LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 22-81.234 F-B
N° 00664
ODVS
31 MAI 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 31 MAI 2023
Mme [H] [V], veuve [U], Mme [F] [U] et M. [S] [U], parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Metz, chambre correctionnelle, en date du 10 septembre 2021, qui, dans la procédure suivie contre M. [T] [E] du chef d'infraction au code de l'urbanisme, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mmes [H] [V], [F] [U] et M. [S] [U], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [T] [E], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le tribunal correctionnel a déclaré M. [T] [E] coupable d'avoir exécuté des travaux sur un bâtiment sans avoir obtenu de permis de construire et, faisant droit à la demande de Mme [H] [V] et de [R] [U], parties civiles, a ordonné au titre des intérêts civils la remise en état sous astreinte.
3. La cour d'appel a confirmé le jugement et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de M. [E] contre cet arrêt (Crim., 8 mars 2005, pourvoi n° 03-87.453).
4. Saisi d'une requête présentée par Mme [V] et ses enfants, Mme [F] [U] et M. [S] [U], venant aux droits de [R] [U] (les consorts [U]), le tribunal correctionnel a liquidé l'astreinte à leur profit.
5. M. [E] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les consorts [U] irrecevables en leur demande de liquidation d'astreinte, alors :
« 1°/ que la liquidation de l'astreinte ordonnée par le juge répressif sur le fondement de l'article L. 480-7 du code de l'urbanisme, fût-ce au titre de l'action civile, se prescrit par dix ans et non par cinq ans comme la liquidation de l'astreinte prononcée sur le fondement de l'article L. 131-1 du code des procédure civiles d'exécution ; qu'en retenant que la demande des consorts [U] tendant à la liquidation de l'astreinte assortissant la condamnation de M. [E] à remettre les lieux dans leur état antérieur prononcée, au titre de l'action civile, par le tribunal correctionnel, était soumise au délai de prescription de cinq ans prévu par l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a méconnu les articles L. 111-3, 1°, L. 111-4, alinéa 2, et L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, L. 480-7 du code de l'urbanisme, 710, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 10 du code de procédure pénale et L. 480-7 du code de l'urbanisme :
7. Selon le premier de ces textes, lorsque l'action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l'action publique. Lorsqu'elle est exercée devant une juridiction civile, elle se prescrit selon les règles du code civil.
8. Il en résulte que la demande en liquidation d'une astreinte ordonnée par la juridiction pénale au titre de l'action civile, qui doit être portée devant elle, se prescrit selon les règles de la liquidation de l'astreinte prononcée au titre de l'action publique.
9. Il se déduit du second de ces textes et des articles L. 111-3 et L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution que, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, lorsque l'astreinte est ordonnée au titre de l'action publique, sa liquidation est soumise à la prescription décennale (Crim., 8 novembre 2016, pourvoi n° 15-86.889, Bull. crim. 2016, n° 290).
10. En conséquence, la liquidation de l'astreinte prononcée au titre des intérêts civils est également soumise à la prescription décennale.
11. Pour déclarer irrecevable la demande des consorts [U], l'arrêt attaqué énonce que la liquidation de l'astreinte est soumise au délai de prescription des actions personnelles et mobilières prévu par l'article 2224 du code civil, soit cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui permettent de l'exercer et non au délai de prescription prévu à l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution.
12. Les juges ajoutent qu'il appartenait aux consorts [U] d'exercer leur action en liquidation de l'astreinte avant le 19 juin 2013, soit cinq années après l'entrée en vigueur, le 19 juin 2008, de la loi du 17 juin 2008 modifiant le délai de prescription.
13. Ils en déduisent que l'action présentée par les consorts [U] est prescrite et que leur demande est donc irrecevable.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.
15. En effet, il se déduit de ce qui précède qu'à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur des dispositions de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 précitée, c'est une prescription décennale qui a commencé à s'appliquer à l'action en liquidation de l'astreinte des consorts [U].
16. Dès lors, leur action, introduite le 25 avril 2015, n'était pas prescrite et ne pouvait être déclarée irrecevable sur ce fondement.
17. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Metz, en date du 10 septembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant déclaré Mme [V], M. [U] et Mme [U] irrecevables en leur demande de liquidation de l'astreinte, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Metz et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mai deux mille vingt-trois.