LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 22-81.195 F-D
N° 00414
ECF
4 AVRIL 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 AVRIL 2023
M. [H] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 28 janvier 2022, qui, pour homicides involontaires, pratiques commerciales trompeuses et contraventions de blessures involontaires, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, 1 500 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Goanvic, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [H] [V], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de l'association « [4] et [I] », M. [G] [M], Mmes [A] [M], [E] [M], [T] [L], la fédération [3] et de la société Aéroport de [5], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Goanvic, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société [2] (la société), dont M. [H] [V] est le président, organise, pour des adolescents, des séjours touristiques itinérants aux Etats-Unis.
3. Lors de l'un de ces séjours en août 2009, une animatrice, employée de la société, a perdu le contrôle d'un véhicule transportant plusieurs adolescents. L'accident a causé la mort de deux passagères et occasionné des blessures à quatre autres.
4. M. [V] et la société ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs d'homicides involontaires, pratiques commerciales trompeuses et blessures involontaires ayant entraîné une incapacité inférieure à trois mois.
5. Le tribunal a notamment déclaré M. [V] coupable des infractions ci-dessus mentionnées, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et à 1 500 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
6. M. [V], des parties civiles et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches et sur les quatrième et cinquième moyens
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen et sur le deuxième moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches
Enoncé des moyens
8. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel fondée sur l'incompétence des juridictions répressives françaises, alors :
« 1°/ que les auteurs ou complices d'infractions commises hors du territoire de la République ne peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises si aucune convention internationale ne leur donne compétence et si la poursuite exercée à la requête du ministère public n'a pas été précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit, ou d'une dénonciation officielle de l'autorité du pays où le fait a été commis ; qu'une infraction est commise hors du territoire de la République lorsqu'aucun de ses faits constitutifs n'a eu lieu sur ce territoire ; qu'en considérant que les juridictions françaises auraient été compétentes pour connaître de l'ensemble des faits reprochés en raison du lieu de situation du siège social de la société [2] situé à [Adresse 1], quand il était constant et acquis au débat que les faits reprochés à M. [V] et pour lesquels il était poursuivi au titre des infractions d'homicide et blessures involontaires, de ne pas avoir fait respecter le principe du repos hebdomadaire, d'avoir permis le recrutement de Mme [D] et de ne pas avoir exigé la rédaction d'un projet pédagogique et la situation qu'il lui était reproché d'avoir créée ou d'avoir contribué à créer se sont matérialisés et étaient localisés aux Etats-Unis, la cour d'appel a violé les articles 689 du code de procédure pénale, 113-2, 113-6, 113-7 et 113-8 du code pénal, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale ;
2°/ que les juridictions répressives françaises sont compétentes pour connaître d'infractions commises à l'étranger qui entretiennent avec une infraction commise en France et relevant de la compétence des juridictions répressives françaises, un lien d'indivisibilité résultant de ce que les faits poursuivis sont rattachés entre eux par un lien tel que l'existence des uns ne pourrait se comprendre sans l'existence des autres ; qu'en considérant que les faits reprochés aux prévenus formeraient un tout indivisible de sorte que les juridictions françaises, en raison du lieu de situation du siège social de la société [2], seraient compétentes pour connaître de l'ensemble des faits qui leur sont reprochés dont ceux commis en partie à l'étranger, sans établir que l'existence des infractions d'homicide et de blessures involontaires, d'une part, ne pourraient se comprendre sans l'existence de l'infraction de pratiques commerciales trompeuses, d'autre part, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a violé les articles 689 du code de procédure pénale, 113-2, 113-6, 113-7 et 113-8 du code pénal, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »
9. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement déféré par motifs substitués, sur la déclaration de culpabilité de M. [V] s'agissant des faits d'homicides involontaires et de blessures involontaires, alors :
« 3°/ que les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, ne sont responsables pénalement que s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ; qu'en retenant, pour déclarer M. [V] coupable des chefs d'homicide et de blessures involontaires, un cumul de fautes commises dans l'organisation du séjour qui s'analyserait en une faute caractérisée imputable à M. [V] en sa qualité d'organisateur de séjour pour enfants et en l'absence de délégation de pouvoir, faute caractérisée en lien certain avec l'accident ayant entraîné la mort de [C] [M] et [I] [U] [N] et provoqué des blessures à [X] [P], [T] [L], [R] [Z] et [Y] [S], sans constater que M. [V] aurait eu connaissance du risque auquel il aurait exposé autrui, ou qu'il ne pouvait l'ignorer, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision et a violé les articles 221-6, R. 625-2, 121-3, alinéa 4, du code pénal, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que tout jugement ou arrêt doit être motivé et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; qu'en retenant à l'encontre de M. [V] un cumul de fautes commises dans l'organisation du séjour qui s'analyserait en une faute caractérisée qui aurait été en lien certain avec l'accident, après avoir constaté que l'accident avait été causé par l'état de fatigue extrême de la conductrice, sans répondre aux articulations essentielles des conclusions de M. [V], qui faisait valoir que le programme avait été modifié le 21 août 2009, impliquant de dormir sur une aire d'autoroute, sans que cette information ne soit transmise au siège de la société [2], comme l'avait relevé le rapport de l'inspection générale de la jeunesse et des sports, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, ne sont responsables pénalement que s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ; que cette faute caractérisée peut résulter d'une accumulation de négligences et imprudences mais à condition que chacune entretienne un lien de causalité certain avec le dommage ; qu'en considérant que le cumul de fautes reprochées à M. [V], s'analysant en faute caractérisée, aurait été en lien certain avec l'accident, après avoir constaté que celui-ci trouvait sa cause dans l'extrême fatigue de Mme [F] qui résultait de la cadence du séjour, des très longues périodes de conduite et du défaut de réservation de certains lieux de couchage et quand il s'évinçait des énonciations de l'arrêt que le programme du séjour, tel qu'il avait été élaboré à l'origine, permettait aux animateurs de bénéficier d'une journée de repos par semaine et ne prévoyait, pas des trajets de 1 000 km ou la conduite de nuit, encore moins des nuits passées sur une aire de station-service, ce dont il se déduisait nécessairement qu'aucun des faits reprochés à M. [V] - la circonstance que les contrats des animateurs ne mentionnaient pas leurs jours de repos, le recrutement de Mme [D], le fait qu'elle n'avait pas participé à une réunion de formation et l'absence d'établissement d'un projet éducatif – n'était une cause certaine de l'accident, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 221-6, R. 625-2, 121-3, alinéa 4, du code pénal, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale ».
Réponse de la Cour
10. Les moyens sont réunis
11. Pour écarter l'exception d'incompétence des juridictions françaises et déclarer le prévenu coupable d'homicides et blessures involontaires, l'arrêt attaqué énonce que les contrats d'engagement éducatif ne comportaient pas la mention des jours de repos et que le prévenu a reconnu que ceux de deux animateurs du séjour ne les mentionnaient pas, alors que, gérant depuis plusieurs années de sociétés chargées d'organiser des séjours pour enfants, M [V] ne pouvait ignorer l'existence de cette obligation légale en vigueur depuis 2006.
12. Les juges relèvent que, les 3 et 4 août 2009, M. [V], de permanence pour gérer les appels importants et les prises de décisions compliquées, qui aurait dû être avisé du courriel de démission de la directrice du séjour initialement embauchée, ce qui nécessitait un suivi attentif de son organisation, aucun des salariés de l'équipe ne disposant d'une délégation de pouvoirs, était injoignable en raison de sa participation à un trek au Kenya.
13. Ils retiennent qu'en ne donnant pas à la directrice du séjour les moyens nécessaires pour qu'elle puisse rédiger et transmettre un projet pédagogique, ce qui l'a empêchée de s'assurer de la faisabilité des trajets, des conditions de logement et de la répartition du temps de repos entre les animateurs, le prévenu a incontestablement commis une faute dans l'organisation du voyage, ces faits étant réputés commis au siège de la société, situé sur le territoire français.
14. Ils ajoutent, par motifs adoptés, que les animateurs témoignent tous de la fatigue accumulée depuis le début du voyage, notamment dès la deuxième nuit de conduite, avec quelques haltes pour se reposer en dormant dans des vans, après un voyage de onze heures en avion, en situation de décalage horaire et que, la veille de l'accident, le groupe, parti très tard avait improvisé un bivouac sur une aire d'autoroute.
15. Ils en déduisent qu'il est établi que l'accident a été causé par l'état de fatigue extrême de la conductrice résultant notamment de cadences difficiles, de très longues périodes de conduite et de l'absence de réservation de lieux de couchage.
16. Ils en concluent que ce cumul de fautes commises dans l'organisation du séjour s'analyse en une faute caractérisée imputable à M. [V], en sa qualité d'organisateur de séjour pour enfants, en lien certain avec l'accident.
17. En l'état de ces seules énonciations, desquelles il résulte que le prévenu a commis, au siège de la société situé en France, une faute caractérisée, exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
18. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement déféré, par motifs substitués, sur la déclaration de culpabilité de M. [V] du chef de pratiques commerciales trompeuses, alors « que le dirigeant d'une personne morale pour le compte de laquelle une pratique commerciale trompeuse a été mise en oeuvre ne peut être déclaré pénalement responsable s'il n'a pas personnellement participé à la réalisation de l'infraction ; qu'en déclarant M. [V] coupable de pratique commerciale trompeuse à raison de la mention d'une habilitation des séjours par la direction départementale de la jeunesse et des sports, sans constater qu'il avait personnellement participé à la réalisation de l'infraction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, en violation des articles L. 121-5 du code de la consommation, dans sa version issue de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
20. Pour déclarer le prévenu coupable de pratiques commerciales trompeuses, l'arrêt énonce que sont reprochées à M. [V] des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur l'identité, les qualités, les aptitudes ou les droits du professionnel, en l'espèce en alléguant, d'une part, que tous les animateurs des séjours étaient titulaires du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA) et, d'autre part, que les séjours bénéficiaient d'une habilitation et d'un agrément de la direction départementale de la jeunesse et des sports.
21. Les juges relèvent que l'enquête de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF) a établi que tous les animateurs n'étaient pas titulaires du BAFA au moment de leur embauche, contrairement à ce que la société faisait apparaître dans ses documents commerciaux.
22. Ils constatent, d'une part, que figurent dans l'éditorial du catalogue des séjours de l'été 2009 et sur la page d'accueil du site internet de la société, l'indication selon laquelle l'intégralité des animateurs des séjours était titulaire du BAFA et, d'autre part, que la mention de l'agrément de la direction départementale de la jeunesse et des sports apparaît dans les conditions générales de vente et sur le site internet où est indiqué que chaque séjour est déclaré auprès de cette direction, et dispose de son propre numéro d'habilitation.
23. Ils précisent que le terme habilitation sous-entend qu'une autorisation a été accordée, après un contrôle opéré par une instance décisionnaire, et qu'il s'agit d'une mention valorisante, plus forte dans l'esprit de la clientèle quant à la qualité et au sérieux des séjours organisés, ce que M. [V] savait pertinemment.
24. Ils ajoutent qu'il résulte de l'enquête de la DDCCRF que le prévenu était parfaitement informé de l'absence de déclaration et par suite de l'absence de numéro d'habilitation des séjours.
25. Ils retiennent que, contrairement à ses dires, il est établi que le prévenu a validé le catalogue « Eté 2009 » dont il a signé l'éditorial, choisissant de mettre en avant un taux de 100 % d'animateurs titulaires du BAFA alors qu'il n'était pas soumis à cette obligation, pour insister sur l'attention constante à la sécurité qu'il promouvait, ce niveau d'exigence affiché de recrutement étant de nature à rassurer les potentiels clients plus enclins à confier leurs enfants à un organisateur de séjour ayant un personnel d'encadrement diplômé et ce d'autant que M. [V] mettait en avant l'attention constante portée à la sécurité, dans un souci d'honnêteté et de transparence revendiqué.
26. Ils concluent que M. [V], président de la société, organisateur professionnel de séjours à destination de jeunes depuis de nombreuses années, connaissait les obligations lui incombant et a choisi en toute conscience de mettre en avant des allégations fausses afin d'inciter les clients à inscrire leurs enfants, ce qui a altéré de manière substantielle le comportement économique du consommateur sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service et sur les qualités et aptitudes des professionnels.
27. En l'état de ces énonciations, relevant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a justifié sa décision.
28. Dès lors, le moyen doit être écarté.
29. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [V] devra payer aux parties représentées par la SCP Célice, Texidor, Périer, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-trois.