LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 24 mai 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 365 F-D
Pourvoi n° H 21-21.871
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 24 MAI 2023
Mme [T] [U], domiciliée [Adresse 4], a formé le pourvoi n° H 21-21.871 contre l'arrêt rendu le 30 juin 2021 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Z] [C], domicilié [Adresse 2],
2°/ à Mme [B] [G], domiciliée [Adresse 5],
3°/ à M. [O] [F], domicilié [Adresse 3], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Claire diffusion,
4°/ à la société MMA IARD, société d'assurance mutuelle à cotisations fixes,
dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [U], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MMA IARD, de la SCP Spinosi, avocat de Mme [G], après débats en l'audience publique du 28 mars 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 30 juin 2021), Mme [U] et M. [C], mariés sous le régime de la séparation de biens, ont créé la SARL Claire diffusion (la société), M. [C] étant associé majoritaire et gérant, et Mme [U] associée minoritaire. La société avait pour expert-comptable Mme [G], chargée notamment des formalités de constitution. Mme [U] a fait apport à la société d'une somme de 1 489 251 euros inscrite en compte courant d'associé.
2. Le 2 octobre 2013, un tribunal a ouvert le redressement judiciaire de la société, puis prononcé, le 24 février 2015, sa liquidation judiciaire, M. [F] étant désigné liquidateur. Mme [U] a déclaré une créance chirographaire de 1 305 900 euros.
3. Le 23 juillet 2015, Mme [U] a assigné en responsabilité M. [C] et Mme [G] afin d'obtenir leur condamnation solidaire au paiement de diverses sommes en réparation de son préjudice matériel et moral. Mme [G] a assigné en garantie son assureur, la société MMA IARD.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches et en ses cinquième à quinzième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
5. Mme [U] fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables, alors « que la cour d'appel dit irrecevables les demandes de Mme [U] au titre du préjudice moral aux motifs que celui-ci n'était qu'une conséquence de son préjudice financier ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si Mme [U] ne fondait pas sa demande en réparation du préjudice moral sur la violence du comportement de M. [C] à l'occasion de sa gestion de la société, et notamment sur l'embauche de plusieurs maîtresses de M. [C] conjointement avec Mme [U], son épouse, ainsi que sur sa violence verbale attestée par l'expert, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 223-22, L. 622-20 et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 223-22, L. 622-20 et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce :
6. La recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier contre le dirigeant d'une société en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
7. Pour déclarer irrecevable la demande de Mme [U] en réparation de son préjudice moral formée contre M. [C], l'arrêt retient que lorsqu'elle décrit son préjudice moral, Mme [U] fait état essentiellement d'arguments financiers l'ayant conduite à la dépression, telle l'impossibilité de léguer à ses enfants un patrimoine dilapidé dans la gestion de la société, et que ce préjudice n'est pas distinct de celui des autres créanciers.
8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les fautes imputées par Mme [U] à M. [C], l'embauche au sein de la société de ses maîtresses, mieux payées qu'elle, l'emploi de mots durs et blessants, la confiscation à son avantage de toute sa fortune personnelle et familiale, n'étaient pas à l'origine d'un préjudice moral dont la réparation était étrangère à la reconstitution du gage commun des créanciers et si elle n'échappait pas en conséquence au monopole d'action du liquidateur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
9. En l'état d'une cassation fondée sur la seule quatrième branche du moyen limitée à la responsabilité de M. [C], la cassation n'atteint que la déclaration d'irrecevabilité de la demande de Mme [U] formée contre celui-ci en réparation de son préjudice moral et laisse intactes les déclarations d'irrecevabilité des autres demandes de Mme [U] formées contre lui et des demandes formées contre Mme [G].
Demande de mise hors de cause
10. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause, à sa demande, la société MMA IARD, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il déclare irrecevable la demande de Mme [U] en réparation de son préjudice moral formée contre M. [C], l'arrêt rendu le 30 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
MET hors de cause la société MMA IARD ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [C] à payer à Mme [U] la somme de 3 000 euros, rejette les autres demandes de Mme [U] et les demandes de Mme [G] et de la société MMA IARD ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille vingt-trois.