LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 février 2023
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 163 F-D
Pourvoi n° Q 21-20.820
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 FÉVRIER 2023
Mme [E] [F], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 21-20.820 contre l'arrêt rendu le 11 juin 2021 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre, section 1), dans le litige l'opposant à la société École de conduite [X], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grandemange, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [F], de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société École de conduite [X], après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Grandemange, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 11 juin 2021), Mme [F] a été engagée par la société École de conduite [X] (la société), entreprise de moins de onze salariés, à compter du 9 septembre 2006, en qualité d'enseignante de conduite automobile.
2. Convoquée le 29 mai 2017, à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 8 juin 2017, elle a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle et son contrat de travail a été rompu le 29 juin 2017.
3. Elle a saisi la juridiction prud'homale en contestation de son licenciement.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à juger que son licenciement pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de ses demandes subséquentes, alors :
« 1°/ que le juge doit se placer à la date à laquelle est prononcé le licenciement économique pour apprécier la réalité des difficultés économiques invoquées ; que la salariée faisait valoir que la procédure de licenciement pour motif économique individuel avait été engagée suivant lettre de convocation à l'entretien préalable du 29 mai 2017 pour un entretien fixé au 8 juin 2017, ce qui supposait que la réalité du motif économique soit appréciée à cette date-là, mais observait que le motif économique invoqué par l'employeur procédait d'éléments économiques et financiers se rattachant, pour la baisse du chiffre d'affaires, au mois de janvier, février et mars 2017, pour la baisse du résultat d'exploitation, d'une situation intermédiaire au 30 juin 2016, pour le volet ''chiffres d'affaires'' / ''Charges d'exploitation'' au 31 décembre 2016 et pour le volet ''inscriptions apprentissage en conduite en permis B'' au 2ème trimestre 2016/2017, sans autre précision ; que la salariée faisait valoir encore qu'aucun de ces chiffres n'était concomitant avec l'engagement de la procédure de licenciement, ainsi que l'avait expressément relevé le premier juge ; que la cour d'appel s'est bornée à affirmer que la société École de conduite [X] avait fait face à une aggravation de la baisse du chiffre d'affaires sur une période de deux trimestres précédant le licenciement, à une diminution notable des commandes (permis B) et du résultat d'exploitation à fin juin 2017 ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les prétendues difficultés économiques et financières étaient concomitantes à la date de notification du licenciement, la cour d'appel, qui n'a nullement caractérisé l'existence de difficultés économiques et, partant, d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, à la date de sa notification, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;
2°/ que le juge, tenu de motiver son jugement à peine de nullité, ne peut statuer par voie d'affirmation sans procéder à l'analyse même sommaire des documents sur lesquels il fonde sa décision ; qu'en se bornant à affirmer, pour retenir que le motif économique était justifié, qu'il ressortait des éléments de l'espèce, tels que corroborés par les pièces comptables produites, que la société École de conduite [X] avait fait face à une aggravation de la baisse du chiffre d'affaires sur une période de deux trimestres précédant le licenciement, à une diminution notable des commandes (permis B) et du résultat d'exploitation à fin juin 2017 (déficit), sans procéder à aucune analyse, même sommaire, de ces pièces comptables, ni préciser en quoi elles établissaient les difficultés économiques de la société École de conduite [X] à la date de la notification du licenciement et justifiaient la suppression de l'emploi de la salariée, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile.
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° À des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.
7. La cour d'appel, procédant aux recherches prétendument omises, a d'abord retenu, au regard des pièces comptables produites, une aggravation de la baisse chiffre d'affaires pendant une période de deux trimestres précédant le licenciement et une diminution notable des commandes. Elle a ensuite relevé qu'à la fin du mois de juin 2017 le résultat d'exploitation était déficitaire. Elle a pu en déduire que des difficultés économiques concomitantes au licenciement étaient établies.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour Mme [F]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Madame [F] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande tendant à voir juger que son licenciement pour motif économique était dépourvu de cause réelle et sérieuse et de ses demandes subséquentes ;
1°) Alors que le juge doit se placer à la date à laquelle est prononcé le licenciement économique pour apprécier la réalité des difficultés économiques invoquées ; que madame [F] faisait valoir que la procédure de licenciement pour motif économique individuel avait été engagée suivant lettre de convocation à l'entretien préalable du 29 mai 2017 pour un entretien fixé au 8 juin 2017, ce qui supposait que la réalité du motif économique soit appréciée à cette date-là, mais observait que le motif économique invoqué par l'employeur procédait d'éléments économiques et financiers se rattachant, pour la baisse du chiffre d'affaires, au mois de janvier, février et mars 2017, pour la baisse du résultat d'exploitation, d'une situation intermédiaire au 30 juin 2016, pour le volet « chiffres d'affaires »/ « Charges d'exploitation » au 31 décembre 2016 et pour le volet « inscriptions apprentissage en conduite en permis B » au 2ème trimestre 2016/2017, sans autre précision ; que madame [F] faisait valoir encore qu'aucun de ces chiffres n'était concomitant avec l'engagement de la procédure de licenciement, ainsi que l'avait expressément relevé le premier juge ; que la cour d'appel s'est bornée à affirmer que la société École de conduite [X] avait fait face à une aggravation de la baisse du chiffre d'affaires sur une période de deux trimestres précédant le licenciement, à une diminution notable des commandes (permis B) et du résultat d'exploitation à fin juin 2017 (arrêt p.7, § 6) ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée (concl. p. 10 et 11), si les prétendues difficultés économiques et financières étaient concomitantes à la date de notification du licenciement, la cour d'appel, qui n'a nullement caractérisé l'existence de difficultés économiques et, partant, d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, à la date de sa notification, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;
2°) Alors que le juge, tenu de motiver son jugement à peine de nullité, ne peut statuer par voie d'affirmation sans procéder à l'analyse même sommaire des documents sur lesquels il fonde sa décision ; qu'en se bornant à affirmer, pour retenir que le motif économique était justifié, qu'il ressortait des éléments de l'espèce, tels que corroborés par les pièces comptables produites, que la société École de conduite [X] avait fait face à une aggravation de la baisse du chiffre d'affaires sur une période de deux trimestres précédant le licenciement, à une diminution notable des commandes ( permis B) et du résultat d'exploitation à fin juin 2017 ( déficit), sans procéder à aucune analyse, même sommaire, de ces pièces comptables, ni préciser en quoi elles établissaient les difficultés économiques de la société École de conduite [X] à la date de la notification du licenciement et justifiaient la suppression de l'emploi de madame [F], la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Madame [F] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation des critères d'ordre de licenciement ;
1°) Alors que si le juge ne peut, pour la mise en oeuvre de l'ordre des licenciements, substituer son appréciation des qualités professionnelles du salarié à celle de l'employeur, il lui appartient, en cas de contestation, de vérifier que l'appréciation portée sur les aptitudes professionnelles du salarié ne procède pas d'une erreur manifeste ou d'un détournement de pouvoir ; que madame [F] soutenait qu'elle disposait d'un meilleur taux de réussite aux examens que monsieur [D] [X] et qu'elle n'avait été créditée que de 4 points alors que celui-ci avait obtenu 6 points, et que tout au plus, ils auraient dû avoir le même nombre de points ; que la cour d'appel s'est bornée à retenir, pour débouter madame [F] de sa demande de dommages et intérêts au titre du non-respect par l'employeur des critères d'ordre des licenciements, que la seule problématique pouvant être soulevée était celle de l'affectation du nombre de points au titre de l'âge de monsieur [X] ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée (concl. p. 18), si les 4 points attribués à madame [F] au titre des qualités professionnelles procédaient d'une erreur manifeste ou d'un détournement de pouvoir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-5 du code du travail ;
2°) Alors que le juge qui reconnaît que le nombre de points affecté à l'un des critères légaux procède d'une erreur manifeste d'appréciation de l'employeur, ne peut, pour retenir l'absence de violation de l'ordre des licenciements, neutraliser ce critère légal à prendre en considération en attribuant, au titre de ce critère, le même nombre de point à tous les salariés ; que madame [F] faisait valoir que s'agissant du critère de l'âge, monsieur [X], âgé de 78 ans, retraité bénéficiant à ce titre d'une pension à taux plein, avait été crédité de 5 points alors qu'elle-même, âgée de 49 ans, avait été créditée de 2 points, que cette approche procédait d'un détournement de pouvoirs ou d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que cette détermination du nombre de points avait été faussée par la volonté d'éviter le licenciement de monsieur [X] qui n'était autre que le père du gérant de la société École de conduite [X] et « plus arrangeant » avec le fonctionnement de l'entreprise et qu'ainsi aucun point ne pouvait raisonnablement être attribué à monsieur [X], sauf à valider un décompte frauduleux à son propre détriment ; que la cour d'appel, qui a relevé l'erreur d'appréciation dans l'affectation du nombre de points au titre de l'âge de monsieur [X], ne pouvait neutraliser le critère légal de l'âge et attribuer au titre de ce critère, le même nombre de point à tous les salariés, sans s'expliquer, comme elle y était invitée (concl. p. 14 et 18), sur cette attribution ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1233-5 du code du travail.