LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 mars 2023
Cassation partielle sans renvoi
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 235 F-D
Pourvoi n° W 22-12.320
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 MARS 2023
La société SMA, venant aux droits de la Sagena, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° W 22-12.320 contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2021 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [L] [B],
2°/ à Mme [O] [T], épouse [B],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
3°/ à M. [R] [C], domicilié [Adresse 3], exerçant sous l'enseigne DMT Couverture,
4°/ à la société AG études, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], 5°/ à la société AG Pro, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Actibat,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société SMA, de la SARL Corlay, avocat de M. [C], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. et Mme [B], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société AG études, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 17 décembre 2021), M. et Mme [B] ont fait construire une maison d'habitation sous la maîtrise d'oeuvre de la société AG études.
2. Le lot « couverture-zinguerie » a été confié à M. [C], assuré auprès de la société Sagena, devenue SMA.
3. Après une expertise judiciaire, M. et Mme [B] ont assigné le maître d'oeuvre, l'entrepreneur et l'assureur aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et cinquième branches
Enoncé du moyen
4. La SMA fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société AG études et M. [C], à payer à M. et Mme [B] diverses sommes, alors :
« 1°/ que, si le contrat d'assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne peut comporter des clauses et exclusions autres que celles prévues par l'annexe I à l'article A. 243-1 du code des assurances, la garantie de l'assureur ne concerne que le secteur d'activité professionnelle déclaré par le constructeur ; que la Sma faisait valoir, dans ses conclusions, que l'activité de « couverture » déclarée par M. [C] à l'article 5 des conditions particulières ne portait que sur des « travaux courants de couverture », et que n'étaient donc pas inclus dans cette garantie les travaux dits de « couvertures plates », tels que la réalisation de toitures-terrasses, qui sont des travaux particuliers de couvertures, nécessitant une technique et une compétence bien spécifiques du couvreur, et relevant, dans la nomenclature Qualibat, de l'activité « étanchéité », non déclarée par M. [C] ; qu'elle se référait notamment aux constatations de l'expert judiciaire, qui avait mis en exergue cette spécificité par rapport aux travaux de couverture courants en indiquant que, « dans le cas de terrasses à pente nulle », les évacuations d'eaux pluviales devaient être réalisées avec « un décaissé », afin que « l'évacuation reste en point bas malgré la surépaisseur créée par la platine et la couche de renfort » ; que, pour néanmoins dire acquise la garantie de la Sma, la cour d'appel a énoncé que l'expert judiciaire indiquait que la cause principale de la rétention d'eau sur le toit-terrasse était un défaut général affectant l'évacuation des eaux pluviales, que la « pose d'éléments accessoires de couverture tel que : évacuation d'eaux pluviales » était une activité déclarée, et qu'il n'y avait pas lieu de rechercher si la réalisation de l'étanchéité du toit-terrasse était ou non garantie ; qu'en se bornant ainsi à constater la seule pose par M. [C] d'évacuations d'eaux pluviales, pour en déduire qu'il avait agi dans le cadre de l'activité garantie « couverture », qui incluait notamment cet élément, et en refusant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si les travaux confiés à l'entrepreneur, consistant en la réalisation d'une toiture-terrasse, nécessitant la mise en oeuvre de techniques et compétences spécifiques en matière d'étanchéité, et notamment s'agissant du positionnement des évacuations d'eaux pluviales, n'étaient pas exclus de l'activité « couverture », seule déclarée par le constructeur à la Sma, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 241-1, alinéa 1, et A. 243-1 du code des assurances ;
2°/ que, si le contrat d'assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne peut comporter des clauses et exclusions autres que celles prévues par l'annexe I à l'article A. 243-1 du code des assurances, la garantie de l'assureur ne concerne que le secteur d'activité professionnelle déclaré par le constructeur ; que la Sma faisait valoir, dans ses conclusions, que si des « travaux accessoires ou complémentaires d'étanchéité de technicité courante » étaient certes inclus dans la garantie « couverture » souscrite par M. [C], c'était à la condition que les feutres bitumés ou chapes souples mis en oeuvre soient collés pour la mise hors d'eau de bâtiments « limités à 150 m² par chantier » (article 5 des conditions particulières) et que, dans le descriptif des travaux réalisés par M. [C], le principal poste de travaux portait sur la pose d'une étanchéité bitumée SBS de Siplast pour une surface de 215 m², ce dont il résultait que le constructeur avait réalisé des travaux d'étanchéité à titre principal, et non accessoire ou complémentaire à son activité « couverture », portant de surcroît sur une surface supérieure à 150 m² par chantier, et qu'ils n'étaient donc pas compris dans la garantie de l'activité « couverture » déclarée par M. [C] ; que, pour néanmoins dire acquise la garantie de la Sma, la cour d'appel a énoncé qu'il résultait des constatations de l'huissier de justice que des « plaques goudronnées type shingle » avaient été posées, que les conditions particulières du contrat d'assurance visaient expressément l'activité de couverture, et « la mise en oeuvre de bardeaux bitumés », et qu'il n'y avait pas lieu de rechercher si la réalisation de l'étanchéité du toit-terrasse était ou non garantie et si la surface mise en oeuvre excédait ou non 150 m² ; qu'en se bornant ainsi à constater la pose par M. [C] de plaques goudronnées, pour en déduire qu'il avait agi dans le cadre de l'activité « couverture » garantie, qui incluait notamment la mise en oeuvre de bardeaux bitumés, et en refusant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si les travaux confiés à l'entrepreneur, consistant en la réalisation de l'étanchéité d'une toiture-terrasse à titre principal, et pour une surface supérieure à 150 m² par chantier, n'étaient pas exclus de l'activité « couverture », seule déclarée par le constructeur à la Sma, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles L. 241-1, alinéa 1, et A. 243-1 du code des assurances ;
5°/ que, si le contrat d'assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne peut comporter des clauses et exclusions autres que celles prévues par l'annexe I à l'article A. 243-1 du code des assurances, la garantie de l'assureur ne concerne que le secteur d'activité professionnelle déclaré par le constructeur ; qu'à supposer les motifs des premiers juges adoptés, pour dire acquise la garantie de la Sma, qui soutenait que les travaux réalisés n'entraient pas dans le champ de l'activité « couverture » déclarée par M. [C], la cour d'appel a énoncé que le devis annexé au contrat de marché de travaux passé entre les maîtres de l'ouvrage et la société Dmt (enseigne de M. [C]) visait des travaux de « couverture zinguerie » ; qu'en se limitant, pour apprécier la nature des travaux réalisés par M. [C], à se référer à l'intitulé du lot figurant sur le devis, accepté par les maîtres d'ouvrage, à savoir « couverture zinguerie », sans rechercher, comme l'y invitait la Sma, s'il ne résultait pas du descriptif de ces travaux mentionnés sur le devis que l'intervention de M. [C] portait sur des travaux d'étanchéité, l'objet principal des travaux étant la pose d'une « étanchéité » bitumée, quand la seule activité déclarée était celle de « couverture », laquelle n'incluait pas les travaux spécifiques de réalisation d'une toiture-terrasse, la cour d'appel a, une nouvelle fois, privé sa décision de base légale au regard des articles L. 241-1, alinéa 1, et A. 243-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 241-1 et A. 243-1 du code des assurances :
5. Il résulte de ces textes que, si le contrat d'assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne peut comporter des clauses et exclusions autres que celles prévues par l'annexe I à l'article A. 243-1 du code des assurances, la garantie de l'assureur ne concerne que le secteur d'activité professionnelle déclaré par le constructeur.
6. Pour condamner l'assureur à indemniser les maîtres de l'ouvrage, l'arrêt retient que le marché conclu avec l'entrepreneur assuré avait pour objet le lot « couverture-zinguerie », qu'un huissier de justice a constaté la pose de « plaques goudronnées type shingle » et que l'activité de couverture était expressément visée aux conditions particulières du contrat d'assurance, de même que la « la mise en oeuvre de bardeaux bitumés ».
7. Il ajoute que selon l'expert judiciaire, la cause principale de la rétention d'eau sur le toit-terrasse est un défaut général affectant l'évacuation des eaux pluviales et que la « pose d'éléments accessoires de couverture tels que « évacuation d'eaux pluviales » est une activité déclarée.
8. Il en déduit que la société SMA doit sa garantie sans qu'il y ait lieu de rechercher si la réalisation de l'étanchéité du toit-terrasse était ou non garantie et si la surface mise en oeuvre excédait ou non 150 m².
9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que, nonobstant l'intitulé du marché, les travaux n'étaient pas des travaux de couverture mais portaient sur la réalisation de l'étanchéité d'une toiture terrasse, qui, nécessitant des techniques et compétences spécifiques, relèvent d'une activité distincte, que la mise en oeuvre de bardeaux bitumés n'était garantie que si elle intervenait pour les besoins de travaux de couverture et que la pose d'évacuations d'eaux pluviales n'était couverte que s'il s'agissait d'éléments accessoires de couverture, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. La cassation des condamnations prononcées contre la SMA n'atteint pas celles prononcées in solidum contre M. [C] et la société AG études.
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
13. Les travaux exécutés par M. [C] ne consistaient pas en des travaux de couverture mais en des travaux d'étanchéité d'une toiture terrasse, activité distincte nécessitant des techniques et compétences spécifiques, peu important l'emploi de certains matériaux ou la pose de certains éléments accessoires non spécifiques. L'activité principale d'étanchéité de toitures terrasses ne fait pas partie des activités déclarées du contrat d'assurance décennale souscrit auprès de la société Sagena, devenue SMA.
14. Ils ne consistaient pas, par ailleurs, en des travaux accessoires ou complémentaires d'étanchéité courante d'une surface inférieure à 150 m² visés par le contrat d'assurance, puisqu'ils excédaient cette surface et constituaient l'objet principal du marché.
15. Dans ces conditions, les dommages ne sont pas couverts par le contrat d'assurance souscrit par M. [C] et les demandes formées contre la SMA doivent être rejetées.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- Condamne la SMA à payer à M. et Mme [B] les sommes de :
* 51 155,09 euros HT, montant indexé en application de l'indice BT01 applicable à la date des futurs travaux par rapport à celui qui était en vigueur en février 2016 outre la TVA applicable au moment de la réalisation des travaux, au titre des travaux de reprise d'étanchéité ;
* 6 270 euros au titre des travaux conservatoires de couverture ;
* 11 179,72 euros TTC au titre des travaux de remise en état de l'intérieur de l'habitation après nouvelles infiltrations ;
- Condamne la SMA à payer à M. et Mme [B] une somme de 25 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance, incluant la période de travaux de reprise à venir, avec intérêts de retard au taux légal à compter de l'arrêt ;
- Condamne la SMA à payer à M. et Mme [B] une somme de 15 000 euros en réparation de leur préjudice moral, avec intérêts de retard au taux légal à compter de l'arrêt ;
- Condamne la SMA à payer à M. et Mme [B] une somme de 36 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la SMA aux dépens de première instance et d'appel ;
l'arrêt rendu le 17 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette les demandes formées contre la SMA ;
Rejette les demandes formées par la SMA devant les juges du fond sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu de condamner la SMA aux dépens de première instance et d'appel ;
Dit n'y avoir lieu de modifier les autres dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles exposés devant les juges du fond ;
Condamne M. et Mme [B] aux dépens exposés devant la Cour de cassation ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées devant la Cour de cassation ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente mars deux mille vingt-trois.