LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 mars 2023
Cassation partielle
Mme VAISSETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 172 F-D
Pourvoi n° A 21-18.737
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 MARS 2023
1°/ M. [T] [S],
2°/ M. [M] [S],
domiciliés tous deux [Adresse 4],
3°/ la société SBCMJ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Ceven'oeufs,
ont formé le pourvoi n° A 21-18.737 contre l'arrêt rendu le 31 mars 2021 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à la société MPH distribution, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Koch et associés, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société MPH distribution, anciennement dénommée [O] et Capelle,
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de MM. [T] et [M] [S] et de la société SBCMJ, ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents Mme Vaissette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 31 mars 2021), par un jugement du 18 décembre 2013, la société Ceven'oeufs a été mise en redressement judiciaire. Le 28 février 2014, la société MPH distribution a déclaré une créance de 1 074 386,46 euros avant, par un acte du 28 mai 2014, de mettre en demeure MM. [T] et [M] [S], qui s'étaient rendus cautions de la société Ceven'oeufs, de lui payer la somme de 275 598,33 euros.
2. Par un jugement du 9 juin 2015, la procédure collective de la société Ceven'oeufs a été convertie en liquidation judiciaire. M. [U], désigné en qualité de liquidateur et ultérieurement remplacé par la société SBCMJ, a contesté la créance déclarée par la société MPH distribution.
3. Par une ordonnance du 21 juin 2016, le juge-commissaire s'est déclaré incompétent pour trancher la contestation de la créance. Il a renvoyé les parties à saisir la juridiction compétente et a sursis à statuer sur l'admission de la créance.
4. Un jugement du 17 novembre 2017 a rejeté la demande de la société MPH distribution tendant à l'inscription de sa créance au passif de la société Ceven'oeufs et sa demande en paiement formée contre les cautions.
5. Par un jugement du 21 novembre 2018, la société MPH distribution a été mise en redressement judiciaire. Cette procédure collective a été convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 5 février 2020, la société [O] et Capelle, étant désignée en qualité de liquidateur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche et sur le second moyen, ci-après annexés
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Le liquidateur de la société Ceven'oeufs fait grief à l'arrêt d'inscrire au passif de ladite société une créance de 600 074,82 euros au profit de la société MPH distribution, alors « que la compétence des juridictions du fond saisies à la suite d'une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation sérieuse relative à une créance déclarée se limite à l'examen de cette contestation, le juge-commissaire demeurant exclusivement compétent pour décider de l'admission ou du rejet de la créance ; qu'en fixant cependant "la créance chirographaire de la société MPH" au passif de la société Ceven'oeufs, dont la liquidation judiciaire avait été prononcée par un jugement du 9 juin 2015, tandis que l'admission de cette créance ne pouvait être décidée que par le juge-commissaire qui, saisi de la contestation de la créance déclarée le 28 février 2014 par la société MPH, s'était seulement déclaré incompétent pour trancher la contestation sérieuse relative à la créance, la cour d'appel a excédé l'étendue de ses pouvoirs, violant ainsi l'article L. 624-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 :
8. Il résulte de ce texte que, sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées et, après une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi se limitent à l'examen de cette contestation.
9. Pour inscrire au passif de la société Ceven'oeufs, la créance de la société MPH distribution, l'arrêt retient que cette dernière ne répond pas précisément aux contestations formées sur le surplus de sa créance et que, sans qu'il soit nécessaire de nommer un expert, la créance sera fixée à la somme de 600 074,82 euros.
10. En statuant ainsi, alors que ses pouvoirs se limitaient à trancher les contestations soulevées par la société Ceven'oeufs et sur lesquelles le juge-commissaire s'était déclaré incompétent, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche
11. Le liquidateur de la société Ceven'oeufs fait le même grief à l'arrêt, alors « que les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis des conclusions des parties ; qu'en inscrivant cependant au passif de la société Ceven'oeufs la somme de 600 074,82 euros au titre de la créance chirographaire de la société MPH distribution, aux motifs qu'il ressortait "des écritures de M. [U], ès qualités, que la société Ceven'oeufs devait à la société MPH distribution, avant le 30 novembre 2012 la somme de 228 105 euros et qu'elle ne conteste pas non plus être redevable de la somme de 290 490,04 euros ainsi que de celle de 81 479,78 euros", tandis que M. [U], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Ceven'oeufs, admettait seulement que la société était débitrice d'une somme totale de 371 969,79 euros à l'égard de la société MPH, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
12. Pour fixer la créance de la société MPH distribution à la somme de 600 074,82 euros, l'arrêt retient qu'il ressort des écritures de M. [U], ès qualités, que la société Ceven'oeufs devait à la société MPH distribution avant le 30 novembre 2012, la somme de 228 105 euros et qu'elle ne conteste pas non plus être redevable de la somme de 290 490,04 euros, ainsi que celle de 81 479,78 euros.
13. En statuant ainsi, alors que le liquidateur faisait seulement valoir dans ses conclusions que la société Ceven'oeufs devait à la société MPH distribution la somme de 290 490,04 euros plus celle de 81 479,78 euros, soit la somme de 371 969,79 euros, sans y adjoindre celle de 228 105 euros, la cour d'appel, qui a dénaturé ces conclusions, a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne l'inscription au passif de la société Ceven'oeufs, de la créance chirographaire de la société MPH distribution pour la somme de 600 074,82 euros, l'arrêt rendu le 31 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société SBCMJ, en sa qualité de liquidateur de la société Ceven'oeufs, et MM. [T] et [M] [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour MM. [T] et [M] [S] et la société SBCMJ, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Ceven'oeufs.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable la demande de M. [U], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Ceven'oeufs, tendant au paiement de la somme de 683.199,72 euros, et d'avoir inscrit au passif de la société Ceven'oeufs la créance chirographaire de la société MPH, pour un montant de 600.074,82 euros.
1°) alors que la compétence des juridictions du fond saisies à la suite d'une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation sérieuse relative à une créance déclarée se limite à l'examen de cette contestation, le juge-commissaire demeurant exclusivement compétent pour décider de l'admission ou du rejet de la créance ; qu'en fixant cependant « la créance chirographaire de la société MPH » au passif de la société Ceven'oeufs, dont la liquidation judiciaire avait été prononcée par un jugement du 9 juin 2015, (arrêt, p. 11 § 11), tandis que l'admission de cette créance ne pouvait être décidée que par le juge-commissaire qui, saisi de la contestation de la créance déclarée le 28 février 2014 par la société MPH, s'était seulement déclaré incompétent pour trancher la contestation sérieuse relative à la créance, la cour d'appel a excédé l'étendue de ses pouvoirs, violant ainsi l'article L. 624-2 du code de commerce ;
2°) alors, en toute hypothèse, que dans ses conclusions d'appel, M. [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MPH, demandait seulement à voir juger qu'il était « bien-fondé à solliciter l'inscription de la somme de 1.074.386,46 euros en principal à titre chirographaire au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la société Ceven'oeufs » (concl., p. 17 § 13) ; qu'en ordonnant cependant l'inscription de la créance chirographaire de la société MPH au passif de la société Ceven'oeufs, pour un montant de 600.074,82 euros (arrêt, p. 11 § 11), que n'avait pas demandée le liquidateur, la cour d'appel a modifié l'objet du litige, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) alors que la compensation s'opère de plein droit entre les dettes réciproques des parties, dès lors qu'elles sont certaines, liquides et exigibles avant le prononcé du jugement d'ouverture de la procédure collective de l'une ou l'autre des parties, peu important le moment où elle est invoquée et l'absence de déclaration de la créance réciproque au passif de la procédure collective de la partie ayant introduit l'action en paiement ; qu'en jugeant cependant qu' « à défaut de justificatif d'une déclaration de créance ou d'un relevé de forclusion, la créance alléguée par M. [U], pris en sa qualité de liquidateur de la société Ceven'oeufs, est inopposable à la procédure collective de la société MPH » (arrêt, p. 8 § 4), tandis que cette créance de la société Ceven'oeufs s'était compensée de plein droit, avant le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société MPH, avec la créance invoquée par cette dernière à hauteur de 1.074.386,46 euros, de sorte qu'elle n'avait pas à être déclarée au passif de la procédure collective de la société MPH, la cour d'appel a violé les articles 1289 et 1291 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenus les articles 1347 et 1347-1 du code civil ;
4°) alors, subsidiairement, que les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis des conclusions des parties ; qu'en inscrivant cependant au passif de la société Ceven'oeufs la somme de 600.074,82 euros au titre de la créance chirographaire de la société MPH, aux motifs qu'il ressortait « des écritures de M. [U], ès qualités, que la société Céven'oeuf devait à la société MPH avant le 30 novembre 2012 la somme de 228.105 euros et qu'elle ne conteste pas non plus être redevable de la somme de 290.490,04 euros (sa pièce 8) ainsi que de celle de 81.479,78 euros (sa pièce 10) » (arrêt, p. 8, in fine), tandis que M. [U], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Ceven'oeufs, admettait seulement que la société était débitrice d'une somme totale de 371.969,79 euros à l'égard de la société MPH (concl., p. 7, in fine), la cour d'appel a dénaturé ses conclusions, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné solidairement MM. [T] et [M] [S] à payer à M. [O], ès qualités de mandataire liquidateur de la société MPH, la somme de 275.598,33 euros en exécution de leur engagement de caution du 28 mai 2013, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 mai 2014 ;
alors que les juges du fond ne peuvent dénaturer les stipulations claires et précises d'un contrat ; qu'en jugeant cependant que l'engagement de caution de MM. [T] et [M] [S] était valable jusqu'au 28 mai 2014 inclus, quand le contrat stipulait que « la durée du cautionnement expirera au 28 mai 2014 » (contrat, p. 2 § 1), ce dont il résultait nécessairement qu'il n'était plus valable le 28 mai 2014, la cour d'appel a dénaturé les stipulations claires et précises du contrat de cautionnement du 28 mai 2013, violant ainsi l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu les articles 1102 et 1192 du même code.