LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 29 mars 2023
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 322 F-D
Pourvoi n° X 21-13.628
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [U].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 janvier 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 MARS 2023
M. [J] [U], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 21-13.628 contre l'arrêt rendu le 13 novembre 2019 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à la société [M], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], représentée par M. [H] [M], liquidateur, en qualité de liquidateur amiable, domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cavrois, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [U], de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société [M], après débats en l'audience publique du 8 février 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Cavrois, conseiller rapporteur, M. Flores, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 13 novembre 2019), M. [U] a été engagé, en qualité d'ouvrier du bâtiment par un contrat de travail à effet du 27 novembre 2006, par la société [M].
2. Par lettre du 27 septembre 2012, le salarié a indiqué qu'il était démissionnaire et qu'il n'avait pas été rempli de l'intégralité de ses droits notamment en matière de déplacements et de temps de travail.
3. Licencié pour inaptitude le 16 mai 2013, il a saisi la juridiction prud'homale le 14 juin 2013.
4. Le 27 juin 2013, la société [M] a fait l'objet d'une dissolution anticipée puis, d'une liquidation amiable, M. [M] étant désigné liquidateur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour la mention d'acomptes erronés sur les bulletins de paie, alors :
« 1°/ qu'en ne répondant pas au moyen du salarié selon lequel l'employeur lui versait des acomptes en espèces dont les montants étaient inférieurs à ceux mentionnés sur les bulletins de paie, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il appartient à l'employeur de prouver le paiement du salaire qu'il invoque, notamment par la production de pièces comptables ; qu'en retenant, par motifs adoptés, qu'aucun élément du dossier ne permet de déterminer précisément les sommes prétendument détournées et/ou erronées, la cour d'appel a violé l'article 1315, devenu 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel n'ayant, ni dans les motifs, ni dans le dispositif de sa décision, statué sur ce chef de demande, le moyen dénonce en réalité une omission de statuer qui, pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, ne donne pas ouverture à cassation.
8. En conséquence, le moyen n'est pas recevable.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, alors « que la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifiaient ou dans le cas contraire en une démission ; qu'en énonçant qu'il convient d'examiner la légitimité du licenciement ultérieurement prononcé après avoir pourtant constaté que la lettre de démission faisait état de différends liés aux droits du salarié, que le salarié n'a pas manifesté sa volonté de démissionner en termes clairs et dépourvus de la moindre ambiguïté et qu'il n'a pas entendu rompre les relations contractuelles par l'effet d'une démission, ce dont il résultait que la démission devait s'analyser en une prise d'acte et qu'il appartenait au juge de vérifier si celle-ci produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'une démission, la cour d'appel a violé les articles L. 1237-1, L. 1234-1 et L. 1231-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
10. Lorsqu'un salarié argue du caractère équivoque de sa démission, non à raison de l'existence d'un différend, antérieur ou concomitant de sa démission, qui permettrait de l'analyser en une prise d'acte de la rupture, mais au motif de la contrainte ayant vicié son consentement, le juge ne peut analyser cette démission en prise d'acte.
11. Après avoir constaté que, dans une lettre du 7 décembre 2012 adressée après que l'employeur lui avait demandé de préciser sa volonté de démission, le salarié avait clairement indiqué à son employeur qu'il n'avait pas souhaité démissionner, que sa lettre du 17 septembre 2012 était un acte impulsif et qu'il sollicitait de l'employeur des mesures de conciliation envisageant la résolution de leurs conflits par accord amiable, la cour d'appel a retenu que la démission, qui était équivoque, avait été rétractée.
12. En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a décidé à bon droit que la relation de travail n'avait pas été rompue par l'effet d'une démission du salarié et qu'il convenait en conséquence d'examiner le bien-fondé du licenciement.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
14. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de rappel de temps de travail effectif au titre des trajets du lundi matin, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences énoncées à l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail et à l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ; que pour rejeter la demande du salarié au titre des temps de trajet accomplis les lundis matin à partir de 5 heures pour se rendre sur les chantiers depuis le siège de l'entreprise, la cour d'appel a retenu que le calcul basé sur une durée mensuelle théorique est insuffisant pour étayer sa demande, qu'il ne produit aucune précision sur les chantiers réalisés et leur situation géographique permettant à l'employeur d'apporter des éléments précis sur le temps de trajet revendiqué et que la teneur de la seule attestation versée est insuffisamment circonstanciée pour établir un décompte basé sur la simple amplitude de travail ; qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur pouvait répondre utilement en produisant ses propres éléments et que ce dernier n'avait fourni aucun élément propre au salarié justifiant les horaires effectivement réalisés, la cour d'appel qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
15. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
16. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
17. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
18. Pour débouter le salarié de sa demande de rappel de salaire au titre des temps de travail effectif pour les trajets du lundi matin, l'arrêt, après avoir constaté qu'il n'était pas utilement contesté que le salarié devait nécessairement se rendre au siège de l'entreprise pour être pris en charge par le chef d'équipe et être véhiculé sur les différents chantiers auxquels il était affecté, retient que le salarié indique avoir travaillé quarante-sept lundis par an et qu'il n'a pas été rémunéré pour les horaires effectués ces lundis entre 5 heures 30 et 9 heures qu'en conséquence, la société lui est redevable de 167 heures 50 par an majorées de 25 % au titre des heures supplémentaires.
19. L'arrêt ajoute que le calcul basé sur une durée mensuelle théorique est insuffisant pour étayer une demande de rappel d'heures supplémentaires, que le salarié ne produit aucune précision sur les chantiers réalisés et leur situation géographique permettant à l'employeur d'apporter des éléments sur le temps de trajet revendiqué et la teneur de la seule attestation versée est insuffisamment circonstanciée pour établir un décompte basé sur la simple amplitude de travail.
20. L'arrêt en déduit que le salarié n'étaye pas suffisamment sa demande d'heures supplémentaires.
21. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le salarié de sa demande de rappel de salaire pour temps de travail effectif au titre des trajets du lundi matin, l'arrêt rendu le 13 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la société [M], prise en la personne de son liquidateur amiable M. [M], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [M] et condamne, M. [M], ès qualités, à payer à la SCP Thouvenin, Coudray et Lévy la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mars deux mille vingt-trois.