LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 mai 2023
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 599 F-D
Pourvoi n° Q 21-23.971
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 24 MAI 2023
M. [L] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 21-23.971 contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à la société Ipsos Observer, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ala, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [P], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Ipsos Observer, après débats en l'audience publique du 13 avril 2023 où étaient présentes Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ala, conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 septembre 2021), M. [P] a été engagé en qualité d'enquêteur par la société Ipsos Observer à compter du 1er mars 2006, par contrats à durée déterminée d'usage à temps partiel.
2. La relation de travail a pris fin au terme du dernier contrat, le 25 octobre 2016.
3. Le 4 juillet 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes de requalification des contrats en contrat à durée indéterminée à temps complet et de demandes subséquentes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes en requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 1er mars 2006, en paiement d'une indemnité de requalification, d'un rappel de salaire de juillet 2014 à octobre 2016 outre congés payés afférents, d'une indemnité conventionnelle de licenciement, d'une indemnité pour nullité du licenciement ou subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que le contrat de travail à durée déterminée conclu dans les secteurs d'activités définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, où il est d'usage de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée, doit être établi par écrit ; qu'à défaut, le contrat est réputé conclu pour une durée indéterminée ; que faute de comporter la signature du salarié, le contrat ne peut être considéré comme ayant été établi par écrit ; qu'en déboutant le salarié de sa demande de requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et de ses demandes subséquentes motif pris que ''parmi les contrats à durée déterminée produits, tous ont été signé par l'employeur'' sans constater qu'ils l'avaient été par le salarié, la cour d'appel a violé l'article L. 1242-12 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 1er mai 2008, antérieurement l'article L. 122-3-1 ;
2°/ que le recours au contrat de travail à durée déterminée d'usage ne dispense pas l'employeur d'établir un contrat écrit comportant la définition précise de son motif ; qu'à défaut, le contrat est réputé conclu pour une durée indéterminée ; qu'en déboutant le salarié de ses demandes motif pris que ''les contrats ont été conclus en vue de la réalisation d'une enquête désignée par un numéro d'étude unique ce qui caractérise le motif du recours à ce type de contrat'' sans constater que les contrats mentionnaient le motif précis du recours à un contrat de travail à durée déterminée d'usage, la cour d'appel a violé l'article L. 1242-12 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 1er mai 2008, antérieurement l'article L. 122-3-1 ;
3°/ s'il peut être recouru à des contrats de travail à durée déterminée successifs dans les secteurs d'activité, définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, où il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée, c'est à la condition que ce recours soit justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi ; qu'il est constant, en l'espèce, que le salarié a été embauché en mars 2006 par contrat de travail à durée déterminée d'usage et que de tels contrats se sont succédé jusqu'en octobre 2016 ; que pour le débouter de ses demandes, la cour d'appel a considéré, par motifs propres, que ''le salarié n'a pas pourvu durablement un emploi lié à l'activité normale de l'entreprise dès lors que son activité consistait en la réalisation d'enquêtes pour des clients différents et selon des périodicités variables d'activité sans pouvoir prévoir de continuité. De plus il est établi que l'activité de l'employeur fluctue selon les périodes dans l'année et selon les besoins des différents clients'' et, par motifs adoptés, que le salarié ''se voyait confier à chaque fois une mission spécifique pour des clients différents, sans que la société Ipsos n'ait la certitude de se voir attribuer de manière permanente de telles enquêtes puisque chacune d'elle correspondait à un besoin déterminé du client et ne pouvait être programmée ; que les enquêtes réalisées n'ont jamais été l'occasion d'une quelconque continuité, mais correspondent à des missions temporaires'' ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs inopérants tirés du caractère temporaire des enquêtes confiées au salarié et de la fluctuation de l'activité d'institut de sondage, sans vérifier si l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs était justifiée par l'existence d'éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi d'enquêteur, activité normale et permanente de la société, occupé de manière quasiment ininterrompue pendant dix ans par le salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1242-1 et L. 1242-2 dans leur version en vigueur depuis le 1er mai 2018, antérieurement les articles L. 122-1 et L. 122-1-1, ainsi que l'article D. 1242-1, 8° du code du travail dans ses versions en vigueur depuis le 1er mai 2008, antérieurement l'article D. 121-2, interprétés à la lumière des clauses 1 et 5 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 et mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1242-1, L. 1242-2, D. 1242-1, L. 1242-12, alinéa 1, du code du travail, anciens articles L. 122-1, alinéa 1, L. 122-1 al 2 et L. 122-1-1 et D. 121-2, du même code :
5. Aux termes de l'article L. 1242-1du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
6. S'il résulte de la combinaison des articles L. 1242-1, L. 1242-2 et D. 1242-1 du code du travail que, dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats de travail à durée déterminée lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée, en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 et mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, qui a pour objet, en ses clauses 1 et 5, de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l'utilisation de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.
7. Selon l'article L. 1242-12 du code du travail, le contrat à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.
8. Il en résulte, d'une part que, faute de comporter la signature de l'une des parties, les contrats à durée déterminée ne peuvent être considérés comme ayant été établis par écrit, d'autre part, que le recours au contrat de travail à durée déterminée d'usage ne dispense pas l'employeur d'établir un contrat écrit comportant la définition précise de son motif.
9. Pour débouter le salarié de sa demande en requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l'arrêt relève que, parmi les contrats à durée déterminée produits, tous ont été signés par l'employeur. Il ajoute que les contrats ont été conclus en vue de la réalisation d'une enquête désignée par un numéro d'étude unique ce qui caractérise le motif du recours à ce type de contrat. Enfin, l'arrêt retient que le salarié n'a pas pourvu durablement un emploi lié à l'activité normale de l'entreprise dès lors que son activité consistait en la réalisation d'enquêtes pour des clients différents et selon des périodicités variables d'activité sans pouvoir prévoir de continuité et qu' il est établi que l'activité de l'employeur fluctue selon les périodes dans l'année et selon les besoins des différents clients.
10. En statuant ainsi, sans constater que les contrats à durée déterminée avaient été signés par le salarié, sans non plus qu'il ne résulte de ses constatations que les contrats ,sur lesquels figuraient les références de l'enquête, mentionnaient le motif précis du recours au contrat à durée déterminée et enfin en s'en tenant au caractère fluctuant de l'activité, sans vérifier que le recours à l'utilisation de contrats successifs était justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
11. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'un rappel de salaires de juillet 2014 à octobre 2016 outre congés payés afférents, alors « que la requalification d'un contrat à temps partiel en contrat à temps complet ouvre droit pour le salarié à un rappel de salaire ; qu'en l'espèce, après avoir requalifié l'ensemble des contrats à temps partiels en contrats à temps complet, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de cette requalification en refusant d'allouer au salarié le moindre rappel de salaire au motif erroné qu'il ''ne démontre pas, sur le rappel de salaires, être resté à la disposition de l'employeur'' ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 3123-14 du code du travail dans ses versions en vigueur du 1er mars 2008 au 10 août 2016 devenu l'article L. 3123-6, antérieurement l'article L. 212-4-3. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
12. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que, mélangé de fait et de droit, celui-ci est nouveau.
13. Cependant, le salarié formait une demande globale de rappel de salaire en invoquant, au titre des périodes couvertes par le contrat, le défaut de mention des contrats de travail à temps partiel et, au titre des périodes interstitielles, le fait qu'il s'était tenu à la disposition de l'employeur.
14. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 3123-14 dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, devenu l'article L. 3123-6 du code du travail :
15. Selon ce texte, le contrat écrit du salarié à temps partiel doit mentionner la durée hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. Il en résulte que l'absence d'écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition fait présumer que l'emploi est à temps complet et qu'il incombe à l'employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part, que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur.
16. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'un rappel de salaire, l'arrêt, après avoir constaté que les contrats produits ne mentionnaient pas tous la durée du travail et sa répartition entre les jours de la semaine en sorte que la présomption de travail à temps complet s'appliquait, retient que l'employeur n'établit pas, pour tous les contrats, la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue. Il en déduit que la demande en requalification à temps complet sera accueillie et rejette la demande de rappel de salaire en retenant que le salarié ne démontrait pas être resté à la disposition de l'employeur.
17. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [P] de sa demande en paiement de dommages-intérêts à la suite de la privation de la couverture mutuelle obligatoire, l'arrêt rendu le 8 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée;
Condamne la société Ipsos Observer aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Ipsos Observer et la condamne à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille vingt-trois.