LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 17 mai 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 355 F-D
Pourvoi n° A 21-24.809
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 MAI 2023
1°/ M. [U] [E], domicilié [Adresse 1]),
2°/ la société Mail et Transport International Maroc (MATIM), société de droit marocain, dont le siège est [Adresse 3]),
ont formé le pourvoi n° A 21-24.809 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2021 par la cour d'appel de Paris (chambre commerciale internationale), dans le litige les opposant à la société TNT FAA, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [E] et de la société Mail et Transport International Maroc, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société TNT FAA, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 juillet 2021), la société TNT Express international, aux droits de laquelle vient la société TNT FAA (la société TNT), société française de transport express international faisant partie du groupe néerlandais TNT Express néerlandais, a confié à la société Mail et Transport International Maroc (la société MATIM), société de transport de marchandises de droit marocain dont le gérant est M. [E], la livraison et le transport des envois internationaux, chacune des parties pouvant résilier le contrat avec un préavis de quarante-cinq jours.
2. En 2016, la société de droit américain Fedex a racheté les titres du groupe TNT Express.
3. A l'automne 2017, la société Fedex a lancé un appel d'offres pour sélectionner son prestataire sur le marché marocain, en soumettant les participants à la signature d'un accord de confidentialité.
4. Ayant accepté de participer à la procédure d'appel d'offres, la société MATIM a signé, le 2 octobre 2017, un accord de confidentialité avec la société Fedex dans lequel elle a accepté les conséquences d'une cessation de ses relations avec les sociétés TNT/Fedex, cet accord stipulant qu'il constituerait alors le point de départ du préavis de résiliation.
5. Le 15 janvier 2018, la société TNT a informé la société MATIM qu'elle n'avait pas été sélectionnée, que le contrat était résilié et que cette lettre faisait courir le délai de préavis de quarante-cinq jours prévu au contrat.
6. Contestant cette résiliation et le délai de préavis accordé, la société MATIM et M. [E] ont assigné la société TNT en réparation des préjudices subis du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. M. [E] et la société MATIM font grief à l'arrêt de limiter à la somme de 1 052 513 euros la condamnation de la société TNT au titre du préjudice de la société MATIM pour la rupture brutale des relations commerciales, outre intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, alors « que la notification de l'intention de rompre la relation n'est régulière et le préavis ne commence à courir que si la date de la rupture est précisée ; qu'en retenant que le recours à une procédure d'appel d'offres exprimé dans le courriel du 28 septembre 2017 et l'accord de confidentialité signé par la société MATIM le 2 octobre 2017 manifestait l'intention de la société TNT de ne pas poursuivre les relations qui s'étaient établies entre elles aux conditions antérieures, de sorte que la signature de cet accord faisait courir le délai de préavis, sans rechercher si le courriel du 28 septembre 2017 ou cet accord précisaient à la société MATIM la date retenue pour la cessation de la relation commerciale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
9. Il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions de M. [E] et de la société MATIM que ceux-ci aient soutenu devant la cour d'appel que le courriel du 28 septembre 2017 et l'accord de confidentialité signé le 2 octobre 2017 ne précisaient pas la date de la cessation de la relation commerciale et que le délai de préavis n'avait donc pu courir à compter de cette date.
10. Le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, n'est donc pas recevable.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
11. M. [E] et la société MATIM font le même grief à l'arrêt, alors « que les circonstances particulières de la relation et la durée du préavis devant en conséquence être accordé s'apprécient au moment de la notification de la rupture ; qu'en réduisant la durée du préavis qui s'imposait au regard des circonstances de la relation rompue, en considération de la reconversion réussie de la société MATIM au jour où elle statuait, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :
12. Il résulte de ce texte que le délai du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture.
13. Pour fixer la durée du préavis à douze mois et condamner en conséquence la société TNT à payer à la société MATIM la somme de 1 052 513 euros en réparation de son préjudice pour la rupture brutale des relations commerciales, avec intérêts et capitalisation, l'arrêt retient que la société TNT ne peut sérieusement contester les investissements de la société MATIM au Maroc pour développer l'activité commune, les prestations au Maroc ayant nécessairement eu pour corollaire la mise en place des structures pour permettre leur réalisation et notamment le développement de plusieurs agences comprenant la location de bureaux, les équipements informatiques et l'emploi de personnels et qu'il ressort en outre du rapport produit par la société TNT que la société MATIM a réalisé d'importants investissements en 2016 et surtout 2017. Il retient ensuite qu'il résulte cependant des éléments versés, et notamment des propres conclusions de la société MATIM et de M. [E] présentées lors du contentieux sur la suspension de l'exécution provisoire engagé par la société TNT en septembre 2019, que si la société MATIM indique avoir « perdu une grande partie de ses clients, de ses employés, de son outil de travail, ... elle a su se réorganiser, trouver d'autres débouchés, adapter son activité. Elle a retrouvé actuellement 75 % de ses anciens clients, et développe une activité prometteuse avec le groupe TOTAL », que ces données sont corroborées par les pièces versées par la société TNT dont il résulte qu'elle ne détient que 8 % du marché sur le Maroc, étant concurrencée notamment par la société DHL. Il ajoute que la société MATIM exerce désormais son activité sous l'enseigne « MTI Express » et a développé une activité concurrente de celle de la société TNT, qu'ainsi, un procès-verbal de constat d'huissier de justice, dressé le 27 juin 2018, du site internet de la société MATIM, atteste qu'à cette date, celle-ci exerce son activité sous l'enseigne « MTI Express » et met en avant les accords « tarifaires négociés avec les plus grands transporteurs du marché tels que DHL, UPS, Aramex, Chronopost ainsi que [sa totale] indépendance vis-à-vis d'eux ».
14. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des éléments postérieurs à la notification de la rupture pour apprécier la durée de préavis à laquelle la société MATIM pouvait prétendre, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il condamne la société TNT FAA à payer à la société Mail et Transport International Maroc la somme de 1 052 513 euros au titre de son préjudice pour la rupture brutale des relations commerciales avec intérêts au taux légal et ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière, l'arrêt rendu le 6 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société TNT FAA aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société TNT FAA et la condamne à payer à M. [E] et la société Mail et Transport International Maroc la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille vingt-trois.