LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 mars 2023
Cassation partielle
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 320 F-B
Pourvoi n° E 21-18.488
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 MARS 2023
1°/ [Adresse 3], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ M. [F] [O],
3°/ Mme [Y] [O],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° 21-18.488 contre l'arrêt rendu le 24 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 2), dans le litige les opposant :
1°/ au GAEC de la Gouhourie, groupement agricole d'exploitation en commun, dont le siège est [Localité 2], pris en la personne de ses liquidateurs, M. [I] [X] et Mme [Z] [P], épouse [X],
2°/ à la société Allianz IARD, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société AGF IART,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société [Adresse 3] et de M. et Mme [O], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz IARD, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 février 2021), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 23 mars 2017, pourvoi n° 16-10.092, rectifié par arrêts du 5 octobre 2017 et du 8 mars 2018), en février 2004, les plans d'eau appartenant à M. et Mme [O], sur lesquels la société [Adresse 3] (la société LMG) exploite un parcours de pêche, ont subi une pollution dont, par un jugement d'un tribunal de grande instance, le groupement agricole d'exploitation en commun de la Gouhourie (le GAEC), assuré auprès de la société AGF, devenue la société Allianz IARD (l'assureur), a été déclaré responsable.
2. Se fondant sur le rapport de l'expertise judiciaire qui avait été ordonnée, la société LMG et M. et Mme [O] ont assigné le GAEC et son assureur afin d'obtenir leur indemnisation devant un tribunal de grande instance. Après que, par un premier arrêt du 26 octobre 2010, une cour d'appel avait statué sur l'indemnisation de certains de leurs préjudices, le GAEC et son assureur se sont désistés du pourvoi qu'ils avaient formé à son encontre.
3. Après dépôt d'un nouveau rapport d'expertise, l'instance s'est poursuivie sur l'indemnisation des pertes d'exploitation subies par la société LMG.
4. L'arrêt ayant statué sur ces préjudices, en retenant que l'assureur avait renoncé à se prévaloir du plafond de garantie et de la franchise prévus au contrat souscrit par le GAEC, a été cassé.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société LMG et M. et Mme [O] font grief à l'arrêt de dire que l'assureur est fondé à leur opposer le plafond de garantie et l'application de la franchise contractuelle et de les condamner à restituer les sommes perçues supérieures au plafond de garantie moins la franchise soit 304 400 euros, alors « que l'autorité de chose jugée ne s'attache qu'au dispositif d'une décision et non à ses motifs ; que, pour retenir que l'assureur n'aurait pas renoncé à se prévaloir du plafond de garantie et de la franchise stipulés dans la police d'assurance, la cour d'appel a jugé qu'il aurait été « définitivement jugé » par l'arrêt de cassation du 23 mars 2017 que cette renonciation ne pouvait résulter du règlement des indemnités d'assurance dont le montant était largement plus élevé que la garantie prévue au contrat ; qu'en conférant ainsi une autorité de chose jugée aux motifs de l'arrêt de la Cour de cassation, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu article 1355, du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Après avoir exactement retenu que le fait, pour l'assureur, d'avoir effectué, sur exécution forcée, des paiements excédant le plafond de garantie, alors que des condamnations étaient intervenues à son encontre, n'établit pas sa renonciation non équivoque à opposer ce plafond de garantie, l'arrêt en déduit que l'assureur est fondé à l'opposer aux tiers et à faire application de la franchise contractuelle.
8. Le moyen, qui s'attaque à des motifs surabondants, n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. La société LMG et M. et Mme [O] font grief à l'arrêt de les condamner à restituer les sommes perçues supérieures au plafond de garantie moins la franchise soit 304 400 euros, alors « que la condamnation de la victime d'un dommage à restituer l'indemnité versée par l'assureur du responsable s'analyse en une répétition qui ne peut qu'être subordonnée à la démonstration de son caractère indu ; que tel n'est pas le cas du paiement reçu de l'assureur de responsabilité civile par la victime au titre de la créance indemnitaire qu'elle détient sur son assuré, qui est le vrai bénéficiaire de ce paiement et à l'encontre duquel l'assureur dispose exclusivement d'une action en répétition ; qu'en condamnant la société LMG et M. et Mme [O] à restituer à l'assureur du GAEC, responsable de leurs dommages, les indemnités qu'il leur avait versées pour les parties dépassant le plafond de garantie et le plancher de la franchise contractuelle au motif inopérant que ces limitations de garantie sont opposables aux tiers et bien que ces paiements n'aient aucun caractère indu à leur égard, la cour d'appel a violé l'article 1376, nouvellement 1302-1, du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
10. L'assureur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que ce moyen, qui est nouveau, est incompatible avec l'argumentation présentée en appel par la société LMG qui ne contestait pas devoir, le cas échéant, les sommes indûment perçues.
11. Cependant, ce moyen, qui tend à obtenir le rejet de la demande de restitution des sommes versées par l'assureur au-delà du plafond de garantie n'est pas incompatible avec celui soutenu, à titre principal, par la société LMG et M. et Mme [O] selon lequel l'assureur ne peut obtenir la restitution de ces sommes pour avoir renoncé à opposer ce plafond de garantie.
12. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1376, devenu 1302-1, du code civil :
13. Il résulte de ce texte que celui qui reçoit d'un assureur le paiement d'une indemnité à laquelle il a droit, ne bénéficie pas d'un paiement indu, le bénéficiaire de ce paiement étant celui dont la dette se trouve acquittée par quelqu'un qui ne la doit pas.
14. Pour condamner la société LMG et M. et Mme [O] à restituer les sommes perçues supérieures au plafond de garantie moins la franchise, soit 304 400 euros, l'arrêt énonce qu'il n'est pas établi que l'assureur a renoncé de manière non équivoque à se prévaloir de ce plafond.
15. Il ajoute que le GAEC ne démontre aucune faute de son assureur dans la direction du procès, de nature à engager sa responsabilité à son égard, et que c'est, en conséquence, à bon droit que l'assureur oppose, tant à son assuré qu'aux tiers lésés, le plafond de garantie et la franchise prévus au contrat.
16. En statuant ainsi, alors que la condamnation du GAEC à réparer le dommage des tiers lésés à une somme excédant ce plafond de garantie n'avait pas été remise en cause et que ce groupement était l'unique bénéficiaire du paiement indu, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société [Adresse 3] et M. et Mme [O] à restituer à la société Allianz IARD les sommes perçues supérieures au plafond de garantie moins la franchise soit 304 400 euros, l'arrêt rendu le 24 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.
Condamne la société Allianz IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Allianz IARD et la condamne à payer à la société [Adresse 3] et à M. et Mme [O] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente mars deux mille vingt-trois.