LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 mars 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 217 F-D
Pourvoi n° W 21-22.344
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 MARS 2023
M. [J] [R], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° W 21-22.344 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2021 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [I] [F], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à Mme [Z] [T], domiciliée [Adresse 6],
3°/ à Mme [C] [T], domiciliée [Adresse 9],
4°/ à Mme [A] [D], domiciliée [Adresse 3],
5°/ à M. [Y] [S], domicilié [Adresse 8],
6°/ à Mme [E] [U], domiciliée [Adresse 5],
7°/ à la commune de [Localité 11], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en l'[Adresse 10],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [R], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la commune de [Localité 11], après débats en l'audience publique du 7 février 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, Mme Andrich, conseiller, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 8 juin 2021), la commune de [Localité 11] (la commune), propriétaire d'un chemin cadastré XC n° [Cadastre 7], a assigné en bornage judiciaire les propriétaires des parcelles contiguës, dont celle appartenant à M. [R], cadastrée XC n° [Cadastre 2].
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
2. M. [R] fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action en bornage engagée par la commune, alors :
« 1°/ qu'est irrecevable une demande en bornage si un bornage a déjà eu lieu ; que la cour d'appel a retenu, pour déclarer que la demande en bornage était recevable, après avoir pourtant constaté qu' « il exist(ait) effectivement deux bornes, identifiées A (à l'Ouest) et B (à l'Est) » ayant « été posées à l'issue du remembrement de la commune, clôturé par un procès-verbal du 10 juillet 1973 », que la distance entre elles était « de plus de 85 mètres, sans borne intermédiaire, alors qu'il exist(ait) un talus, qui n'(était) pas rectiligne dans la zone à borner » ; qu'en statuant ainsi, sans constater que la limite entre les fonds, telle qu'elle résultait des opérations de bornage antérieures, était incertaine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 646 du code civil ;
2°/ qu'est irrecevable une demande en bornage si un bornage a déjà eu lieu ; qu'en retenant, pour déclarer recevable la demande en bornage de la commune, l'existence d'un « désaccord sur la position de la limite nord du chemin », lorsqu'un simple désaccord survenu entre les propriétaires de deux fonds voisins sur un bornage antérieur ne saurait rendre recevable l'action en bornage intentée par l'un d'eux, la cour d'appel a violé l'article 646 du code civil. »
Réponse de la Cour
3. En premier lieu, la cour d'appel a constaté, par motifs propres et adoptés, d'une part, que le plan de remembrement sur lequel l'expert s'était fondé ne comportait aucune cote permettant de connaître, au-delà de ses extrémités, la largeur du chemin correspondant à la parcelle XC n° [Cadastre 7] et, d'autre part, qu'entre les deux bornes implantées lors des opérations clôturées par le procès-verbal du 10 juillet 1973, la ligne divisoire, non rectiligne, n'avait été matérialisée par aucune borne intermédiaire.
4. En second lieu, par motifs adoptés, elle a relevé, d'abord, que le chemin avait été élargi au sud après la démolition du talus situé au nord des parcelles appartenant à des propriétaires riverains, lequel était représenté sur le plan de remembrement et déterminait la largeur du chemin, et, ensuite, que des clôtures avaient été édifiées dont l'une par M. [R], au sud de sa parcelle, au-delà des limites issues du remembrement.
5. Elle a, par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux critiqués par la deuxième branche, qui sont surabondants, suffisamment caractérisé l'incertitude de la limite séparative des parcelles litigieuses située entre les deux bornes implantées lors des opérations de remembrement et a, ainsi, légalement justifié sa décision de ce chef.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. M. [R] fait grief à l'arrêt d'homologuer le rapport de l'expert judiciaire du 18 octobre 2018 et d'ordonner le bornage conformément à ses conclusions, alors « qu'une juridiction de l'ordre judiciaire ne peut remettre en cause les limites définies dans le cadre d'un remembrement dont les opérations ont été clôturées et que la clôture de ces opérations emporte transfert des droits de propriété de la parcelle comprise dans le périmètre de l'aménagement ; qu'en homologuant le rapport d'expertise et en ordonnant un nouveau bornage, conforme à ses conclusions, outre la condamnation de M. [R] à retirer sa clôture, la cour d'appel a remis en cause les limites séparatives qui résultaient du plan de remembrement et violé l'article 13 de la loi du 16-24 août 1790 et les articles L. 123-12 et L. 123-16 du code rural. »
Réponse de la Cour
7. Ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que, pour fixer la limite de propriété, l'expert s'était fondé, d'une part, sur les seules cotes du plan minute coté de la section XC établi lors des opérations de remembrement pour vérifier l'implantation des bornes et fixer la largeur du chemin, d'autre part, contrairement à ce que soutenait M. [R] dans ses conclusions d'appel, sur les points A et B correspondant aux deux seules bornes implantées lors de ces opérations, la cour d'appel a souverainement retenu, sans méconnaître le principe de séparation des pouvoirs des autorités administratives et judiciaires, que la ligne divisoire proposée par l'expert, qui ne contredisait pas les limites issues du remembrement, pouvait être homologuée.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. M. [R] fait grief à l'arrêt de le condamner à enlever sa clôture de la parcelle XC n° [Cadastre 7], alors « que l'action en bornage a seulement pour effet de fixer les limites des fonds contigus ; que la cour d'appel s'est fondée sur le seul rapport de l'expert judiciaire, rendu dans le cadre d'une action en bornage, pour retenir que la clôture édifiée par M. [R] empiétait sur la parcelle de la commune de [Localité 11] et le condamner sous astreinte, à la retirer ; qu'en statuant ainsi, sans avoir attribué la propriété de la portion de terrain sur laquelle se trouvait la clôture litigieuse, la cour d'appel a violé les articles 544 et 646 du code civil. »
Réponse de la cour
Vu les articles 544 et 646 du code civil :
10. Il résulte de ces textes que l'action en bornage a seulement pour effet de fixer les limites des fonds contigus sans attribuer la propriété des terrains.
11. Pour condamner M. [R] à enlever sa clôture, l'arrêt retient qu'il résulte du rapport d'expertise et d'un procès-verbal de la police municipale que celui-ci a implanté quatre poteaux en béton, scellés au sol, sur le chemin appartenant à la commune, reliés par un ruban de signalisation et formant une ligne de clôture, qui empiètent sur la parcelle XC n° [Cadastre 7].
12. En se déterminant ainsi, alors que l'action en bornage dont elle était saisie avait seulement eu pour effet de fixer les limites des fonds contigus, sans statuer au préalable sur la propriété de la portion de terrain sur laquelle se trouvaient les quatre poteaux implantés par M. [R], la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [R] à enlever la clôture de la parcelle XC n° [Cadastre 7] avec remise en état des lieux à sa charge, à peine d'astreinte de 30 euros par jour de retard, l'arrêt rendu le 8 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne la commune de [Localité 11] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [R].
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. [R]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [R] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable l'action en bornage engagée par la commune de [Localité 11], puis d'avoir rejeté sa demande de nouvelle expertise, homologué le rapport de l'expert judiciaire du 18 octobre 2018, ordonné le bornage conformément à ses conclusions et de l'avoir condamné à retirer sa clôture, sous peine d'astreinte de 30 euros par jour de retard à compter du trentième jour à compter de la signification du jugement du 9 mai 2019, avec remise en état des lieux ;
ALORS QU' est irrecevable une demande en bornage si un bornage a déjà eu lieu ; que la cour d'appel a retenu, pour déclarer que la demande en bornage était recevable, après avoir pourtant constaté qu' « il exist(ait) effectivement deux bornes, identifiées A (à l'Ouest) et B (à l'Est) » ayant « été posées à l'issue du remembrement de la commune, clôturé par un procès verbal du 10 juillet 1973 », que la distance entre elles était « de plus de 85 mètres, sans borne intermédiaire, alors qu'il exist(ait) un talus, qui n'(était) pas rectiligne dans la zone à borner » ; qu'en statuant ainsi, sans constater que la limite entre les fonds, telle qu'elle résultait des opérations de bornage antérieures, était incertaine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 646 du code civil ;
ALORS QU' est irrecevable une demande en bornage si un bornage a déjà eu lieu ; qu'en retenant, pour déclarer recevable la demande en bornage de la commune, l'existence d'un « désaccord sur la position de la limite nord du
chemin », lorsqu'un simple désaccord survenu entre les propriétaires de deux fonds voisins sur un bornage antérieur ne saurait rendre recevable l'action en bornage intentée par l'un d'eux, la cour d'appel a violé l'article 646 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)M. [R] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir rejeté sa demande de nouvelle expertise, homologué le rapport de l'expert judiciaire du 18 octobre 2018, ordonné le bornage conformément à ses conclusions et de l'avoir condamné à retirer sa clôture, sous peine d'astreinte de 30 euros par jour de retard à compter du trentième jour à compter de la signification du jugement du 9 mai 2019, avec remise en état des lieux ;
ALORS QU' une juridiction de l'ordre judiciaire ne peut remettre en cause les limites définies dans le cadre d'un remembrement dont les opérations ont été clôturées et que la clôture de ces opérations emporte transfert des droits de propriété de la parcelle comprise dans le périmètre de l'aménagement ; qu'en homologuant le rapport d'expertise et en ordonnant un nouveau bornage, conforme à ses conclusions, outre la condamnation de M. [R] à retirer sa clôture, la cour d'appel a remis en cause les limites séparatives qui résultaient du plan de remembrement et violé l'article 13 de la loi du 16-24 août 1790 et les articles L. 123-12 et L. 123-16 du code rural.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)M. [R] fait grief à l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, de l'avoir condamné à enlever sa clôture de la parcelle XC [Cadastre 7] avec remise en état des lieux à sa charge, à peine d'astreinte de 30 euros par jour de retard ;
ALORS QUE l'action en bornage a seulement pour effet de fixer les limites des fonds contigus ; que la cour d'appel s'est fondée sur le seul rapport de l'expert judiciaire, rendu dans le cadre d'une action en bornage, pour retenir
que la clôture édifiée par M. [R] empiétait sur la parcelle de la commune de [Localité 11] et le condamner sous astreinte, à la retirer ; qu'en statuant ainsi, sans avoir attribué la propriété de la portion de terrain sur laquelle se trouvait la clôture litigieuse, la cour d'appel a violé les articles 544 et 646 du code civil.