LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 314 F-D
Pourvois n°
B 22-11.842
A 22-11.910 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023
I - M. [S] [D], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 22-11.842 contre deux arrêts rendus les 15 octobre 2020 et 14 décembre 2021 par la cour d'appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Kauffman et Broad Promotion 3, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Kauffman et Broad Pyrénées-Atlantiques, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 6],
3°/ à la société Entrepuentes SL, (société de droit espagnol), dont le siège est [Adresse 5] (Espagne), ayant un établissement en France, [Adresse 2],
4°/ à la société Gémie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
II - La société Gémie, société à responsabilité limitée, a formé le pourvoi n° A 22-11.910 contre l'arrêt rendu par la même cour le 14 décembre 2021, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Kaufman et Broad Promotion 3, société en nom collectif,
2°/ à la société Kaufman et Broad Pyrénées-Atlantiques, société à responsabilité limitée unipersonnelle,
3°/ à la société Entrepuentes SL,
4°/ à M. [S] [D],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur au pourvoi n° B 22-11.842 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° A 22-11.910 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Delbano, conseiller doyen, les observations de Me Descorps-Declère, avocat de M. [D], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Gémie, de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat des sociétés Kaufman et Broad Promotion 3 et Kauffman et Broad Pyrénées-Atlantiques, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Delbano, conseiller doyen rapporteur, M. Boyer, conseiller, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° A 22-11.910 et B 22-11.842 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Pau, 15 octobre 2020 et 14 décembre 2021), le 5 avril 2013, la société de droit espagnol Entrepuentes SL. a donné à la société Atlantime, devenue Gémie, un mandat simple de vente portant sur des droits à construire et des biens immobiliers.
3. Il était spécifié qu'en cas de réalisation de la vente, la rémunération du mandataire, à la charge de l'acquéreur, serait répartie à égalité entre la société Gémie et M. [D].
4. Il était en outre prévu que cette rémunération serait due en intégralité par le mandant, dans le cas où ce dernier traiterait sans le concours du mandataire dans un délai d'un an suivant l'expiration du mandat, avec un acquéreur dénoncé par le mandataire.
5. Le 9 juillet 2014, la société Entrepuentes SL. s'est prévalue de l'expiration du mandat de vente.
6. Après un protocole du 3 septembre 2014, une promesse unilatérale de vente a été conclue entre la société Entrepuentes SL. et la société Kaufman et Broad Pyrénées Atlantiques le 23 janvier 2015, suivie d'un acte de vente du 4 novembre 2016 conclu avec l'acquéreur substitué, la société Kaufman et Broad Promotion 3, les parties spécifiant avoir négocié sans le concours d'un intermédiaire.
7. Estimant avoir été frauduleusement évincée de la vente, la société Gémie a recherché la responsabilité de la société Entrepuentes SL., sur le fondement contractuel, pour avoir fautivement traité avec l'acquéreur dans l'année de cessation du mandat, et des sociétés Kaufman et Broad Pyrénées Atlantiques et Broad Promotion 3, sur le fondement délictuel, pour collusion frauduleuse avec le vendeur, afin d'obtenir une indemnisation de 613 800 euros à hauteur de son droit à rémunération.
8. M. [D] est intervenu volontairement à l'instance pour présenter une demande indemnitaire sur les mêmes fondements.
9. Par arrêt avant-dire droit du 15 octobre 2020, la cour d'appel de Pau a ordonné la réouverture des débats et invité les parties à conclure notamment sur les rapports juridiques entre la société Gémie et M. [D] à l'occasion de la conclusion et de l'exécution du mandat de vente et sur le statut professionnel de M. [D].
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° A 22-11.910, pris en ses première, troisième à cinquième branches et sur le moyen du pourvoi n° B 22-11.842, pris en ses première, deuxième et quatrième branches
10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi n° A 22-11.910, pris en sa deuxième branche et sur le moyen du pourvoi n° B 22-11.842, pris en sa troisième branche, réunis
Enoncé des moyens
11. Par son moyen, la société Gémie fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes indemnitaires, alors « que l'agent immobilier a droit à une rémunération lorsque sa mission est fixée par écrit et que sont notamment définies les conditions dans lesquelles il est autorisé à recevoir, verser ou remettre des sommes d'argent, biens, effets ou valeurs à l'occasion de l'opération dont il s'agit, les conditions de détermination de sa rémunération ainsi que l'indication de la partie qui en aura la charge ; qu'en déboutant néanmoins la société Gémie de ses prétentions indemnitaires, quand les diligences directement accomplies par la société Gémie elle-même, sans tenir compte de l'intervention de M. [D], fondaient son droit à rémunération et la possibilité d'invoquer la clause selon laquelle la rémunération sera due en intégralité par le mandant suivant l'expiration du mandat avec un acquéreur dénoncé par le mandataire, la cour d'appel a violé l'article 6 de la loi du 2 janvier 1970, dans sa version issue de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006. »
12. Par son moyen, M. [D] fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes ainsi que celles de la société Gémie, alors « que lorsqu'un agent immobilier, bénéficiaire d'un mandat, met en relation un vendeur et le potentiel acquéreur d'un bien immobilier et qu'ensuite le vendeur conclut directement la vente avec ce potentiel acquéreur, l'opération est réputée effectivement conclue par l'entremise de cet agent, lequel a alors droit au paiement de la commission convenue, sauf à tenir compte du prix de vente réel du bien immobilier et des circonstances ou fautes de l'agent immobilier ; que le mandat de vente du 5 avril 2013 a été confié à la société Gémie, alors dénommée Atlantime, par la société Entrepuentes SL. ; que l'offre d'acquisition de la société Kaufman et Broad Pyrénées-Atlantiques des droits à construire et des parcelles y afférentes du 23 décembre 2013 a été adressée à la société Gémie, prise en la personne de son dirigeant, M. [V], et mentionnait à l'attention de ce dernier que « pour faire suite à nos récents échanges, nous vous prions de bien vouloir trouver, par la présente, notre offre d'acquisition pour l'emprise foncière sise en objet en vue de la réalisation d'un programme immobilier, dont vous trouverez les conditions ci-après » ; que le courriel d'accompagnement de ce courrier du 23 décembre 2013, daté du même jour, était également adressé à M. [V], et énonçait à l'attention de ce dernier « comme entendu la semaine dernière, j'ai le plaisir de vous soumettre l'offre de notre société relative au dossier sis en objet et pour lequel vous détenez un mandat exclusif de vente », tout en indiquant en simple post-scriptum « comme je m'y suis engagé, je place [S] [D] en copie de ce mail »; qu'en réponse à cette offre, par courriel du même jour, M. [V] écrivait pour la société Gémie « merci pour votre offre M. [H] nous revenons vers vous dès que possible (...) » ; qu'en jugeant qu'il « importe peu que (...) l'exécution du mandat ait été menée conjointement avec (la société Gémie) et que la commission ne serait pas due du simple fait qu'au moins « une partie des négociations et diligences dont se prévaut la société Gémie » a été réalisée par M. [D], la cour d'appel a violé l'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970. »
Réponse de la Cour
13. La cour d'appel a souverainement retenu, d'une part, qu'il résultait de la désignation du mandataire dans le mandat de vente que M. [D] était intervenu comme négociateur indépendant habilité par la société Gémie à s'entremettre pour le compte de celle-ci, d'autre part, que l'entremise et la négociation de M. [D] auprès d'acquéreurs potentiels et de Kaufman et Broad pour le compte de la société Gémie étaient établies par les lettres et les courriers électroniques produits.
14. Elle a énoncé à bon droit qu'en application de l'article 4 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et de l'article 9 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, qui ne distinguent pas selon que l'intervention de la personne habilitée est ponctuelle ou habituelle, l'habilitation de M. [D] était subordonnée à la délivrance de l'attestation préfectorale justifiant de sa qualité et de l'étendue de ses pouvoirs.
15. Ayant relevé que M. [D] ne disposait pas de cette attestation, elle en a exactement déduit qu'en lui déléguant l'exécution du mandat de vente, la société Gémie s'était mise en infraction avec les dispositions de la loi précitée exigeant la vérification par l'autorité préfectorale des garanties de moralité et de compétence offertes par la personne habilitée en vue d'intervenir dans une opération relevant de son champ d'application.
16. Elle en a déduit, sans violer l'article 6 de la loi du 2 janvier 1970, que, dès lors que les prescriptions d'ordre public de ce texte n'avaient pas été respectées, la société Gémie ne pouvait prétendre à la rémunération prévue au contrat, et que ni ses actions en indemnisation, ni celles de M. [D], ne pouvaient être accueillies.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Gémie et M. [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-trois.