LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 avril 2023
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 285 FS-D
Pourvoi n° Y 19-25.397
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 AVRIL 2023
1°/ La société de l'Hippodrome, exploitation agricole à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ la société Aviva assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° Y 19-25.397 contre l'arrêt rendu le 9 octobre 2018 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige les opposant à la société Enedis, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société de l'Hippodrome et de la société Aviva assurances, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Enedis, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 février 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Michel-Amsellem, M. Calloch, conseillers, Mme Comte, M. Regis, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 9 octobre 2018) et les productions, la société de l'Hippodrome a déclaré auprès de son assureur, la société Aviva assurances (la société Aviva), un sinistre sur divers matériels électriques, à la suite d'une coupure d'électricité.
2. Après avoir reçu les conclusions de l'expert qu'elle avait désigné, la société Aviva a partiellement indemnisé la société de l'Hippodrome.
3. Soutenant que les dommages résultaient d'une surtension sur le réseau, imputable à Electricité réseau distribution France (ERDF), aux droits de laquelle vient la société Enedis, les sociétés de l'Hippodrome et Aviva ont assigné celle-ci sur le fondement des articles 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et 1382, devenu 1240, du même code et de l'article L. 121-12 du code des assurances. La société Enedis leur a opposé que seules étaient applicables les règles de la responsabilité du fait des produits défectueux.
4. Par un arrêt du 10 novembre 2021, la Cour de cassation a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) ait répondu à la question préjudicielle posée dans le pourvoi n° 20-17.368 et portant sur l'interprétation de l'article 2 et de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 1999 (la directive 85/374/CEE).
5. La CJUE a répondu à la question préjudicielle par un arrêt du 24 novembre 2022 (C-691/21).
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société de l'Hippodrome et la société Aviva font grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de leurs demandes, alors « que selon l'article 1386-6, devenu 1245-5, du code civil, est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante ; que selon l'article 1386-3, devenu 1245-2 du même code, l'électricité est considérée comme un produit ; qu'en retenant
la qualité de producteur de la société Enedis cependant que celle-ci, en sa qualité de gestionnaire du réseau électrique, est chargée de transporter et de distribuer l'électricité en provenance du producteur de celle-ci et que sa seule intervention sur la puissance de l'énergie transportée ne fait pas d'elle le producteur d'un produit nouveau, "l'électricité distribuée", distinct de l'électricité qui lui est ainsi fournie, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1386-6, devenu 1245-5, du code civil, ensemble l'article 1386-3, devenu 1245-2 du même code. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article 2 de la directive 85/374/CEE, pour l'application de cette directive, le terme « produit » désigne également l'électricité et, selon l'article 3, paragraphe 1, le terme « producteur » désigne le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première ou le fabricant d'une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.
8. La directive 85/374/CEE a été transposée en droit interne par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 aux articles 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1245-17, du code civil.
9. Aux termes de l'article 1386-3, devenu 1245-2, du code civil, l'électricité est considérée comme un produit et, aux termes de l'article 1386-6, devenu 1245-5, alinéa 1er, du même code, est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante.
10. Répondant à la question préjudicielle précitée, la CJUE a dit pour droit :
« L'article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999, doit être interprété en ce sens que le gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité doit être considéré comme étant un « producteur », au sens de cette disposition, dès lors qu'il modifie le niveau de tension de l'électricité en vue de sa distribution au client final. »
11. Elle a, à cet effet, précisé qu'un gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité ne se limite pas à livrer de l'électricité, mais participe au processus de sa production en modifiant une de ses caractéristiques, à savoir sa tension, en vue de la mettre en état d'être offerte au public aux fins d'être utilisée ou consommée (point 45).
12. Il en résulte que le gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité doit être considéré comme un « producteur », au sens de l'article 1386-6, devenu 1245-5, alinéa 1er, du code civil, dès lors qu'il modifie le niveau de tension de l'électricité en vue de sa distribution au client final.
13. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
14. La société de l'Hippodrome et la société Aviva font le même grief à l'arrêt, alors « que le rapport d'expertise du cabinet Mahé dont il s'avère qu'est extraite la citation relevée par l'arrêt attaqué ne se "limite" pas à relever les constatations opérées par l'abonné mais, non seulement constate, après expertise des matériels sinistrés, que ceux-ci "présentent des condensateurs hors-service, phénomène consécutif à une surtension" et que "les matériels sinistrés présentent des impact[e]s de surtension", mais encore que "l'Earl du Vaujour a également subi des dommages électriques" et "M. et Mme [X] ne sont pas les seuls à avoir été touché[s] par cette surtension", de sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer, notamment par omission, l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer le document qui lui est soumis :
15. Pour rejeter les demandes d'indemnisation de la société de l'Hippodrome et de la société Aviva, l'arrêt retient que l'expert s'est limité à relever que l'abonné avait constaté un scintillement important au niveau de ses lumières intérieures, qu'il s'en est suivi une coupure de courant du secteur pour conclure que « les dommages avaient été causés par une surtension sur le réseau ERDF » et que ces affirmations, succinctes, générales et abstraites, ne permettent pas de déduire la preuve que la coupure d'électricité sur le réseau de la société Enedis est à l'origine des sinistres.
16. En statuant ainsi, alors que, dans son rapport, l'expert indiquait avoir « constaté que les matériels sinistrés présentent des impacts de surtension » et « expertisé les matériels sinistrés qui présentent des condensateurs hors-service, phénomène consécutif à une surtension », et qu'il relevait que la société de l'Hippodrome n'était pas la seule à avoir été touchée par cette surtension, la cour d'appel, qui a dénaturé par omission les termes clairs et précis de ce document, a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Enedis aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Enedis et la condamne à payer à la société de l'Hippodrome et à la société Aviva assurances la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.