LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 101 F-D
Pourvoi n° S 22-10.568
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
Mme [R] [P], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 22-10.568 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2021 par la cour d'appel de Lyon (6e chambre), dans le litige l'opposant à l'association Ocellia, venant aux droits de l'association école santé social Sud-Est, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de Mme [P], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'association Ocellia, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 18 novembre 2021), en septembre 2017, Mme [P] (l'élève-infirmière) a été admise en deuxième année de formation d'infirmier à l'École de santé sociale sud-est, aux droits de laquelle est venue l'association Ocellia, régie par l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux instituts de formation paramédicaux (l'institut de formation).
2. Le 23 janvier 2018, au cours d'un stage réalisé en milieu hospitalier, le cadre de santé du service a établi un rapport concluant à l'absence d'acquisition des compétences nécessaires et à la non-validation du stage. Le 9 février 2018, l'élève-infirmière a reçu un avertissement en raison d'une attitude non-conforme avec les attendus de la formation. Le 6 juin 2018, au cours d'un autre stage, le responsable du service a établi un rapport reprochant à l'élève-infirmière la mise en danger d'un patient.
3. Par une décision du 9 juillet 2018, notifiée le 12 juillet 2018, son exclusion définitive a été prononcée.
4. Le 12 juillet 2019, l'élève-infirmière a assigné l'institut de formation en annulation et retrait de son dossier pédagogique des rapports et décisions prises à son encontre, en paiement de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice moral et en remboursement de ses frais de scolarité.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. L'élève-infirmière fait grief à l'arrêt de déclarer valable la décision d'exclusion et de rejeter ses demande d'annulation des rapports des 23 janvier 2018 et 6 juin 2018, de retrait de la décision d'exclusion et des rapports de son dossier pédagogique, de dommages-intérêts pour préjudice moral et de remboursement de ses frais de scolarité, alors « que les stagiaires bénéficient de la protection contre le harcèlement moral prévu notamment à l'article L. 1152-1 du code du travail dans les mêmes conditions que les salariés ; que le juge saisi d'une demande tendant à la reconnaissance d'une situation de harcèlement moral doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par le stagiaire, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'adversaire prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, l'élève-infirmière faisait valoir, éléments de preuve à l'appui, qu'elle avait fait l'objet d'un harcèlement moral lors de son stage au sein de l'hôpital [3] qu'elle a dénoncé à l'ESSSE, qui n'a pris aucune mesure et a au contraire prononcé un avertissement à son encontre, consigné dans son dossier deux rapports négatifs, dont l'un émanant d'une cadre de santé à l'hôpital [3] et rédigé après la dénonciation par la stagiaire du harcèlement qu'elle subissait dans cet établissement, et prononcé son exclusion définitive de l'institut de formation, ce qui avait eu des conséquences sur son état de santé ; qu'en rejetant les demandes de l'élève-infirmière tendant à l'annulation et au retrait de son dossier pédagogique de la décision d'exclusion définitive du 12 juillet 2018 et des rapports du 23 janvier 2018 et du 6 juin 2018, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si les rapports et la décision d'exclusion n'étaient pas en réalité le résultat du harcèlement moral subi par la stagiaire, de sorte qu'ils devaient être annulés et retirés de son dossier scolaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 124-12 du code de l'éducation, ensemble les articles L. 1152-1, L.1152-2 et L. 1154-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1152-1, L.1152-2 et L. 1154-1 du code du travail et L. 124-12 du code de l'éducation :
6. Il résulte de ces textes que, lorsqu'un stagiaire, qui bénéficie de la protection contre le harcèlement moral dans les mêmes conditions que les salariés, soutient avoir été victime d'un tel harcèlement, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments qu'il invoque, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, d'apprécier si les personnes chargées de la formation prouvent que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que leurs décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
7. Pour déclarer valable la décision d'exclusion et rejeter les demandes de l'élève-infirmière en annulation des rapports des 23 janvier 2018 et 6 juin 2018 et retrait de la décision d'exclusion et des rapports du dossier pédagogique, l'arrêt se borne à retenir que la décision d'exclusion, prise par le conseil pédagogique après avoir entendu l'élève infirmière, en présence de son conseil n'est entachée d'aucune irrégularité et que les rapports ne sont pas en eux-mêmes irréguliers ni dans leur forme ni dans leur contenu.
8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le harcèlement moral invoqué par l'infirmière avait pu justifier le contenu des rapports et l'exclusion prononcée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare valable la décision d'exclusion de Mme [P] et rejette ses demandes d'annulation des rapports des 23 janvier 2018 et 6 juin 2018, de retrait de la décision d'exclusion et des rapports de son dossier pédagogique, de dommages-intérêts pour préjudice moral et de remboursement de ses frais de scolarité, l'arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne l'association Ocellia aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'association Ocellia et la condamne à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat aux Conseils, pour Mme [P]
Mme [P] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré valable la décision d'exclusion prise par le conseil pédagogique le 12 juillet 2018 et d'AVOIR rejeté sa demande de retrait de la décision d'exclusion définitive du 12 juillet 2018 de son dossier pédagogique, ses demandes d'annulation et de retrait des rapports du 23 janvier 2018 et du 6 juin 2018 sous astreinte ainsi que ses demandes de dommages-intérêts pour préjudice moral et en remboursement de ses frais de scolarité.
1) ALORS QUE les stagiaires bénéficient de la protection contre le harcèlement moral prévu notamment à l'article L. 1152-1 du code du travail dans les mêmes conditions que les salariés ; que le juge saisi d'une demande tendant à la reconnaissance d'une situation de harcèlement moral doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par le stagiaire, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'adversaire prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, Mme [P] faisait valoir, éléments de preuve à l'appui, qu'elle avait fait l'objet d'un harcèlement moral lors de son stage au sein de l'hôpital [3] qu'elle a dénoncé à l'ESSSE, qui n'a pris aucune mesure et a au contraire prononcé un avertissement à son encontre, consigné dans son dossier deux rapports négatifs, dont l'un émanant d'une cadre de santé à l'hôpital [3] et rédigé après la dénonciation par la stagiaire du harcèlement qu'elle subissait dans cet établissement, et prononcé son exclusion définitive de l'institut de formation, ce qui avait eu des conséquences sur son état de santé ; qu'en rejetant les demandes de Mme [P] tendant à l'annulation et au retrait de son dossier pédagogique de la décision d'exclusion définitive du 12 juillet 2018 et des rapports du 23 janvier 2018 et du 6 juin 2018, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si les rapports et la décision d'exclusion n'étaient pas en réalité le résultat du harcèlement moral subi par la stagiaire, de sorte qu'ils devaient être annulés et retirés de son dossier scolaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 124-12 du code de l'éducation, ensemble les articles L. 1152-1, L.1152-2 et L. 1154-1 du code du travail ;
2) ALORS QUE l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement des instituts de formation paramédicaux prévoit, en son article 10 dans sa rédaction antérieure au 1er septembre 2018, que le conseil pédagogique est notamment consulté pour avis sur la situation des étudiants ayant accompli des actes incompatibles avec la sécurité des personnes prises en charge ; qu'en application de l'article 11 de cet arrêté, la mise en oeuvre de cette procédure d'avis pour les étudiants ayant accompli des actes incompatibles avec la sécurité des personnes soignées n'est possible que si le stage de l'étudiant a été suspendu et n'est pas allé jusqu'à son terme ; qu'en jugeant au contraire, pour considérer comme valable la décision d'exclusion du 12 juillet 2018 et débouter Mme [P] de ses demandes à ce titre, que ni la lettre, ni l'esprit de l'article 11 ne subordonnent l'intervention du conseil pédagogique à l'hypothèse dans laquelle une suspension du stage de l'étudiant ayant accompli des actes incompatibles avec la sécurité des personnes prises en charge aurait été décidée, la cour d'appel a violé les articles 10 et 11 de l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement des instituts de formation paramédicaux dans sa rédaction applicable au litige ;
3) ALORS QUE l'infirmier chargé de toute fonction de coordination ou d'encadrement veille à la bonne exécution des actes accomplis par les personnes dont il coordonne ou encadre l'activité, qu'il s'agisse d'infirmiers, d'aidessoignants, d'auxiliaires de puériculture, d'aides médico-psychologiques, d'étudiants en soins infirmiers ou de toute autre personne placée sous sa responsabilité ; qu'il est responsable des actes qu'il assure avec la collaboration des professionnels qu'il encadre et veille à la compétence des personnes qui lui apportent leur concours ; qu'une erreur commise par un stagiaire sous sa responsabilité du fait d'une carence de sa part lui est imputable et ne peut justifier une mesure d'exclusion à l'encontre du-dit stagiaire ; qu'en déboutant Mme [P] de sa demande d'annulation et de retrait de son dossier pédagogique de la décision d'exclusion du 12 juillet 2018 ainsi que de sa demande de retrait de son dossier pédagogique du rapport du 6 juin 2018, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si l'acte incompatible avec la sécurité des personnes prises en charge qui lui était reproché n'était pas imputable à l'infirmière qui était sa tutrice, qui a reconnu sa carence dans l'encadrement de la stagiaire et a indiqué qu'elle aurait dû intervenir pour empêcher l'injection faite par l'étudiante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 4312-36 du code du travail.
Le greffier de chambre