LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 avril 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 349 FS-B
Pourvoi n° J 21-21.275
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2023
1°/ M. [Z] [B], domicilié [Adresse 2],
2°/ Mme [K] [R], épouse [B], domiciliée [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° J 21-21.275 contre l'arrêt rendu le 28 mai 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-3), dans le litige les opposant à la société Distribution casino France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. et Mme [B], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Distribution casino France, les plaidoiries de Me Grevy pour M. et Mme [B] et celles de Me Rebeyrol pour la société Distribution casino France, l'avis écrit de Mme Wurtz, avocat général, et l'avis oral de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 28 février 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Pecqueur, Laplume, MM. Chiron, Leperchey, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 mai 2021), M. et Mme [B] (les cogérants) ont signé avec la société Distribution casino France (la société) le 3 septembre 2012 un contrat de gérance non-salariée en vue d'assurer la gestion et l'exploitation d'un commerce de détail alimentaire à [Localité 4].
2. La société a rompu le contrat de cogérance le 27 novembre 2015.
Examen des moyens
Sur les troisième et quatrième moyens
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Les cogérants font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes à titre de dommages-intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité légale de licenciement et d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, alors « que le gérant non salarié de succursale de commerce de détail alimentaire bénéficiant de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale, la rupture du contrat de gérance à l'initiative de l'entreprise propriétaire de la succursale, qui constitue un licenciement, doit reposer sur une cause réelle et sérieuse ; qu'en matière de licenciement disciplinaire pour faute grave, la charge de la preuve de la faute, qui doit être personnellement imputable au gérant non salarié, repose sur l'entreprise propriétaire ; qu'en l'espèce, il résultait des propres constatations de la cour d'appel que le contrat de cogérance a été rompu sans indemnités de préavis et de licenciement au motif d'un manquant de marchandises et d'un solde débiteur, ce dont il résultait que l'entreprise propriétaire s'était placée dans le cadre d'une rupture pour faute grave ; qu'en jugeant que la rupture reposait sur une cause réelle et sérieuse, aux motifs inopérants que les cogérants n'ont apporté aucune explication crédible au manquant de marchandises et que le maintien du contrat de cogérance faisait courir le risque d'augmenter le solde débiteur du compte général au préjudice de l'entreprise propriétaire, sans constater que celle-ci démontrait que le manquant de marchandises était imputable à une faute personnelle des cogérants, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les articles L. 7322-1, L. 1232-1 et L. 1331-1 du code du travail, ensemble l'article 1315, devenu 1353, du code civil ».
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 7322-1 et L. 1231-1 du code du travail, et 1353 du code civil :
5. Il résulte de l'article L. 7322-1 du code du travail que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants non salariés de succursales de commerce de détail alimentaire et que les articles L. 1231-1 et suivants du code du travail, relatifs à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, leur sont applicables.
6. Si le gérant non-salarié d'une succursale peut être rendu contractuellement responsable de l'existence d'un déficit d'inventaire en fin de contrat et tenu d'en rembourser le montant, il ne peut être privé, dès l'origine, par une clause du contrat, du bénéfice des règles protectrices relatives à la rupture des relations contractuelles.
7. La charge de la preuve de la faute grave incombe à la société qui s'en prévaut.
8. Pour juger que les cogérants ont commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier la rupture immédiate du contrat de cogérance, l'arrêt retient que la société démontre l'existence d'un manquant d'inventaire important, que les cogérants sont responsables de ces marchandises et doivent pouvoir les représenter, ce qu'ils n'ont pu faire, sans apporter la moindre explication crédible à ce manquant.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.
Et sur le deuxième moyen
10. M. [B] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre des retenues effectuées sur les bulletins de commission, alors « que les gérants non salariés bénéficiant des avantages légaux accordés aux salariés, l'entreprise propriétaire ne peut opérer aucune retenue sur commission pour compenser des sommes qui lui seraient dues pour fournitures diverses, quelle qu'en soit la nature ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a débouté l'exposant de sa demande aux motifs erronés que les commissions ne constituent pas du salaire et que les prélèvements effectués correspondent aux commissions indûment perçues sur des marchandises manquantes et non présentées alors qu'elles avaient fait l'objet d'une livraison et donc, a priori, d'une vente ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 7322-1 et L. 3251-1 du code du travail ».
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 7322-1 et L. 3251-1 du code du travail :
11. Il résulte du premier de ces textes que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants non-salariés de succursales de commerce de détail alimentaire et que les articles L. 3251-1 et suivants du code du travail, relatifs à la retenue sur le salaire, leur sont applicables.
12. Selon le second de ces textes, l'employeur ne peut opérer une retenue de salaire pour compenser des sommes qui lui seraient dues par un salarié pour fournitures diverses, quelle qu'en soit la nature.
13. Pour rejeter la demande de M. [B] au titre des retenues effectuées sur les bulletins de commissions, l'arrêt retient que les commissions ne constituent pas des salaires et que les prélèvements effectués correspondent aux commissions indûment perçues par les cogérants sur des marchandises manquantes et non présentées alors qu'elles avaient fait l'objet d'une livraison et donc a priori d'une vente.
14. En statuant ainsi, alors que les sommes dues à la société par son gérant non-salarié, tenu d'assumer la charge du déficit d'inventaire, le sont pour des marchandises fournies par elle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. et Mme [B] de leurs demandes à titre de dommages-intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité légale de licenciement et d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, en ce qu'il déboute M. [B] de sa demande au titre des retenues effectuées sur les bulletins de commissions, et en ce qu'il déboute les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 28 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Distribution casino France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Distribution casino France et la condamne à payer à M. et Mme [B] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.