LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er mars 2023
Cassation
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 210 F-D
Pourvoi n° J 21-15.617
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER MARS 2023
Mme [O] [M], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 21-15.617 contre l'arrêt rendu le 25 février 2021 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant à la société Lecompte, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lecaplain-Morel, conseiller, les observations de Me [I], avocat de Mme [M], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Lecompte, après débats en l'audience publique du 11 janvier 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lecaplain-Morel, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 25 février 2021), Mme [M] a été engagée en qualité de femme de ménage par la société Lecompte, suivant contrat de travail à temps partiel du 20 juin 2015, pour une durée mensuelle de travail de soixante heures.
2. La salariée a démissionné le 16 janvier 2017.
3. Le 26 juin 2017, elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de toutes ses demandes, alors « que l'obligation de fournir et de payer au salarié les heures de travail convenues incombe à l'employeur ; qu'en considérant que la preuve n'était pas rapportée de ce que l'employeur avait manqué à ses obligations au regard des heures de travail convenues, aux motifs que la salariée avait "toute liberté pour organiser son emploi du temps", "qu'il lui appartenait d'assurer le nombre d'heures prévues par son contrat", "qu'elle ne justifie ni de ce que l'employeur lui aurait demandé de ne pas accomplir ce nombre d'heures, ni que celui-ci se serait opposé parfois ou régulièrement à sa venue", "qu'elle ne démontre pas davantage avoir jamais réclamé le paiement des heures non accomplies ni payées, qu'elle évalue tout de même à 258 en 2015 et à 116 en 2016, alors même qu'elle avait une situation modeste, ni en avoir été contrariée et en avoir conçu de l'animosité puisqu'elle a envoyé en juin 2016 à son employeur et à l'épouse de celui-ci une carte de vacances avec « plein de gros bisous »", et se fondant de surcroît sur les termes d'un courrier de l'employeur du 23 janvier 2017, postérieur à la démission litigieuse, laissant entendre que la salariée n'assurait pas de son propre fait les soixante heures de travail mensuelles convenues, ainsi que sur un SMS de la salariée indiquant qu'elle n'était pas venue travailler le 22 décembre 2016 en raison d'une erreur de date, la cour d'appel, qui s'est ainsi fondée sur des considérations totalement inopérantes au regard de l'obligation qui pèse sur l'employeur et qui n'a pas valablement établi que l'inexécution de l'horaire de travail serait imputable à la salariée, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1231-1 et L. 1237-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1221-1 et L. 1231-1 du code du travail :
5. L'employeur est tenu de payer sa rémunération et de fournir du travail au salarié qui se tient à sa disposition.
6. Pour débouter la salariée de ses demandes en paiement d'un rappel de salaire et tendant à ce que sa démission soit analysée en une prise d'acte emportant les effets d'un licenciement injustifié, l'arrêt, après avoir constaté que les conclusions des parties concordaient sur le fait que la salariée n'effectuait pas soixante heures de travail par mois, relève qu'il ressort d'échanges de SMS entre les parties qu'elle choisissait ses horaires en fonction de ses convenances.
7. Il retient que, dès lors que la salariée avait toute liberté pour organiser son emploi du temps, il lui appartenait d'assurer le nombre d'heures prévu par son contrat, qu'elle ne justifie ni de ce que l'employeur lui aurait demandé de ne pas accomplir ce nombre d'heures, ni que celui-ci se serait opposé parfois ou régulièrement à sa venue, qu'elle ne démontre pas davantage avoir jamais réclamé le paiement des heures non accomplies ni payées, évaluées à 258 en 2015 et à 116 en 2016, alors qu'elle avait une situation modeste, ni en avoir été contrariée.
8. Il relève encore que, dans une lettre du 23 janvier 2017 en réponse au courrier de démission de la salariée et à un second courrier, le gérant lui déclare : « Comme je vous l'ai fait remarquer depuis un certain temps, vous n'effectuez plus 60 heures mensuelles comme il était demandé dans votre contrat de travail et le ménage n'était plus fait convenablement. Etant donné que vous aviez la clef, vous aviez décidé de venir le matin à 7 heures et, quand je me rendais sur les lieux à huit heures, vous étiez déjà partie ; plusieurs fois, vous n'êtes même pas venue pensant que vous étiez en congé. »
9. L'arrêt en déduit qu'il n'est pas établi que le défaut d'exécution, par la salariée, du nombre d'heures de travail contractuel soit imputable à l'employeur qui ne lui aurait pas fourni de travail et non à sa propre carence.
10. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que l'employeur justifiait avoir satisfait à son obligation de fournir du travail à la salariée à hauteur de la durée de travail convenue et rapportait la preuve de ce que cette dernière ne s'était pas tenue à sa disposition ou aurait refusé d'exécuter le travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
11. La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors « que la cour d'appel ayant considéré que sa démission ne pouvait s'analyser en une prise d'acte, dès lors que, si cette démission est effectivement équivoque, " il a été exposé ci-dessus que le grief relatif aux heures non accomplies ni payées était mal fondé", la cassation qui interviendra dans le cadre des première et deuxième branches du moyen entraînera, par voie de conséquence, la cassation de sa décision en ce qu'elle a rejeté, au motif que le grief relatif aux heures non accomplies ni payées serait mal fondé, la demande de la salariée tendant à ce qu'il soit jugé que le manquement de l'employeur à ses obligations justifiait la prise d'acte litigieuse et ce, en application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
12. La cassation prononcée sur le moyen pris en sa deuxième branche entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs du dispositif relatifs à la rupture du contrat de travail qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne la société Lecompte aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lecompte et la condamne à payer à Mme [M] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me [I], avocat aux Conseils, pour Mme [M]
Mme [O] [M] reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir déboutée de toutes ses demandes ;
ALORS, D'UNE PART, QUE l'obligation de fournir et de payer au salarié les heures de travail convenues incombe à l'employeur ; qu'en considérant que la preuve n'était pas rapportée de ce que la société Lecompte avait manqué à ses obligations, tout en constatant que Mme [M] n'effectuait pas les 60 heures de travail mensuel prévues par son contrat de travail (arrêt attaqué, p. 3, alinéa 1er et p. 5, alinéa 1er), et sans qu'il soit relevé que la société Lecompte avait mis en demeure la salariée d'effectuer cet horaire de travail, ce dont il résultait nécessairement que l'employeur n'avait ni respecté, ni payé, le temps de travail contractuellement prévu, ce qui justifiait la prise d'acte de la rupture du contrat de travail à ses torts, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations a violé les articles L. 1231-1 et L. 1237-1 du code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE l'obligation de fournir et de payer au salarié les heures de travail convenues incombe à l'employeur ; qu'en considérant que la preuve n'était pas rapportée de ce que la société Lecompte avait manqué à ses obligations au regard des heures de travail convenues, aux motifs que la salariée avait « toute liberté pour organiser son emploi du temps », « qu'il lui appartenait d'assurer le nombre d'heures prévues par son contrat », « qu'elle ne justifie ni de ce que l'employeur lui aurait demandé de ne pas accomplir ce nombre d'heures, ni que celui-ci se serait opposé parfois ou régulièrement à sa venue », « qu'elle ne démontre pas davantage avoir jamais réclamé le paiement des heures non accomplies ni payées, qu'elle évalue tout de même à 258 en 2015 et à 116 en 2016, alors même qu'elle avait une situation modeste, ni en avoir été contrariée et en avoir conçu de l'animosité puisqu'elle a [Y] [I] Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation [Adresse 3] envoyé en juin 2016 à son employeur et à l'épouse de celui-ci une carte de vacances avec "plein de gros bisous" » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 1er ), et se fondant de surcroît sur les termes d'un courrier de l'employeur du 23 janvier 2017, postérieur à la démission litigieuse, laissant entendre que Mme [M] n'assurait pas de son propre fait les 60 heures de travail mensuelles convenues (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 1er), ainsi que sur un SMS de la salariée indiquant qu'elle n'était pas venue travailler le 22 décembre 2016 en raison d'une erreur de date (arrêt attaqué p. 5, alinéa 3), la cour d'appel qui s'est ainsi fondée sur des considérations totalement inopérantes au regard de l'obligation qui pèse sur l'employeur et qui n'a pas valablement établi que l'inexécution de l'horaire de travail serait imputable à la salariée, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1231-1 et L. 1237-1 du code du travail ;
ALORS, ENFIN, QUE la cour d'appel ayant considéré que la démission de Mme [M] ne pouvait s'analyser en une prise d'acte, dès lors que, si cette démission est effectivement équivoque, « il a été exposé ci-dessus que le grief relatif aux heures non accomplies ni payées était mal fondé » (arrêt attaqué, p. 6, alinéa 3), la cassation qui interviendra dans le cadre des première et deuxième branches du moyen entraînera par voie de conséquence la cassation de sa décision en ce qu'elle a rejeté, au motif que le grief relatif aux heures non accomplies ni payées serait mal fondé, la demande de Mme [M] tendant à ce qu'il soit jugé que le manquement de la société Lecompte à ses obligations justifiait la prise d'acte litigieuse et ce, en application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile.