédit mutuel de Harnes aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Caisse de crédit mutuel de Harnes et la condamne à payer à M. et Mme [N] la somme globale de 3 000 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juin deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 22-11675
Date de la décision : 08/06/2023
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 16 décembre 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 08 jui. 2023, pourvoi n°22-11675


Composition du Tribunal
Président : Mme Teiller (président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet

Origine de la décision
Date de l'import : 20/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:22.11675
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award