LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 mai 2023
Cassation partielle sans renvoi
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 368 F-D
Pourvoi n° Q 21-20.429
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 MAI 2023
La société d'HLM Seqens, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société Domaxis, a formé le pourvoi n° Q 21-20.429 contre l'arrêt rendu le 19 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (Pôle 4 - Chambre 5), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [R] [S], domicilié [Adresse 2], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Safa ingénierie,
2°/ à M. [T] [P], domicilié [Adresse 4],
3°/ à la société SMA, société anonyme, dont le siège est [Adresse 8],
4°/ à la société Egis conseil, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
5°/ à la société DP.r, société par actions simplifiée unipersonnelle, anciennement dénommée Dumez Ile-de-France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 10],
6°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
7°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 8],
8°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5],
9°/ à la société Socotec construction, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],
défendeurs à la cassation.
M. [P] et la société Allianz IARD ont formé, chacun, un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Les demandeurs aux pourvois incidents invoquent, chacun, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société d'HLM Seqens, de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [P] et de la société DP.r, anciennement dénommée Dumez Ile-de-France, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société SMA, après débats en l'audience publique du 4 avril 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2021), la société Pax progrès Pallas a entrepris la réhabilitation d'un immeuble de logements sociaux lui appartenant.
2. La maîtrise d'oeuvre a été confiée à M. [P], assuré auprès de la société Allianz IARD et à la société Othem, aux droits de laquelle vient la société Egis conseil bâtiment, aujourd'hui dénommée Egis conseil, assurée auprès de la société Gan eurocourtage IARD, aux droits de laquelle vient la société Allianz IARD.
3. L'exécution des travaux a été confiée à la Société d'ingénierie et de réalisation de construction (la SRC), aux droits de laquelle vient la société Dumez Ile-de-France, aujourd'hui dénommée DP .r , assurée auprès de la société Sagéna, devenue SMA.
4. La SRC a sous-traité des prestations à la société Construction bâtiment aménagement (la société CBA), assurée auprès de la société AGF IARD, aux droits de laquelle vient la société Allianz IARD, et à la société Safa ingénierie, assurée auprès de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP).
5. La société Socotec France, aux droits de laquelle vient la société Socotec construction, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), a reçu une mission de contrôle technique.
6. La réception des travaux est intervenue le 18 novembre 2004.
7. La société Pax progrès Pallas a déclaré un sinistre à son assureur de dommages à l'ouvrage, la société Sagéna, devenue SMA, qui a refusé sa garantie.
8. La société Domaxis, aux droits de laquelle vient la société Seqens, devenue propriétaire de l'ouvrage, a assigné la société Sagéna aux fins de paiement des indemnités d'assurances. Les constructeurs et leurs assureurs ont été assignés en intervention forcée.
Recevabilité des pourvois examinée d'office
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 1844-7 du code civil.
Vu l'article 1844-7 du code civil :
10. Selon ce texte, la société prend fin par l'effet d'un jugement ordonnant la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.
11. La société Safa ingénierie a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 30 mars 2012.
12. Le pourvoi principal de la société Seqens et le pourvoi incident de la société Allianz IARD sont irrecevables en tant qu'ils sont dirigés contre la société Safa ingénierie qui, ayant pris fin, n'a pas été valablement attraite à l'instance.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal de la société Seqens et sur le moyen du pourvoi incident de la société Allianz IARD
13. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, du pourvoi principal de la société Seqens
Enoncé du moyen
14. La société Seqens fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à ce que les condamnations de la SMA en réparation de son préjudice incluent la TVA, alors :
« 1°/ que la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée payée sur les biens et services de celle perçue au titre d'une opération économique est conditionnée à l'existence d'un lien direct et immédiat entre ces biens et services et l'opération économique taxée ; que dès lors, en affirmant, pour estimer que la société Domaxis pouvait récupérer la taxe sur la valeur ajoutée versée pour les travaux de reprise consécutifs aux désordres liés à la réhabilitation de l'immeuble de [Localité 9] et qu'elle ne pouvait donc recevoir qu'une indemnité d'assurance hors taxe sur la valeur ajoutée, que ces travaux de réhabilitation ne s'inscrivaient pas dans le cadre de l'activité principale de bailleur social de Domaxis, mais dans le cadre de son activité de constructeur soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, sans constater qu'il existait un lien direct et immédiat entre ces travaux de réhabilitation et l'activité de constructeur, sachant que les travaux de réhabilitation d'un immeuble peuvent aussi bien relever de l'activité de bailleur social, lorsqu'il est destiné à la location sociale, que de l'activité de constructeur, lorsqu'il est destiné à l'accession à la propriété, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 121-1 et L. 242-1 du code des assurances, ensemble l'article 271 du code général des impôts ;
3°/ subsidiairement que lorsque l'activité principale de l'assuré ne permet pas de déduire la taxe sur la valeur ajoutée payée sur les biens et services, il appartient à l'assureur qui entend verser une indemnité d'assurance hors taxe sur la valeur ajoutée, afin de financer les travaux de réparation des désordres affectant ces biens ou services, de démontrer que les biens et services employés par l'assuré ne sont pas affectés à cette activité principale, mais à une activité accessoire pour laquelle l'assuré peut déduire la tva payée de celle perçue ; qu'en l'espèce, la société Domaxis avait une activité principale de bailleur social, non assujettie au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, exigeant des travaux réguliers d'entretien et de réhabilitation de son parc locatif ; qu'en conséquence, il appartenait à la société Sma, intervenant en qualité d'assureur de dommages-ouvrage de la société Domaxis, de démontrer que les travaux de réhabilitation, sources de désordres à l'origine de sa garantie, présentaient un lien direct et immédiat avec l'activité accessoire de constructeur de la société Domaxis, assujettie au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée ; que, dès lors, en affirmant, pour écarter toute majoration de l'indemnité d'assurance au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, que la société Domaxis ne justifiait pas qu'elle ne pouvait pas récupérer la taxe sur la valeur ajoutée, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, violant ainsi l'article 1353 (anciennement 1315) du code civil, ensemble les articles L. 121-1 et L. 242-1 du code des assurances ;
4°/ que l'assureur de dommages-ouvrage, tenu de garantir le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de nature décennale, doit verser une indemnité d'assurance incluant le montant de la taxe sur la valeur ajoutée sur ces travaux de réparation si l'assuré ne peut en récupérer le montant ; qu'en conséquence, il importe peu de savoir si l'assuré a effectivement payé le montant de la taxe sur la valeur ajoutée pour les travaux de reprise des désordres, cette question relevant d'un éventuel contrôle de l'administration fiscale ; que, dès lors, en affirmant, pour écarter toute majoration de l'indemnité d'assurance au titre de la taxe sur la valeur ajouté que la société Domaxis ne justifiait pas avoir payé les sommes de 49 972 euros et 4 297 euros qu'elle réclame au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, la cour d'appel s'est prononcé par un motif inopérant, violant ainsi les articles L. 121-1 et L. 242-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
15. Conformément aux articles 257, 278 sexies et 271 du code général des impôts, l'imposition de la livraison à soi-même des travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement ou d'entretien de logements sociaux à usage locatif au taux réduit permet l'exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses qui concourent à la réalisation de travaux immobiliers dont la livraison est ainsi imposée.
16. Dès lors que l'affectation de l'immeuble à la location ne rendait pas impossible la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée de toutes les dépenses afférentes à cet immeuble, la cour d'appel, qui a constaté que la société Domaxis pouvait être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée au titre d'opérations de construction et qui n'était pas tenue de procéder à une recherche inopérante, a souverainement retenu, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche et sans inverser la charge de la preuve, que l'intéressée ne démontrait pas ne pas pouvoir récupérer le montant de cette taxe.
17. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.
Mais sur le moyen du pourvoi incident de M. [P]
Enoncé du moyen
18. M. [P] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande de dommages et intérêts, alors « que la cour d'appel est tenue d'examiner au regard de chacune des exceptions prévues aux textes susvisés si la demande est nouvelle ; qu'il résulte de l'article 566 du code de procédure civile que les parties ne peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions, sauf à ce que celles-ci soient l'accessoire, la conséquence ou le complément de celles soumises au premier juge ; qu'en déclarant irrecevable comme nouvelle en appel la demande de dommages et intérêts de M. [P] qui avait pour objet de réparer le préjudice subi par son « modeste cabinet d'Architecture », qui a dû « faire face à une procédure considérable et à une atteinte à son honorabilité professionnelle », motifs pris que « contrairement à ce que soutient M. [P], cette demande n'était pas implicitement contenue dans ses prétentions présentées au premier juge », sans rechercher si cette demande de dommages et intérêts, qui ne pouvait d'ailleurs être formulée qu'au stade de l'appel dès lors qu'elle tendait à réparer le préjudice subi par la condamnation prononcée à tort en première instance, ayant porté atteinte à l'honorabilité et, partant, au développement du cabinet d'architecture de M. [P], ne constituait pas un accessoire ou un complément nécessaire à ses demandes tendant à voir constater qu'il n'avait aucune responsabilité dans les désordres litigieux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 564 et 567 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 564 à 567 du code de procédure civile :
19. Il résulte de ces textes qu'une cour d'appel, saisie d'une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de prétentions nouvelles, est tenue de l'examiner, même d'office, au regard de toutes les exceptions qu'ils prévoient.
20. Pour déclarer irrecevable comme nouvelle la demande de dommages et intérêts formée par M. [P], l'arrêt retient que, contrairement à ce que soutient cet architecte, la demande n'était pas implicitement contenue dans ses prétentions présentées au premier juge.
21. En se déterminant ainsi, sans rechercher, même d'office, si cette demande ne constituait pas l'accessoire, la conséquence ou le complément de celles formées par M. [P] en première instance ou une demande reconventionnelle se rattachant aux prétentions originaires par un lien suffisant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
22. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
23. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
24. La demande de dommages et intérêts formée par M. [P] constitue une demande reconventionnelle se rattachant aux prétentions originaires par un lien suffisant dès lors qu'elle vise à obtenir la réparation du préjudice que causerait à l'intéressé une mise en cause abusive de sa responsabilité. Cette demande nouvelle en appel est recevable en application de l'article 567 du code de procédure civile.
25. La demande doit, toutefois, être rejetée dès lors que la SMA était fondée à rechercher la responsabilité de M. [P] et que les constructeurs et les assureurs, tenus in solidum avec lui, n'ont pas abusé du droit d'ester en justice en réclamant qu'il contribue à la dette commune.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE IRRECEVABLES les pourvois des sociétés Seqens et Allianz IARD en ce qu'ils sont dirigés contre la société Safa ingénierie ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts formée par M. [P], l'arrêt rendu le 19 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare recevable la demande de dommages et intérêts formée par M. [P] ;
Rejette la demande de dommages et intérêts formée par M. [P] ;
Dit n'y avoir lieu de modifier ni les dépens exposés devant les juges du fond ni les condamnations prononcées devant eux en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne les sociétés Seqens et Allianz IARD aux dépens afférents à leurs pourvois respectifs ;
Condamne les sociétés Seqens, Allianz IARD, et DP.r aux dépens afférents au pourvoi de M. [P] ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille vingt-trois.