LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 mai 2023
Cassation
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 575 F-D
Pourvoi n° W 21-24.759
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 24 MAI 2023
La société Distribution Casino France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 21-24.759 contre l'arrêt rendu le 28 mai 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale, prud'hommes), dans le litige l'opposant à M. [Z] [G], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, Ã l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Salomon, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Distribution Casino France, de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. [G], après débats en l'audience publique du 12 avril 2023 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Salomon, conseiller rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 mai 2021), M. [G] a conclu le 11 avril 2011 avec la société Distribution Casino France (la société) un contrat de cogérance mandataire intérimaire. Il a assuré la gestion successive de plusieurs supérettes, remplaçant des gérants mandataires non salariés pendant leurs congés.
2. En arrêt de travail depuis le 13 avril 2017, M. [G] a saisi le 6 juin suivant la juridiction prud'homale de demandes de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail et de paiement de diverses sommes à titre d'heures supplémentaires, de remboursement des charges sociales et de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de requalifier le contrat en contrat de travail et de la condamner à payer au cogérant diverses sommes au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents et du remboursement des charges sociales, alors « que le versement aux cogérants mandataires non salariés intérimaires, durant les périodes où ils n'ont pas d'affectation, de la rémunération minimale garantie prévue par l'article 5 de l'accord collectif national du 18 juillet 1963 en application de l'article L. 7322-3 du code du travail, ne saurait justifier la requalification du contrat de cogérance non salariée en contrat de travail ; qu'en l'espèce, il était constant que la rémunération fixe perçue par les cogérants durant leurs périodes d'inactivité entre deux affectations était la rémunération minimale garantie prévue par l'accord collectif national du 18 juillet 1963 ; qu'en se fondant, pour prononcer la requalification du contrat de cogérance non salariée conclu par la société Distribution Casino France avec M. [G] et Mme [K] en contrat de travail, sur la circonstance qu'ils avaient perçu une rémunération fixe non assise sur le chiffre d'affaire d'une succursale durant les périodes d'inactivité, durant lesquelles la société Distribution Casino France n'avait pas été en mesure de leur confier la gestion d'une succursale, la cour d'appel a violé les articles L. 7322-2, L. 7322-3 et L. 1221-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. Le cogérant conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est nouveau.
5. Cependant, la société soutenait dans ses conclusions que le statut de gérant intérimaire était compatible avec les dispositions de l'article L. 7322-2 du code du travail.
6. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 1221-1, L. 7322-1, L. 7322-2 et L. 7322-3 du code du travail :
7. Il résulte du deuxième de ces textes que les dispositions du code du travail bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants non salariés de succursales de commerce de détail alimentaire.
8. Selon le troisième, est gérant non salarié toute personne qui exploite, moyennant des remises proportionnelles au montant des ventes, les succursales des commerces de détail alimentaire ou des coopératives de consommation lorsque le contrat intervenu ne fixe pas les conditions de son travail et lui laisse toute latitude d'embaucher des salariés ou de se faire remplacer à ses frais et sous son entière responsabilité.
9. Aux termes du dernier de ces textes, les accords collectifs fixant les conditions auxquelles doivent satisfaire les contrats individuels conclus entre les entreprises et leurs gérants de succursales non salariés sont régis, en ce qui concerne leur validité, leur durée, leur résolution, leur champ d'application, leurs effets et leurs sanctions, par les dispositions du livre II de la deuxième partie.
Ces accords déterminent, notamment, le minimum de la rémunération garantie aux gérants non salariés, compte tenu de l'importance de la succursale et des modalités d'exploitation de celle-ci.
10. Il résulte de la combinaison de ces textes que le seul fait de garantir temporairement à des gérants non salariés intérimaires, rémunérés par des remises proportionnelles au montant des ventes, une rémunération fixe mensuelle se substituant aux commissions prévues contractuellement, pendant les périodes d'inactivité, ne peut suffire à les soustraire au statut de gérants non salariés.
11. Pour requalifier la relation contractuelle en relation de travail l'arrêt retient que, dans la mesure où les cogérants étaient amenés à exercer leur mission de façon permanente, la validité de leur statut de gérant non salarié s'apprécie au regard de leur situation globale, comprenant les périodes d'activité au sein des supérettes et les périodes interstitielles. Il ajoute que la situation d'inactivité est imputable à la société, qui reconnaît ne pas avoir été toujours en mesure de confier au gérant la gestion d'une succursale. Il ajoute que les cogérants étaient alors amenés à percevoir une rémunération fixe de 3 040 euros, somme qui n'était pas assise sur le chiffre d'affaires d'une succursale. Il en déduit que, pour les périodes considérées, la fixité de somme perçue a pour effet d'exclure l'une des trois conditions de l'article L. 7322-2 du code du travail, nécessaire à la reconnaissance du statut de gérant non salarié.
12. En statuant ainsi, par des motifs ne permettant pas de caractériser l'existence d'un lien de subordination juridique, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt relatives à la requalification de la relation contractuelle entraîne la cassation du chef de dispositif relatif aux heures supplémentaires qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille vingt-trois.