La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/05/2023 | FRANCE | N°22-10800

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 17 mai 2023, 22-10800


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

BD4

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 mai 2023

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 566 F-D

Pourvoi n° U 22-10.800

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 MAI 2023

Mme [I] [X], domiciliée [Adresse 1], a f

ormé le pourvoi n° U 22-10.800 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige l'oppo...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

BD4

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 mai 2023

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 566 F-D

Pourvoi n° U 22-10.800

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 MAI 2023

Mme [I] [X], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 22-10.800 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige l'opposant à M. [T] [H], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [X], de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [H], après débats en l'audience publique du 5 avril 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 novembre 2021), Mme [X] a été engagée en qualité d'avocate salariée par M. [H], suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 5 novembre 2012.

2. A compter du 10 octobre 2018, la salariée a été placée en arrêt maladie et, le 7 avril 2019, le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste avec dispense de reclassement. Par lettre du 10 mai 2019, l'employeur l'a licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

3. Invoquant un harcèlement moral et contestant le bien-fondé de son licenciement, la salariée a saisi le bâtonnier par requête du 27 septembre 2019 afin d'obtenir notamment la nullité de son licenciement et le paiement de diverses sommes à titre d'indemnité de rupture et de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le quatrième et le cinquième moyens

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première et sa troisième branches

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral, pour perte de salaire durant l'arrêt maladie résultant du harcèlement moral, de nullité de son licenciement, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et de dommages-intérêts au titre du caractère illicite du licenciement, alors :

« 1°/ qu'en procédant à une appréciation séparée de chacun des éléments invoqués par la salariée quand il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis, dont la dégradation de l'état de santé ayant conduit à l'avis d'inaptitude sans possibilité de reclassement rendu par le médecin du travail, laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et dans l'affirmative, d'apprécier les éléments fournis par l'employeur pour démontrer que les agissements en cause étaient étrangers à tout harcèlement, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

3°/ que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, les juges du fond doivent examiner chacun des faits invoqués par le salarié sans en négliger aucun et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'en écartant le harcèlement, sans examiner l'absence de mesures prises par l'employeur, en dépit des alertes et demandes de protection de Mme [X], pour faire cesser les agissements de Mme [S] à son égard, fait invoqué par la salariée au titre des éléments laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel a violé les articles L. 1552-1 et L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail :

6. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

7. Pour débouter la salariée de ses demandes, l'arrêt retient d'abord que ce n'est que le 8 mars 2019 que le psychiatre au Centre du burn-out mentionne pour la première fois ce motif et celui d'une dépression et que la psychologue de ce même centre précise dans son compte-rendu d'entretien réalisé en février 2019 que « Mme [X] a décrit un climat de travail lourd et pesant la mettant en difficulté dans sa vie professionnelle et personnelle » étayé par ses déclarations relatives aux « dénigrements et accusations mensongères dans le cadre de son travail » et aux « nombreuses violences psychologiques qu'elle décrit avoir subi ces dernières années », alors même que la salariée n'a eu connaissance des agissements de Mme [S] qu'à la fin du mois de janvier 2018 et ne s'est jamais plainte d'aucune difficulté autre que la lourdeur de sa charge de travail.

8. L'arrêt relève ensuite qu'en 2017, Mme [S] a informé son employeur de ce qu'elle se sentirait déstabilisée par la salariée, que cette dernière, dans une lettre du 5 février 2018, a sollicité la prise de mesures par son employeur, dans le but d'assurer sa propre protection puis, dans une lettre du 13 février suivant, a fait état de l'audition de deux collègues de travail et d'un entretien contradictoire avec Mme [S] aux termes duquel l'employeur a acté le caractère infondé des accusations portées par celle-ci, qu'il a proposé à la salariée de s'installer dans un bureau à l'étage supérieur mais que celle-ci a décliné l'offre au motif que ce serait reconnaître sa responsabilité, que, par lettre du 24 mai 2018 adressée à son employeur, la salariée a repris les propos que l'assistante juridique avait tenus la veille en leur présence commune rapportant une nouvelle rumeur propagée par Mme [S] à son encontre sur une pratique de magie noire, exposant qu'elle ne se sentait pas en sécurité et que l'acharnement dont Mme [S] faisait preuve à son égard continuait de la déstabiliser et réitérant sa demande de prise de mesures de protection.

9. L'arrêt retient que ni la dénonciation par Mme [S] de faits à l'encontre de la salariée qui se sont révélés non établis à l'issue de l'enquête effectuée par l'employeur, ni les propos de Mme [S] selon lesquels la salariée pratiquerait de la magie noire, tous deux tenus hors sa présence, ne suffisent à établir des faits laissant supposer l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral de la part de sa collègue de travail.

10. L'arrêt relève enfin que la dissimulation par l'employeur des accusations de harcèlement moral portées contre la salariée ne peut être retenue comme un agissement susceptible de constituer un harcèlement moral alors que la salariée a été protégée de ces accusations qu'elle ignorait pendant le temps pris par l'employeur pour mener une enquête.

11. En statuant ainsi, sans prendre en compte, comme l'y invitait la salariée, l'absence de mesures de protection prises par l'employeur malgré les demandes réitérées de la salariée, et en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par celle-ci, alors qu'il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral, et dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes de dommages-intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et de dommages-intérêts au titre du caractère illicite du licenciement, alors « que l'obligation de prévention des risques professionnels et du harcèlement moral, qui résulte des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du même code et ne se confond pas avec elle ; que pour débouter Mme [X] de ses demandes, l'arrêt attaqué retient que le manquement à l'obligation de sécurité reproché à son employeur en ce qu'il n'a pas pris les mesures propres à prévenir et faire cesser le harcèlement moral n'est pas établi en l'absence de preuve d'un harcèlement moral et que l'employeur ne peut être tenu pour responsable à l'égard de la salariée sur le fondement des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail des propos tenus par Mme [S] à supposer que leur caractère raciste soit établi ; qu'en se déterminant ainsi quand la salariée avait fait valoir qu' en dépit de ses alertes sur la détresse ressentie face aux propos calomnieux et racistes de Mme [S] et de ses demandes répétées pour que des mesures de protection soient prises à son égard, l'employeur n'avait pas pris les mesures de prévention nécessaires, ni de mesures propres à faire cesser les agissements de Mme [S], la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail :

13. L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des textes susvisés, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.

14. Pour débouter la salariée de ses demandes, l'arrêt retient que le manquement à son obligation de sécurité reproché par la salariée à son employeur en ce qu'il n'a pas pris les mesures propres à prévenir et faire cesser le harcèlement moral n'est pas établi en l'absence de preuve d'un harcèlement moral.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [X] de ses demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral, pour perte de salaire durant l'arrêt maladie résultant du harcèlement moral, pour manquement à l'obligation de sécurité et de ses demandes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et du caractère illicite du licenciement et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 10 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [H] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [H] et le condamne à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22-10800
Date de la décision : 17/05/2023
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 10 novembre 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 17 mai. 2023, pourvoi n°22-10800


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Ortscheidt, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:22.10800
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award