LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 mars 2023
Rejet
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 207 F-D
Pourvoi n° B 21-21.015
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 MARS 2023
Mme [G] [H], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 21-21.015 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2021 par la cour d'appel de Colmar (2e chambre civile), dans le litige l'opposant au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tostain, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [H], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, après débats en l'audience publique du 24 janvier 2023 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Tostain, conseiller référendaire rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 9 juin 2021), Mme [H] est propriétaire de parts dans la société à responsabilité limitée LC Invest, laquelle détient notamment un immeuble qu'elle a, le 31 mai 2010, donné non meublé en location à la société Hôtel de France, qui y exploite un hôtel.
2. Le 19 juin 2017, l'administration fiscale a notifié à Mme [H] une proposition de rectification de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour les années 2011 à 2015 portant réintégration dans l'assiette imposable de la fraction de la valeur de ses parts dans la société LC Invest correspondant à cet l'immeuble, au motif qu'elle ne constituait pas, selon les dispositions des articles 885 N et 885 O ter du code général des impôts, un bien professionnel exonéré.
3. Après le rejet de sa réclamation contentieuse, Mme [H], soutenant notamment que l'activité de la société LC Invest portant sur l'immeuble donné en location à la société Hôtel de France était commerciale sur le plan fiscal, en ce que les locaux étaient, du fait de leur location à un exploitant hôtelier, destinés à être loués meublés, a assigné l'administration fiscale en annulation de la procédure de rectification et en décharge des impositions mises en recouvrement.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [H] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a confirmé en son principe la décision du 26 juin 2018 de rejet de sa réclamation contentieuse, et a rejeté sa demande tendant à prononcer la décharge de la totalité des suppléments d'ISF, en principal, majorations et intérêts, relatifs aux années 2011 à 2015, alors :
« 1°/ que le juge doit respecter et faire respecter le principe de la contradiction ; qu'il ne peut relever d'office un moyen sans solliciter les observations des parties ; qu'en l'espèce, ni Mme [H] ni le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris n'avaient contesté la possibilité d'appliquer l'article 885 R du code général des impôts aux baux commerciaux ; qu'en énonçant, après avoir rappelé les termes de l'article 885 R du code général des impôts qu'"en l'espèce, il ne s'agit pas d'un bail d'habitation mais d'un bail commercial, de sorte que ces dispositions ne sont pas applicables", la cour d'appel, qui a relevé un moyen d'office sans provoquer les observations des parties, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que l'article 885 R du code général des impôts qualifie de biens professionnels au titre de l'ISF "les locaux d'habitation loués meublés ou destinés à être loués meubles par des personnes louant directement ou indirectement ces locaux (?) inscrites au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueurs professionnels" ; que cette disposition ne suppose pas que le bail soit un bail d'habitation et non un bail commercial ; qu'en estimant au contraire, pour juger que l'article 885 R du code général des impôts n'était pas applicable aux locaux donnés en location par la société LC Invest à la société Hôtel de France, que l'article 885 R du code général des impôts n'était applicable qu'aux baux d'habitation et non aux baux commerciaux, la cour d'appel a violé l'article 885 R du code général des impôts, dans sa version en vigueur jusqu'au 1er janvier 2018, applicable à la cause ;
3°/ que l'article 885 R du code général des impôts qualifie de biens professionnels au titre de l'ISF "les locaux d'habitation loués meublés ou destinés à être loués meublés par des personnes louant directement ou indirectement ces locaux" ; que le texte englobe ainsi, au titre des biens professionnels, les locaux donnés à bail nus par le propriétaire mais dont la destination finale est d'être loués meublés, peu important que le propriétaire du mobilier ne soit alors pas le bailleur ; que la cour d'appel a constaté que si les locaux litigieux avaient été donnés à bail non meublés par la société LC Invest à la société Hôtel de France, les mêmes locaux devaient nécessairement être meublés pour être exploités par la société Hôtel de France, laquelle était un hôtel de tourisme classé ; qu'en jugeant néanmoins qu'ils ne constituaient pas des biens professionnels au sens de l'article 885 R du code général des impôts, la cour d'appel a violé ce texte, dans sa version en vigueur jusqu'au 1er janvier 2018, applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
5. En premier lieu, selon l'article 885 R du code général des impôts, alors applicable, sont considérés comme des biens professionnels au titre de l'ISF les locaux d'habitation loués meublés ou destinés à être loués meublés par des personnes louant directement ou indirectement ces locaux, qui, inscrites au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueurs professionnels, réalisent plus de 23 000 euros de recettes annuelles et retirent de cette activité plus de 50 % des revenus à raison desquels le foyer fiscal auquel elles appartiennent est soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles, bénéfices non commerciaux, revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62 du même code.
6. Au sens de ce texte, seuls sont susceptibles de constituer des biens professionnels non pris en compte dans l'assiette de l'ISF les locaux qui sont loués meublés ou qui sont destinés à être loués après avoir été meublés par les soins du bailleur, et non les locaux qui, loués nus, ont vocation à être meublés par le locataire.
7. Le grief de la troisième branche, qui soutient le contraire, n'est donc pas fondé.
8. En second lieu, il résulte de l'article 885 N du code général des impôts, alors applicable, que seuls sont considérés comme des biens professionnels ceux nécessaires à l'exercice, à titre principal, tant par leur propriétaire que par le conjoint de celui-ci, d'une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
9. En outre, aux termes de l'article 885 O ter du même code, alors applicable, seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société est considérée comme un bien professionnel.
10. Après avoir constaté que Mme [H] n'était ni associée ni dirigeante de la société Hôtel de France, l'arrêt retient que l'immeuble en cause a été loué non meublé à cette dernière.
11. En l'état de ces seuls motifs, desquels il ressort que la location de l'immeuble à la société Hôtel de France constituait, pour la société LC Invest, une activité civile par nature comme n'excédant pas la gestion de son patrimoine, la cour d'appel a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les première et deuxième branches, légalement justifié sa décision de retenir que la fraction de la valeur des parts de la société LC Invest correspondant à l'immeuble en cause ne pouvait être considérée comme un bien professionnel exonéré de l'ISF.
12. Le moyen, inopérant en ses première et deuxième branches, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [H] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [H] et la condamne à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour Mme [H].
Mme [G] [H] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du 17 octobre 2019 du tribunal de grande instance de Strasbourg en ce qu'il a confirmé en son principe la décision du 26 juin 2018 de rejet de sa réclamation contentieuse, et rejeté sa demande tendant à prononcer la décharge de la totalité des suppléments d'imposition sur la fortune, en principal, majorations et intérêts, relatifs aux années 2011 à 2015,
Alors que 1°), le juge doit respecter et faire respecter le principe de la contradiction ; qu'il ne peut relever d'office un moyen sans solliciter les observations des parties ; qu'en l'espèce, ni Mme [H] ni le Directeur Régional des Finances Publiques d'Ile-de-France et de Paris n'avaient contesté la possibilité d'appliquer l'article 885 R du code général des impôts aux baux commerciaux ; qu'en énonçant, après avoir rappelé les termes de l'article 885 R du code général des impôts qu' « en l'espèce, il ne s'agit pas d'un bail d'habitation mais d'un bail commercial, de sorte que ces dispositions ne sont pas applicables » (arrêt, p. 7 § 8), la cour d'appel, qui a relevé un moyen d'office sans provoquer les observations des parties, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
Alors que 2°), l'article 885 R du code général des impôts qualifie de biens professionnels au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune « les locaux d'habitation loués meublés ou destinés à être loués meubles par des personnes louant directement ou indirectement ces locaux (?) inscrites au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueurs professionnels » ; que cette disposition ne suppose pas que le bail soit un bail d'habitation et non un bail commercial ; qu'en estimant au contraire, pour juger que l'article 885 R du code général des impôts n'était pas applicable aux locaux donnés en location par la SARL LC Invest à la société Hôtel de France, que l'article 885 R du code général des impôts n'était applicable qu'aux baux d'habitation et non aux baux commerciaux, la cour d'appel a violé l'article 885 R du code général des impôt, dans sa version en vigueur jusqu'au 1er janvier 2018, applicable à la cause ;
Alors que 3°), l'article 885 R du code général des impôts qualifie de biens professionnels au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune « les locaux d'habitation loués meublés ou destinés à être loués meublés par des personnes louant directement ou indirectement ces locaux » ; que le texte englobe ainsi au titre des biens professionnels les locaux donnés à bail nus par le propriétaire mais dont la destination finale est d'être loués meublés, peu important que le propriétaire du mobilier ne soit alors pas le bailleur ; que la cour d'appel a constaté que si les locaux litigieux avaient été donnés à bail non meublés par la SARL LC Invest à la société Hôtel de France, les mêmes locaux devaient nécessairement être meublés pour être exploités par la société Hôtel de France, laquelle était un hôtel de tourisme classé (arrêt p. 7§6 et 8§1) ; qu'en jugeant néanmoins qu'ils ne constituaient pas des biens professionnels au sens de l'article 885 R du code général des impôts, la cour d'appel a violé ce texte, dans sa version en vigueur jusqu'au 1er janvier 2018, applicable à la cause.